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Supplément au dossier « Aspects sémiotiques du changement »
La complexité de l’élémentaire Giuseppe Longo
Publié en ligne le 31 août 2025
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Le « complexe » n’est pas la superposition de couches du « simple », ni l’empilement de particules élémentaires (et simples), à comprendre en réduisant les analyses aux interactions des niveaux minimaux desdites particules, deux par deux, trois par trois et ainsi de suite. Il ne s’agit pas de la composition d’« atomes », par paires, puis triples et quadruples, puis en cascades et cycles « moléculaires » jusqu’à rendre intelligible, par occupation progressive du réel, d’abord la physique puis la chimie puis la biologie, d’abord la chute des corps galiléens, puis la... forme de la main humaine et son histoire phylogénétique et embryogénétique. Cette vision cartésienne du monde suppose un fondamental qui doit toujours être élémentaire et un élémentaire qui doit toujours être simple, atomique. Laplace rendra mathématique cette approche. Avec Lagrange et Fourier, il pense que tout système « raisonnable » d’équations en physique mathématique peut être approché par une somme de séries linéaires1 — et une technique formidable de décomposition des solutions analytiques verra le jour, par des sommes de composantes simples et élémentaires (des séries linéaires), que l’on croit universelle : l’intelligibilité proviendrait seulement et toujours de cette organisation du discours scientifique et de son analyse mathématique, car le monde lui-même serait structuré sur ces empilements d’atomes matériels, élémentaires et simples. Que nous et les animaux, par exemple, nous sommes un gros sac de molécules et rien d’autre, cela ne fait aucun doute, c’est l’hypothèse métaphysique centrale de toute analyse scientifique. Le problème scientifique qui se pose cependant est le suivant : comment comprendre ces sacs de molécules si étranges ? Quelle théorie les rend intelligibles ? |
1 A. Marinucci, Tra ordine e caos. Metodi e linguaggi tra fisica, matematica e filosofia, Rome, Aracne, 2011. |
Galilée et Einstein ont tous deux développé des théories fondamentales de la gravitation et de l’inertie, négligeant complètement les atomes de Démocrite qui constituent aussi bien les graves2 de Galilée que les corps célestes d’Einstein. Bien entendu, le problème de « comprendre ensemble » la gravitation qui s’applique à ces corps et entre les atomes, c’est-à-dire les champs relativiste et quantique, demeure ouvert aujour- |
2 On appelle graves les corps soumis à la loi du mouvement uniformément accéléré établie par Galilée dans De gravium motu. (Ndlr). |
Mais alors, si le fondamental peut ne pas être élémentaire, si la réduction est plutôt une unification, l’élémentaire, au moins, est-il toujours simple ? C’est l’autre mythe clé du savoir occidental, ce savoir très efficace qui a pris pour paradigme la décomposition / reconstruction alphabétique du langage et donc du monde : grâce à l’écriture alphabétique, des signes élémentaires et simples, sans sens, disent tout sur le monde, ils sont en fait le monde, comme les atomes de Démocrite3. C’est pourquoi les chaînes déductives cartésiennes, dont les maillons sont élémentaires et simples, nous ont donné la méthode très puissante de l’analyse argumentative moderne. |
3 J. Lassègue, G. Longo, Critique de la raison numérique : des mythes de l’Intelligence Artificielle à la révolution silencieuse de l’écriture, Paris, P.U.F., à par. 2025. |
Nous sommes désormais confrontés à une complexité qui est plutôt et précisément dans la complexité de l’élémentaire. En microphysique, selon une nouvelle lecture des particules élémentaires, les cordes sont, disait-on, complexes, tout comme les cellules vivantes, dites élémentaires parce qu’on ne peut les « décomposer » qu’en les tuant. Mais déjà Poincaré, en physique, avait démontré que la dynamique de trois corps célestes dans leurs champs gravitationnels n’est pas en général décomposable en séries linéaires : elle est intrinsèquement complexe — et elle est à l’origine des théories modernes de la complexité en physique-mathématique4. |
4 A. Dahan Delmedico, J.-L. Chabert, K. Chemla, Chaos et déterminisme, Paris, Seuil, 1992. |
Voyons toutefois une autre manière d’appréhender la complexité. Edelman observe que les êtres vivants sont complexes car on les comprend en superposant ordre et désordre, régularité et irrégularité, intégration et différenciation, variabilité et invariance, stabilité et instabilité, limite et ouverture...5 Edelman pense notamment au cerveau, sur lequel il a tant travaillé. Ce dernier est une sorte de forêt amazonienne, avec certains neurones gros comme des brins d’herbe et d’autres comme des baobabs, avec peu ou avec... 20 000 connexions synaptiques : ordonnées et désordonnées, stables et instables, intégrées et différenciées... De plus, il est caractéristique des objets vivants qu’ils ne soient jamais complètement déterminés par leurs conditions ou états internes : ils doivent toujours être caractérisés comme le résultat d’une phylogenèse et comme faisant partie d’un autre système, typiquement un écosystème, et en interaction co-constitutive avec lui. Et, en eux-mêmes, les organismes sont composés de différents niveaux d’organisation, différenciés les uns des autres et intégrés les uns aux autres, avec des corrélations causales descendantes (régulation) et ascendantes (intégration), canalisés par des contraintes complexes et fondamentales à toute dynamique biologique6. L’organisme existe seulement dans son unité7 et en se situant au croisement d’une histoire évolutive et d’un contexte relationnel, un écosystème, des parcours et des contextes dont il est le résultat8. Quelle science pour ces objets complexes, physiques et biologiques ? quel regard philosophique peut donner une unité aux analyses techniques les plus disparates ? Il n’existe pas de science globale de la complexité, mais il existe un problème cognitif, épistémologique, méthodologique et philosophique du complexe. Et c’est un énorme problème pour nous, héritiers d’une science atomiste, cartésienne, laplacienne très efficace, née dans la culture alphabétique, nous qui adhérons donc avec difficulté à des visions holistiques et systémiques. On est tellement convaincu que l’intelligibilité réside toujours dans l’explicitation alphabétique, qu’on arrive à la caricature moléculaire actuelle du vivant : dans les quatre lettres des bases de l’ADN est écrit le livre complet de l’ontogénie (et, tant qu’on y est, de la phylogénie) et, cela, fort heureusement « non avec des idéogrammes comme en chinois, mais avec un alphabet comme en français »9. De la forme de l’oreille à la folie mentale de tel ou tel, tout est déjà programmé : le but est « déjà là », le « design intelligent » est écrit / codé dans une grosse molécule / programme10. Ainsi, à partir de l’interaction entre macro-molécules, elles-mêmes complexes (ordonnées et désordonnées...), dans de très vastes cascades moléculaires et réseaux métaboliques, dans les turbulences du cytoplasme, entre cellule et cellule ou entre cellule et organisme ou écosystème, bref toute la singularité physique de l’état vivant de la matière, est écrasée par la complétude présumée d’un alphabet de quatre lettres. |
5 G.M. Edelman, J.A. Gally, « Degeneracy and Complexity in biological systems », Proceedings of the National Academy of Science, 24, 2001. 6 M. Montévil, M. Mossio, « Closure of constraints in biological organisation », Journal of Theoretical Biology, vol. 372, 2015. 7 A. Soto, G. Longo, D. Noble (éds.), From the century of the genome to the century of the organism. New theoretical approaches, Special issue of Progress in Biophysics and Molecular Biology, 122, 1, 2016. 8 M. Montévil, M. Mossio, « The Identity of Organisms in Scientific Practice : Integrating Historical and Relational Conceptions », Frontiers in Physiology, 11, 2020. A. Marinucci, Theoretical Principles of Relational Biology, Springer, 2023. 9 F. Jacob, Leçon inaugurale, Collège de France, 1965. Déjà en 1971, A. Grothendieck, immense mathématicien et prophète isolé, considère « scientiste » le livre — théoriquement très rigoureux et fondateur de cette vision du vivant — de J. Monod, Le Hasard et la Nécessité (Paris, Seuil, 1970). Voir A. Grothendieck, La nouvelle Eglise universelle, « Survivre... et vivre », 9, août-septembre 1971. 10 R. Plomin, Blueprint : How DNA Makes Us Who We Are, MIT Press, 2019. |
Qu’il soit clair que le caractère incomplet des analyses atomistiques et moléculaires du monde ne signifie pas qu’elles soient inutiles : les séries de Fourier sont fort utiles et l’ADN est certainement une composante fondamentale de la cellule, dans toute sa complexité. Ce que nous voulons souligner ici, c’est le caractère incomplet et la perte de sens auxquels on arrive en pensant pouvoir tout comprendre par une seule et même méthode héritée de la décomposition alphabétique du langage, en croyant pouvoir étendre cette méthode aussi aux différentes échelles de l’inerte, des quanta à l’astrophysique, jusqu’à la complexité des interactions et des différents niveaux d’organisation du vivant, chaque niveau étant intelligible avec des outils conceptuels différents, voire incompatibles. La recherche d’unification et non pas de réduction de la microphysique et de l’astrophysique, mais aussi l’analyse d’objets mathématiques très différents, des structures fractales des organes aux réseaux tissulaires, devraient nous enseigner ce pluralisme des regards propre aux savoirs scientifiques. Et ici le philosophe nous aide : les distinctions faites entre les « ontologies régionales », par exemple, proposent une vision qui structure la pensée, guide le scientifique, aide à « remonter la pente de la question et la recherche de sens »11. Ceci n’empêche pas mais au contraire aide à mieux explorer des unifications, comme entre les champs quantique et relativiste. |
11 F. Fraisopi, Besinnung : scienza, complessità e fenomenologia, Rome, Aracne, 2009. |
Principes de construction et principes de preuves En vue de contribuer à gravir cette pente, nous avons commencé par un dialogue « philosophique » entre un physicien et un mathématicien12. Dans cet ouvrage, la « complexité » n’est pas explicitement évoquée, mais on cherche à mettre en évidence la pluralité des perspectives nécessaires à la construction des connaissances scientifiques. Or la complexité se trouve d’abord et avant tout dans l’imbrication des différences méthodologiques, dans les différents cadres de connaissance, conceptuels et pratiques, dans lesquels évoluent les mathématiques, la physique et la biologie, jamais totalement séparées mais se croisant de manière riche et mutuellement féconde. Et ce, à condition de s’éloigner des caricatures simplificatrices d’un monde vu comme constitué d’atomes et de molécules empilés en réseaux, eux-mêmes appréhendés et décrits à un seul niveau d’intelligibilité — toujours codable dans les suites de 0 et de 1 des machines pour l’intelligence artificielle : le monde est compositionnel, nous dit encore aujourd’hui Y. Le Cun13, il est la composition de l’élémentaire et simple ; la cognition humaine n’a pas besoin d’un corps qui agit dans l’espace, elle peut se construire par l’empilement de 0 et de 1. |
12 F. Bailly, G. Longo, Mathématiques et sciences de la nature. La singularité physique du vivant, Paris, Hermann, 2006. 13 Leçon inaugurale au Collège de France, chaire d’Intelligence Artificielle, 2016 (https://www.youtube.com/watch?v=TdLa5h-x2nA). |
Il y a en revanche une grande unité de méthode en physique-mathématique. On peut identifier dans l’usage des « principes de construction » conceptuels communs, c’est-à-dire, dans l’invention, des structures conceptuelles (espaces géométriques, algèbres, méthodes de l’analyse différentielles…) qui sont au cœur de la riche interaction entre les mathématiques et la physique. Il s’agit d’interaction largement co-constitutive, dans laquelle les symétries et les principes géodésiques (principes d’optimalité) guident la construction scientifique, l’intelligibilité elle-même dans les deux disciplines. Cependant, les « principes de preuve » divergent : formels en mathématiques, empiriques en physique, ils concernent dans le premier cas la démonstration, dans le second la mise en place de l’évidence expérimentale14. Mais les récents résultats d’incomplétude15, ainsi que le rôle de la théorie dans la construction de l’expérience en microphysique16, mettent en évidence le premier niveau de complexité : les principes de construction entrent à la fois dans la preuve mathématique et en physique. Cette distinction est donc continuellement articulée, mettant en évidence des interactions qui sont alors productives de nouveaux concepts et structures, de nouvelles méthodes de preuve. Or, pour nous, l’analyse conceptuelle menée au sujet des méthodes et de quelques résultats récents en mathématiques et en physique s’inscrit dans un parcours qui vise à parler de biologie17. Dans cette discipline, nombre de méthodes et de concepts directeurs des sciences exactes doivent être radicalement remis en question. Par exemple, l’objet d’étude, l’organisme vivant, à la différence de l’objet en physique ou de la structure en mathématiques, n’est pas « générique » : il n’est pas un invariant expérimental et théorique (alors qu’un grave en vaut un autre pour Galilée, ou qu’un photon est identique à un autre pour Einstein, une preuve, par Pythagore, sur un seul triangle rectangle, générique, vaut pour tous les triangles rectangles...). Un organisme est « spécifique », au sens d’identifié, singulier, pas toujours interchangeable. La généricité, en biologie, se retrouve plutôt dans les cheminements évolutifs et ontogénétiques : ceux-ci sont des trajectoires historiques possibles, avec des issues différentes, mais l’un vaut l’autre (cette main est un résultat évolutif possible chez les tétrapodes, comme la patte antérieure d’un éléphant ou celle d’un kangourou). Au lieu de cela, les trajectoires, en physique mathématique, sont spécifiques, parce qu’elles sont des géodésiques ; elles sont singulières, parce qu’elles sont optimales dans un espace de phases adéquat. Un chiasme conceptuel, générique vs spécifique, en physique vs en biologie, qui aide à l’intelligibilité, permet aux deux disciplines de dialoguer dans la dualité, loin des paradigmes naïfs de la réduction. |
14 F. Bailly et G. Longo, op. cit. 15 G. Longo, « Reflections on Concrete Incompleteness », Philosophia Mathematica, 19, 3, 2011. (Les articles de l’auteur sont téléchargeables sur https://www.di.ens.fr/users/longo/download.html). 16 M. Bitbol, L’Aveuglante proximité du réel. Anti-réalisme et quasi-réalisme en physique, Paris, Flammarion, 1998. 17 G. Longo, M. Montévil, Perspectives on Organisms : Biological Time, Symmetries and Singularities, Dordrecht, Springer, 2014. A. Soto et al., From the century of the genome…, op. cit. |
Voilà la grande limite des analyses de type physique de la complexité : la complexité résulte des interactions entre particules génériques, toutes identiques. Plus précisément, plusieurs notions d’« émergence » ont été proposées en physique. Elles concernent surtout l’émergence de nouvelles structures et formes (morphogenèse) à partir d’ensembles à priori désordonnés de composantes élémentaires et simples : de l’analyse de la morphogenèse de Turing18 et de Thom19 à l’auto-organisation en thermodynamique loin de l’équilibre20, jusqu’aux réseaux d’interaction de Parisi21. Cette théorie de la complexité et de l’« émergence », longtemps et fort justement très à la mode, car originale et mathématiquement riche, diffère nettement, selon nous, de la « production de nouveauté » en biologie. Celle-ci est une notion qui peut être décrite en termes de « production anti-entropie », un concept différent de la néguentropie22. L’anti-entropie caractérise l’organisation biologique qui se met en place en se complexifiant (au cours de l’embryogenèse, par exemple), tout en produisant de l’entropie (les transformations d’énergie sont partout chez le vivant) : elle ne s’y oppose pas, elle la produit et s’en nourrit, à partir du métabolisme, qui fonctionne aussi grâce à des phénomènes de diffusion entropiques23. Les principes de construction conceptuelle et les notions ainsi impliquées, façonnent le regard, les choix des principes de preuve empirique, par le choix des observables eux-mêmes : les composantes de l’anti-entropie biologique, par exemple (réseaux cellulaires, tissus, interfaces fractales...24). Dans l’évolution darwinienne, en particulier, les concepts (et éventuellement les mathématiques) qui permettent de saisir la production de nouveauté (production d’anti-entropie dans notre langage) nécessitent la construction de nouvelles perspectives, en raison de la nature des observables visés et de leur spécificité historique. La question de l’« unification » avec les nombreuses théories de la matière inerte, impliquées dans la compréhension de la biologie, reste cruciale, mais il faut y travailler en jetant des ponts et en proposant des dualités conceptuelles, comme celle dont nous avons parlé entre spécificité et généricité, en physique vs biologie. Typiquement, le réseau d’interaction entre organismes dans un écosystème se constitue entre les objets historiques, spécifiques, que sont les individus vivants. Cela n’a rien à voir avec la généricité des composantes d’un réseau d’interaction physique, à la Parisi, ou avec les molécules qui forment un ouragan ou celles qui permettent la morphogenèse à la Turing ou à la Thom. Dans ces cas de type physique, ce qui émerge, ce sont des formes globales des réseaux, sans que leurs composantes élémentaires changent. |
18 A. Turing, « The chemical basis of morphogenesis », Phil. Trans. R. Soc., B 237, 1952. 19 R. Thom, Stabilité structurelle et Morphogénèse, New York, Benjamins, 1972. 20 G. Nicolis, I. Prigogine, Self-organization in non-equilibrium systems, New York, Wiley, 1977. 21 G. Parisi, M. Mézard, M.-A. Virasoro, Spin glass theory and beyond, Singapore, World Scientific, 1987. 22 F. Bailly, G. Longo, « Biological Organization and Anti-Entropy », J. Biological Systems, 17, 1, 2009. 23 M. Chollat-Namy, G. Longo, « Entropie, Neguentropie et Anti-entropie : le jeu des tensions pour penser le vivant », in Entropies, Londres, ISTE OpenScience, 2023. 24 F. Bailly, G. Longo, « Biological Organization … », art. cit. ; G. Longo, M. Montévil, « Randomness Increases Order in Biological Evolution », LNCS, vol. 7318, 2012. |
Par contre, dans l’évolution d’un écosystème, il y a certes changement des interactions, mais aussi (voire surtout) des changements évolutifs des organismes qui composent l’écosystème25. Leur changement est en fait au cœur de l’évolution darwinienne : ce sont les phylogenèses des organismes, individuellement, qui se modifient, et non pas seulement les interactions entre eux. Ce sont donc les composantes élémentaires et complexes du réseau qui changent, ainsi que leur réseau d’interactions. Voilà ce qui est au cœur d’une science historique comme l’évolution. En philosophie, la phénoménologie propose un regard synthétique qui peut aider à encadrer les analyses conceptuelles évoquées. Elle nous permet de réfléchir davantage à la pluralité des théories, à leurs implications méthodologiques et ontologiques. Le présent texte reprend et développe certains des idées esquissées dans les préfaces que nous avons écrites pour deux ouvrages de philosophie conçus par des collègues italiens. |
25 G. Longo, « Emergence vs Novelty Production in Physics vs Biology », in M. Chollat, Y. Montévil, X. Robert (éds.), Open Historicity of Life. Theory, epistemology, practice, à par. (2025). |
Dans la première de ces préfaces26, nous sommes amené à comprendre le jeu des différents cadres scientifiques, le problème de l’unification en physique par exemple, comme la relativité des différents cadres ontologiques, irréductibles, mais, en principe, unifiables ou du moins en dialogue. Nous retrouvons dans le livre de Fraisopi les observations philosophiques de deux fondateurs de la mécanique quantique, Schrödinger et Heisenberg, des observations d’une grande profondeur et pertinence. Mais Prigogine et les systèmes dissipatifs permettent également d’appréhender les problèmes des dynamiques complexes, car loin de l’équilibre, capables de s’auto-organiser en formant des « structures de cohérence » dont l’intelligibilité ne peut être attribuée seulement à leurs composants atomiques, élémentaires et simples. D’où des visions systémiques, globales, comme celles nécessaires pour saisir l’intrication en Mécanique Quantique, avec toute la complexité, propre à cette discipline, de la relation « sujet connaissant – instrument de mesure – objet » : en un mot, des analyses très intéressantes de ce que l’on considère comme étant au cœur de la complexité physique. |
26 Préface à F. Fraisopi, op. cit. |
Les techno-sciences, au cœur de la critique développée dans le deuxième ouvrage27, prétendent au contraire ne pas avoir de limites : « nous allons contrôler l’évolution » en reprogrammant l’ADN28, entend-on dire aujourd’hui. Et bientôt une machine à états discrets, des 0 et des 1, dépassera en tout l’intelligence humaine : trop de livres et d’articles pour en choisir un à citer, étalés sur soixante ans, et comportant des promesses de réalisation dans les cinq ou dix ans suivants — un vrai cauchemar : des techno-sciences loin de la science, qui, elle, sait toujours poser ses limites, pour changer de perspective, pour aller plus loin, mais dans une autre direction, avec un autre regard29. Dans ces deux approches techno-scientifiques, le complexe est atteint par la composition d’éléments simples — nous insistons — et qui ne changent pas : les molécules ou leurs composantes chimiques, les bits d’un ordinateur qui, au mieux, oscillent parmi un nombre fini et pré-donné d’états. Au contraire, les cellules dans un organisme, les organismes dans un écosystème sont complexes, vieillissent, changent, évoluent. Ils ont une histoire. La philosophie aide à organiser le savoir, ce savoir critique qui est le nôtre, et, tant par la synthèse structurante que par la proposition méthodologique ou épistémologique originale, peut aussi aider à identifier de nouvelles voies en science — ce qui est le but même d’une pensée critique. Car pour être vraiment scientifique, la pensée est toujours une pensée de la nouveauté ; elle est révolutionnaire, même en réponse à une petite question. Elle est le contraire du « sens commun », cette notion floue qui exprimerait la seule composante difficilement mécanisable de l’intelligence humaine, selon Y. Le Cun30 ; elle est le contraire des moyennes statistiques de textes déjà écrits, produites par ChatGPT et que l’on prétend originales car ces moyennes « ne sont pas déjà là » — et elles sont même mouvantes : il suffit de changer quelques paramètres. La pensée scientifique est à la limite, elle est le bord changeant, elle est à l’horizon des phénomènes, comme l’invention du principe d’inertie par Galilée – un principe hors du monde, qui ne s’applique à aucun mouvement mesurable, qui est à la limite de tous les mouvements, mais qui les rend tous intelligibles. La pensée scientifique ne reflète pas les objets et les structures déjà donnés, elle ne « découvre » pas des lois déjà immanentes au monde ou aux corrélations dans les Big Data31. |
27 Préface de G. Longo à A. Nigrelli et F.S. Tortoriello, Il Liceo matematico : un approccio storico e interdisciplinare all’insegnamento delle scienze e della matematica, Rome, Mimesis, à par. (2025). 28 J. Doudna, S. Sternberg, A crack in Creation, the new power to control Evolution, London, Bodley Head. 2017. Pour un compte rendu de ce livre de la Prix Nobel 2020, J. Doudna, voir G. Longo, « Programmer l’évolution : une faille dans la science », Philosophy World Democracy, 14, 2022. 29 G. Longo, Le cauchemar de Prométhée. Les sciences et leurs limites, Préface de Jean Lassègue, postface d’Alain Supiot, Paris, P.U.F., 2023. 30 Leçon inaugurale au Collège de France, chaire IA, 2016, op. cit. 31 C. Calude, G. Longo, « The deluge of Spurious Correlations in Big Data », Foundations of Science, 22, 3, 2017. |
Par contre, comme tout savoir, elle se co-constitue dans la friction avec le monde, grâce à des transitions conceptuelles continues, qui réorganisent le monde de manière toujours nouvelle. Une friction qui s’exprime dans et par une culture symbolique, partagée et constituée dans l’histoire d’une communauté communicante, une culture qui nous permet « d’imaginer des configurations de sens »32. Cela loin de l’absolutisation d’un esprit spéculatif qui prétend se soustraire à la relation et à la confrontation avec son propre corps. Un tel esprit absolu… a beaucoup alimenté la métaphysique de religions et philosophies, qui, ne tolérant pas que la pensée puisse dériver de l’élaboration d’émotions et que seulement dans cela elle trouve son sens originaire, ont construit des machines de pensée qui se perdent à l’infini dans un rejet de la finitude inscrite dans notre corporéité.33 Le sens et ses changements sont donc produits à partir de « la nature pulsionnelle-émotionnelle du corps » animal et humain, dans son enracinement évolutif et historique, comme le souligne Roberto Finelli34. |
32 A. Sarti, G. Citti, D. Piotrowski, Differential Heterogenesis, Cham, Springer (Lecture Notes in Morphogenesis), 2022. 33 R. Finelli, Filosofia e tecnologia. Una via d’uscita dalla mente digitale, Turin, Rosenberg & Sellier, 2022. 34 R. Finelli, op. cit. |
Plaidant d’une manière générale pour des visions systématiques globales, nous avons, dans le présent texte, franchi un pas de plus en allant au-delà de la généricité des composantes élémentaires des systèmes complexes de la physique et de la spécificité des trajectoires suivies par les dynamiques de leurs réseaux d’interaction – des géodésiques (des optima locaux) dans des « rugged landscapes », même dans le traitement mathématiquement très original de l’émergence dans les réseaux de Parisi. Et nous sommes passé de la généricité des éléments simples, identiques et immuables des systèmes complexes de la physique, à la complexité des composantes spécifiques, historiques et changeantes, d’un réseau écosystémique, en biologie35. Cela fait partie d’un travail scientifique et philosophique pour mieux comprendre les dynamiques historiques et les limites des connaissances scientifiques, toujours constitutives de nouvelles perspectives. Ce sont la complexité et l’historicité de la pensée, de l’activité et de la corporéité de tout individu humain qui modifient les réseaux des interactions sociales et en sont modifiées, qui façonnent la construction d’objectivité et même des objets scientifiques, le choix des observables. Le temps historique émerge des déformations de ces réseaux. Il n’est donc pas « ce qui est mesuré par une horloge », comme nous le dit la physique depuis Aristote et jusqu’à Einstein36 ; il ne scande pas les événements par des fréquences immuables, des oscillations atomiques, car il ne respecte pas les fréquences des horloges physiques — les « accélérations » et les « ralentissements » de l’évolution et de l’histoire par rapport à ces horloges en témoignent. Il n’a donc pas la dimension mathématique du temps thermodynamique, dont l’irréversibilité est statistique — la réversion est très peu probable, mais possible. Il est plutôt un opérateur associé au changement historique du vivant et du social, dont l’irréversibilité est principielle37. |
35 Voir G. Longo, « Emergence vs Novelty Production... », art. cit. 36 G. Longo, « Confusing biological twins and atomic clocks. Today’s ecological relevance of Bergson-Einstein debate on time », in A. Campo & S. Gozzano (éds.), Einstein vs Bergson. An enduring quarrel of time, Berlin, de Gruyter, 2021. 37 Que l’on pense au temps de l’embryogenèse : aucune théorie du vivant ne peut considérer le processus inverse, du bébé au zygote, comme « possible », juste très peu probable, comme le serait tout processus thermodynamique, en physique statistique. Voilà l’« embryon » d’un temps propre de l’histoire. Dans l’approche mathématique des changements évolutifs et historiques (cf. A. Sarti et al., op. cit.), ce temps historique est appelé « Ion », par opposition au « Chronos », le temps thermodynamique. |
Bibliographie Bailly, F., et G. Longo, Mathématiques et sciences de la nature. La singularité physique du vivant, Paris, Hermann, 2006. — « Biological Organization and Anti-Entropy », J. Biological Systems, 17, 1, 2009. Bitbol, M., L’Aveuglante proximité du réel. Anti-réalisme et quasi-réalisme en physique, Paris, Flammarion, 1998. Calude, C., et G. Longo, « The deluge of Spurious Correlations in Big Data », Foundations of Science, 22, 3, 2017. Chollat-Namy, M., et G. Longo, « Entropie, Neguentropie et Anti-entropie : le jeu des tensions pour penser le vivant », in Entropies, Londres, ISTE OpenScience, 2023. Dahan Delmedico, A., et J.-L. Chabert, K. Chemla, Chaos et déterminisme, Paris, Seuil, 1992. Doudna, J., et S. Sternberg, A crack in Creation, the new power to control Evolution, London, Bodley Head, 2017. Edelman, G.M., et J.A. Gally, « Degeneracy and Complexity in biological systems », Proceedings of the National Academy of Science, 24, 2001. Finelli, R., Filosofia e tecnologia. Una via d’uscita dalla mente digitale, Turin, Rosenberg & Sellier, 2022. Fraisopi, F., Besinnung : scienza, complessità e fenomenologia, Rome, Aracne, 2009. Grothendieck, A., La nouvelle Eglise universelle, « Survivre... et vivre », n° 9, août-septembre 1971. Lassègue, J., et G. Longo, Critique de la raison numérique : des mythes de l’Intelligence Artificielle à la révolution silencieuse de l’écriture, Paris, P.U.F., à par. 2025. Le Cun, Y., Leçon inaugurale au Collège de France, chaire d’Intelligence Artificielle, 2016 (https://www.youtube.com/watch?v=TdLa5h-x2nA). Longo, G., préface à F. Fraisopi, Besinnung : scienza, complessità e fenomenologia, Rome, Aracne, 2009. — « Reflections on Concrete Incompleteness », Philosophia Mathematica, 19, 3, 2011. — « Confusing biological twins and atomic clocks. Today’s ecological relevance of Bergson-Einstein debate on time », in A. Campo & S. Gozzano (éds.), Einstein vs Bergson. An enduring quarrel of time, Berlin, de Gruyter, 2021. — « Programmer l’évolution : une faille dans la science », Philosophy World Democracy, 14, 2022. — Le cauchemar de Prométhée. Les sciences et leurs limites, préface de Jean Lassègue, postface d’Alain Supiot, Paris, P.U.F., 2023. — « Emergence vs Novelty Production in Physics vs Biology », in M. Chollat, M. Montévil, D. Robert (éds.), Open Historicity of Life. Theory, epistemology, practice, à par. (2025). — préface à A. Nigrelli et F.S. Tortoriello, Il Liceo matematico : un approccio storico e interdisciplinare all’insegnamento delle scienze e della matematica, Rome, Mimesis, à par. (2025). — et M. Montévil, « Randomness Increases Order in Biological Evolution », LNCS, vol. 7318, 2012. — et M. Montévil, Perspectives on Organisms : Biological Time, Symmetries and Singularities, Dordrecht, Springer, 2014. Marinucci, A., Tra ordine e caos. Metodi e linguaggi tra fisica, matematica e filosofia, Rome, Aracne, 2011. — Theoretical Principles of Relational Biology, Springer, 2023. Monod, J., Le Hasard et la Nécessité, Paris, Seuil, 1970. Montévil, M., et M. Mossio, « Closure of constraints in biological organisation », Journal of Theoretical Biology, vol. 372, 2015. — « The Identity of Organisms in Scientific Practice : Integrating Historical and Relational Conceptions », Frontiers in Physiology, 11, 2020. Nicolis, G., et I. Prigogine, Self-organization in non-equilibrium systems, New York, Wiley, 1977. Nigrelli, A., et F.S. Tortoriello, Il Liceo matematico : un approccio storico e interdisciplinare all’insegnamento delle scienze e della matematica, Rome, Mimesis, à par. (2025). Parisi, G., M. Mézard, M.-A. Virasoro, Spin glass theory and beyond, Singapore, World Scientific, 1987. Sarti, A., G. Citti, D. Piotrowski, Differential Heterogenesis, Cham, Springer (Lecture Notes in Morphogenesis), 2022 Soto, A., G. Longo, D. Noble (éds.), From the century of the genome to the century of the organism. New theoretical approaches, Special issue of Progress in Biophysics and Molecular Biology, 122, 1, 2016. Thom, R., Stabilité structurelle et Morphogénèse, New York, Benjamins, 1972. Turing, A., « The chemical basis of morphogenesis », Phil. Trans. R. Soc., B 237, 1952. |
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______________ 1 A. Marinucci, Tra ordine e caos. Metodi e linguaggi tra fisica, matematica e filosofia, Rome, Aracne, 2011. 2 On appelle graves les corps soumis à la loi du mouvement uniformément accéléré établie par Galilée dans De gravium motu. (Ndlr). 3 J. Lassègue, G. Longo, Critique de la raison numérique : des mythes de l’Intelligence Artificielle à la révolution silencieuse de l’écriture, Paris, P.U.F., à par. 2025. 4 A. Dahan Delmedico, J.-L. Chabert, K. Chemla, Chaos et déterminisme, Paris, Seuil, 1992. 5 G.M. Edelman, J.A. Gally, « Degeneracy and Complexity in biological systems », Proceedings of the National Academy of Science, 24, 2001. 6 M. Montévil, M. Mossio, « Closure of constraints in biological organisation », Journal of Theoretical Biology, vol. 372, 2015. 7 A. Soto, G. Longo, D. Noble (éds.), From the century of the genome to the century of the organism. New theoretical approaches, Special issue of Progress in Biophysics and Molecular Biology, 122, 1, 2016. 8 M. Montévil, M. Mossio, « The Identity of Organisms in Scientific Practice : Integrating Historical and Relational Conceptions », Frontiers in Physiology, 11, 2020. A. Marinucci, Theoretical Principles of Relational Biology, Springer, 2023. 9 F. Jacob, Leçon inaugurale, Collège de France, 1965. Déjà en 1971, A. Grothendieck, immense mathématicien et prophète isolé, considère « scientiste » le livre — théoriquement très rigoureux et fondateur de cette vision du vivant — de J. Monod, Le Hasard et la Nécessité (Paris, Seuil, 1970). Voir A. Grothendieck, La nouvelle Eglise universelle, « Survivre... et vivre », 9, août-septembre 1971. 10 R. Plomin, Blueprint : How DNA Makes Us Who We Are, MIT Press, 2019. 11 F. Fraisopi, Besinnung : scienza, complessità e fenomenologia, Rome, Aracne, 2009. 12 F. Bailly, G. Longo, Mathématiques et sciences de la nature. La singularité physique du vivant, Paris, Hermann, 2006. 13 Leçon inaugurale au Collège de France, chaire d’Intelligence Artificielle, 2016 (https://www.youtube.com/watch?v=TdLa5h-x2nA). 14 F. Bailly et G. Longo, op. cit. 15 G. Longo, « Reflections on Concrete Incompleteness », Philosophia Mathematica, 19, 3, 2011. (Les articles de l’auteur sont téléchargeables sur https://www.di.ens.fr/users/longo/download.html). 16 M. Bitbol, L’Aveuglante proximité du réel. Anti-réalisme et quasi-réalisme en physique, Paris, Flammarion, 1998. 17 G. Longo, M. Montévil, Perspectives on Organisms : Biological Time, Symmetries and Singularities, Dordrecht, Springer, 2014. A. Soto et al., From the century of the genome…, op. cit. 18 A. Turing, « The chemical basis of morphogenesis », Phil. Trans. R. Soc., B 237, 1952. 19 R. Thom, Stabilité structurelle et Morphogénèse, New York, Benjamins, 1972. 20 G. Nicolis, I. Prigogine, Self-organization in non-equilibrium systems, New York, Wiley, 1977. 21 G. Parisi, M. Mézard, M.-A. Virasoro, Spin glass theory and beyond, Singapore, World Scientific, 1987. 22 F. Bailly, G. Longo, « Biological Organization and Anti-Entropy », J. Biological Systems, 17, 1, 2009. 23 M. Chollat-Namy, G. Longo, « Entropie, Neguentropie et Anti-entropie : le jeu des tensions pour penser le vivant », in Entropies, Londres, ISTE OpenScience, 2023. 24 F. Bailly, G. Longo, « Biological Organization … », art. cit. ; G. Longo, M. Montévil, « Randomness Increases Order in Biological Evolution », LNCS, vol. 7318, 2012. 25 G. Longo, « Emergence vs Novelty Production in Physics vs Biology », in M. Chollat, Y. Montévil, X. Robert (éds.), Open Historicity of Life. Theory, epistemology, practice, à par. (2025). 26 Préface à F. Fraisopi, op. cit. 27 Préface de G. Longo à A. Nigrelli et F.S. Tortoriello, Il Liceo matematico : un approccio storico e interdisciplinare all’insegnamento delle scienze e della matematica, Rome, Mimesis, à par. (2025). 28 J. Doudna, S. Sternberg, A crack in Creation, the new power to control Evolution, London, Bodley Head. 2017. Pour un compte rendu de ce livre de la Prix Nobel 2020, J. Doudna, voir G. Longo, « Programmer l’évolution : une faille dans la science », Philosophy World Democracy, 14, 2022. 29 G. Longo, Le cauchemar de Prométhée. Les sciences et leurs limites, Préface de Jean Lassègue, postface d’Alain Supiot, Paris, P.U.F., 2023. 30 Leçon inaugurale au Collège de France, chaire IA, 2016, op. cit. 31 C. Calude, G. Longo, « The deluge of Spurious Correlations in Big Data », Foundations of Science, 22, 3, 2017. 32 A. Sarti, G. Citti, D. Piotrowski, Differential Heterogenesis, Cham, Springer (Lecture Notes in Morphogenesis), 2022. 33 R. Finelli, Filosofia e tecnologia. Una via d’uscita dalla mente digitale, Turin, Rosenberg & Sellier, 2022. 34 R. Finelli, op. cit. 35 Voir G. Longo, « Emergence vs Novelty Production... », art. cit. 36 G. Longo, « Confusing biological twins and atomic clocks. Today’s ecological relevance of Bergson-Einstein debate on time », in A. Campo & S. Gozzano (éds.), Einstein vs Bergson. An enduring quarrel of time, Berlin, de Gruyter, 2021. 37 Que l’on pense au temps de l’embryogenèse : aucune théorie du vivant ne peut considérer le processus inverse, du bébé au zygote, comme « possible », juste très peu probable, comme le serait tout processus thermodynamique, en physique statistique. Voilà l’« embryon » d’un temps propre de l’histoire. Dans l’approche mathématique des changements évolutifs et historiques (cf. A. Sarti et al., op. cit.), ce temps historique est appelé « Ion », par opposition au « Chronos », le temps thermodynamique. Résumé : La décomposition analytique du monde est supposée être au cœur de son intelligibilité, au moins depuis la « révolution scientifique ». Comme dans l’écriture alphabétique, l’empilement de l’élémentaire et du simple devrait permettre d’atteindre ce qui est « complexe ». On esquissera certains passages critiques vers des visions plus riches des dynamiques physiques, puis biologiques, dont les composantes élémentaires sont complexes et spécifiques (historiques) et produisent de la nouveauté, entre ordre et désordre, variabilité et invariance, stabilité et instabilité. Resumo : A descomposição do mundo é supostamente na base da sua inteligibilidade, ao menos desde a “revolução científica”. Como na escrita alfabética, a combinação do elementar e do simples deveria permitir alcançar o que é “complexo”. Esboçaremos alguns persursos críticos rumo visões mais ricas das dinâmicas físicas, e biológicas, cujos componentes elementares, sendo complexos e específicos (históricos), produzem novedade, entre ordem e desordem, variabilidade e invariabilidade, stabilidade e instabilidade. Abstract : The analytical decomposition of the world is supposed to be at the heart of its intelligibility, at least since the “scientific revolution”. As in alphabetical writing, the stacking of the elementary and simple should make it possible to reach what is “complex”. We will outline certain critical passages towards richer visions of physical, then biological, dynamics, whose elementary components are complex and specific (historical) and produce new structures, between order and disorder, variability and invariance, stability and instability. Mots clefs : complexité, dynamiques physiques, évolution darwinienne, Intelligence Artificielle, pensée humaine. Auteurs cités : F. Bailly, M. Bitbol., R. Finelli, J. Monod, G. Parisi, A. Soto., R. Thom, A. Turing. Plan : |
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Recebido em 24/09/2024. / Aceito em 10/10/2024. |