Débat : Actualité sémiotique de l’actualité ?

Regarder la vie passer.
Notes pour une socio-sémiotique
de l’actualisation temporelle

Ruggero Eugeni
Università Cattolica del Sacro Cuore di Milano

 

Publié en ligne le 31 décembre 2024
https://doi.org/10.23925/2763-700X.2024n8.70088
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Introduction : le spectacle du quotidien

Dans le bel essai que j’ai été invité à discuter, Eric Landowski adopte une démarche typiquement latourienne : il introduit une opposition entre deux dimensions du présent — les pratiques du quotidien et les récits de l’actualité — et développe ensuite les multiples formes de leur entrelacement, de leurs compromis et hybridations1 . Parmi ces formes, j’en isolerai une en particulier : celle par laquelle certaines pratiques du quotidien — du « quotidien des autres » — deviennent l’objet d’une actualité, ou d’une pseudo actualité, et dans tous les cas d’un spectacle à l’intérieur des médias sociaux.

1 « Suivre l’actualité, pourquoi ? Sens et insignifiance d’une pratique », Acta Semiotica, IV, 8, 2024.

Il ne s’agit pas ici de saisir une actualité saillante — bien que, comme le note Landowski, certaines pratiques ainsi prises en compte puissent se référer à des situations d’urgence susceptibles de « faire l’actualité » (vie dans un camp de réfugiés, témoignage depuis un hôpital psychiatrique, etc.). On ne peut pas non plus dire que ces morceaux de vie quotidienne mis en scène dans les réseaux sociaux fassent l’objet du bouche à oreille et participent à ce titre de l’« opinion publique » — même si certains thèmes de « conversation générale » émergent de ces petites scènes de vie, notamment par des processus d’extrapolation et de transformation en « memes » (par exemple, un détail de la vie d’un homme politique). En fait, il s’agit souvent (je reprends toujours les remarques de Landowski) de fragments rassurants, descriptifs et durables, soumis à des processus de sérialisation — encore qu’ils puissent aussi faire une place à l’irruption inattendue d’un événement unique plus ou moins tensif (la vague d’un tsunami en marche, les explosions soudaines d’un attentat, etc.).

En d’autres termes, je voudrais explorer (de manière nécessairement fragmentaire et tout à fait partielle) la question du « quotidien des autres » d’un point de vue particulier : j’avancerai l’hypothèse que ces produits médiatiques spécifiques, courts ou même molaires, constituent la manifestation la plus récente et la plus spécifique d’une pratique spectatorielle plus générale et plus durable, consistant à « regarder la vie passer ».

Je tenterai d’abord d’identifier certaines caractéristiques de cette configuration transversale par rapport à différents types de situations et de dispositifs de visionnage comme aussi à différentes conditions historiques et culturelles ; et j’explorerai ensuite un aspect particulier de cette configuration : son caractère temporel spécifique, qui s’avèrera assez différent des formes d’organisation narrative traditionnellement explorées par la sémiotique.

1. Regarder la vie passer :
ébauche d’une pratique sociale et discursive

Le terme « un passant » désigne comme chacun sait « une personne qui se déplace à pied sur une voie publique » (Larousse) ; il identifie immédiatement l’objet d’un regard, c’est-à-dire un individu « commun », plus ou moins distrait, non conscient ou insoucieux de l’attention qu’il suscite, et qui, confondu parmi des dizaines ou des centaines d’autres, passe dans un espace social, le plus souvent urbain. Les dictionnaires insistent moins sur l’élément nécessairement complémentaire : pour chaque objet du regard, il y a un sujet de ce regard, c’est-à-dire un observateur en train d’observer, ou simplement — dans une posture manifestement statique et de manière plus ou moins insouciante — de regarder le passant passer. Le ou la passant(e), à son tour, peut faire irruption dans la scène observée sous une forme plus ou moins inattendue, comme celle dont la beauté, un instant, aveugle Baudelaire,

Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître.2

2 Ch. Baudelaire, « A une Passante » (1855), Les Fleurs du mal, Paris, Auguste Poulet-Malassis, 2e éd., 1861.

Cette citation n’est pas fortuite, car la figure du flâneur thématisée par Baudelaire constitue une émergence typique de l’observateur qui ne se contente pas de regarder mais se tient attentif aux mille sollicitations imprévisibles de la scène observée. Un élément en particulier me semble rattacher le flâneur à la configuration de l’observateur de la vie qui passe : son détachement de la scène observée, l’absence affichée d’une relation existentielle immédiate avec le système spatio-temporel observé.

L’observateur est un prince qui jouit partout de son incognito.3

3 Id., Le peintre de la vie moderne (1863), Paris, Fayard, 2010.

Il s’agit donc d’une figure qui exalte au plus haut point la règle constitutive qui définit tout observateur, selon laquelle

ni l’observateur ni l’observé ne manifestent leur relation [de telle façon qu’] aucun énoncé, ni verbal ni gestuel, ne passe entre eux (leurs regards ne se croisent pas non plus).4

4 S. Alexandrescu, « Observateur », in A.J. Greimas et J. Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raissonné de la théorie du langage, Tome 2, Paris, Hachette, 1986, p. 157.

Mais la ressemblance du flâneur avec le simple spectateur de la vie qui passe n’est que superficielle. Bien plus : elle est trompeuse ! Le flâneur, en effet, n’est qu’apparemment un sujet passif ; en réalité, c’est un explorateur infatigable de l’espace urbain5. Walter Benjamin, à la suite de Baudelaire, le compare au détective du roman policier classique6 : même lorsqu’il semble paresser dans une position de pure réception, le flâneur est, vis-à-vis de son environnement, un fureteur attentif et entreprenant. Il ne se borne pas à enregistrer ce qui se passe ; c’est un raisonneur toujours prêt à tirer parti de ce qu’il constate. Son modèle est Auguste Dupin, lui qui, protégé par une paire d’épaisses lunettes en verre vert, patrouille sans le manifester le bureau du Ministre et localise l’endroit où la lettre volée a été cachée7.

Le spectateur de la vie qui passe manifeste un régime de présence différent : il est moins passager responsable et plus voyageur disponible, toujours ouvert à un regard esthétique8. En ce sens, ce type d’observateur n’a pas de but pratique et cognitif spécifique : bien sûr, il pourrait être, par exemple, un policier ou un voleur, mais en ce cas le passant deviendrait autre chose, un suspect ou une cible ; en réalité il regarde plutôt le passant passer comme il regarde toute la petite scène de la vie se dérouler devant lui, en se mettant à la disposition de son activité perceptive.

5 Jean-Marie Floch ne nous contredirait certainement pas sur ce point. Cf. « Êtes-vous arpenteur ou somnambule ? », Sémiotique, marketing et communication, Paris, P.U.F., 1990, pp. 34 sq.


6 W. Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle. Le Livre des passages, Paris, Cerf, 3e éd., 1997.


7 E.A. Poe, « La lettre volée » (The purloined letter, 1845), in Histoires extraordinaires, trad. Ch. Baudelaire, Paris, Michel Lévy, 1856.


8 E. Landowski, Présences de l’autre, Paris, P.U.F., 1997, pp. 99-104.

D’où deux caractéristiques centrales concernant le type d’observateur qui (par opposition au flâneur tel que nous venons de l’évoquer) nous intéresse spécialement : d’une part, la pertinence absolue des aspects « de surface », aspects sensibles et matériels de la scène observée, surtout dans leur aspect dynamique : la vie « passe » au sens où elle bouge, frémit, se déroule, se retire, etc. D’autre part, une attitude préétablie de préparation à l’aléatoire, à l’imprévu qui peut éclater soudainement mais qui s’exprime le plus souvent par des transformations minimales qui requièrent des régimes d’attention spécifiques.

Cette pratique de l’observation de la vie qui passe, tout en constituant avant tout un type de pratique sociale, a donné lieu à diverses transpositions textuelles et discursives, à la fois comme récits de ce type d’expérience et comme sa réactivation mimétique dans les expériences particulières de la lecture, de l’écoute ou du visionnage de textes : il suffit de penser à l’art de la description propre à la peinture flamande ou au roman du XIXe siècle9, mais les exemples pourraient être multipliés.

Ce type de pratique a connu une diffusion particulière au sein de la modernité, avec les nouvelles conditions perceptives et expérientielles constituées par la métropole des XIXe et XXe siècles et par les nouvelles technologies sonores et visuelles10. Ce n’est pas un hasard si la réflexion et la pratique de la recherche phénoménologique, à laquelle la sémiotique elle-même doit de nombreux éléments de reformulation et de développement, au moins à partir du « tournant esthésique »11, sont nées dans ce contexte.

9 S. Alpers, L’art de dépeindre. La peinture hollandaise au XVIIe siècle (1983), Paris, Gallimard, 1990. J. Geninasca, « Le regard esthétique », Actes sémiotiques – Documents, VI, 58, 1984.


10 Cf. J. Crary, Techniques de l’observateur. Vision et modernité au XIXe siècle (1990), Bellevaux, Éditions Dehors, 2016.


11 Cf. E. Landowski, « Pour un sémiotique sensible », Passions sans nom, Paris, P.U.F., 2004, pp. 39-56.

On comprend que dans ces conditions la pratique et l’expérience consistant à regarder la vie passer aient trouvé, avec le cinéma, un terrain expressif privilégié (au double sens de re-présentation et de ré-activation spectatorielle), en particulier à partir de cette situation toute spéciale qu’est la « situation de cinéma » : une configuration qui permet d’expérimenter la salle comme un « lieu de disponibilité... [et d’] oisiveté du corps »12. C’est effectivement le dispositif du cinéma qui consacre pleinement l’expérience consistant à regarder la vie passer. Cela grâce à une articulation spécifique de plusieurs éléments « de passage » qui se présentent simultanément : mouvement des sujets, des objets et de la caméra qui innerve les images ; sauts et transitions du montage ; transformations sensorielles produites par le clignotement de la lumière et des ombres sur l’écran et par les modulations du flux sonore ; et, surtout, les différentes combinaisons et imbrications de ces multiples flux de transformations qui agissent souvent à des vitesses différentes. Ce qui provoque cet effet particulier : l’« effet-réalité de l’émotion de cinéma : un saisissement d’idée à travers un saisissement du corps »13.

12 R. Barthes, « En sortant du cinéma », Communications, 23, 1975, pp. 104-107.


13 R. Bellour, Le corps du cinema. Hypnoses – émotions – animalités, Paris, POL Traffic, 2009, p. 130.

A partir de ce cadre, je voudrais dégager un premier ordre de considérations et d’hypothèses : si le cinéma a hérité de la mimesis des pratiques sociales d’observation de la vie qui passe, cet héritage s’est progressivement transmis à d’autres médias audiovisuels avec des fortunes diverses, et trouve aujourd’hui une puissante incarnation dans les fragments audiovisuels diffusés dans et par les médias visuels sociaux qui explorent et prétendent rapporter le « quotidien des autres ».

Voici quelques exemples tirés presque au hasard de ce qui se donne à voir tous les jours et à toute heure sur un média social tel que TikTok : une foule bigarrée de soldats avançant prudemment sur le champ de bataille avec la bande sonore de différents coups de feu, tantôt doux, tantôt secs, tantôt cadencés, tantôt compacts ; les myriades d’artisans réparant de vieux jouets, chaussures ou instruments de musique avec des gestes précis rehaussés de détails chirurgicaux, accompagnés des milliers de sons produits par les matières qu’ils traitent (le véritable protagoniste de l’action) ; la multitude d’hommes et de femmes de tous âges cuisinant des plats plus ou moins élaborés en montrant les mille prouesses de la transformation des matières premières à travers le grésillement de la friture, le rythme lent de l’ébullition, les explosions soudaines de la flambée ; et ainsi de suite.

En bref, la gamme sans fin de scènes de la vie ordinaire auxquelles les réseaux sociaux nous permettent d’accéder ne sont rien d’autre qu’une nouvelle concrétisation d’une pratique ancienne que les technologies visuelles et sonores assument et perfectionnent précisément à partir de leurs propres limites et imperfections14.

14 A.J. Greimas, De l’Imperfection, Périgueux, Fanlac, 1987.

2. Du raisonnement à l’actualisation temporels

Toutefois, opposer terme à terme l’attitude du flâneur — attitude observatrice active et orientée vers un but — et celle propre au spectateur de la vie qui passe — attitude complètement ouverte au hasard et à la richesse sensorielle — est un petit artifice : en fait, à partir de leur commun détachement de la scène observée, les deux attitudes constituent deux pôles entre lesquels les pratiques et les expériences concrètes oscillent constamment.

Même le cinéma a connu et connaît cette polarisation. Elle a été exprimée de manière exemplaire par Gilles Deleuze moyennant la distinction qu’il établit entre une image-mouvement propre au cinéma classique — qui se concentre sur une série d’actions et de réactions — et une image-temps, propre au cinéma moderne, qui crée au contraire des « situations purement optiques et sonores ». Si dans le cinéma classique « les personnages (...) réagissaient aux situations », dans la modernité cinématographique « le personnage est devenu une sorte de spectateur (...). Il est livré à une vision, poursuivi par elle ou la poursuivant, plutôt qu’engagé dans une action »15. Et si « la situation sensori-motrice [du cinéma classique] a pour espace un milieu bien qualifié, et suppose une action qui la dévoile, ou suscite une réaction qui s’y adapte ou la modifie... une situation purement optique ou sonore [typique du cinéma moderne] s’établit dans ce que nous appelions “espace quelconque”, soit déconnecté, soit vidé »16.

15 G. Deleuze, Cinéma 2. L’image-temps, Paris, Minuit, 1985, p. 9.


16 Op. cit., p. 13.

Il me semble approprié de rapporter les deux régimes cinématographiques dégagés par Deleuze à deux modèles de perception du temps qui ont été récemment focalisés par Christoph Hoerl et Teresa McCormack17 en rassemblant un grand nombre de preuves expérimentales relatives à la perception du temps chez les animaux et les humains. Selon les auteurs, la cognition temporelle dépend de deux systèmes distincts que nous utilisons pour donner un sens aux flux de transformations dans lesquels nous sommes plongés. Le premier système, appelé par les auteurs temporal updating – « actualisation » temporelle – est phylogénétiquement et ontogénétiquement plus primitif (au point d’être commun à l’homme et aux autres animaux). Il consiste à actualiser en permanence une carte représentant les états de fait qui entourent le sujet : il s’agit donc d’un processus qui s’effectue en ligne, en présence directe des niches environnementales qui entourent et accueillent le sujet. Le second système, qui requiert un degré de développement plus avancé et n’est propre à l’homme qu’à partir de l’âge de cinq ans environ, est appelé temporal reasoningraisonnement temporel. Il consiste à assembler, désassembler et réassembler des constructions temporelles complexes qui ne sont pas physiquement présentes (qui sont, autrement dit, « hors ligne »), afin de comprendre à la fois les relations réciproques entre les différents mondes temporels et les relations entre ceux-ci et le présent dans lequel se déroule l’activité du sujet. En tout état de cause, l’avènement du raisonnement temporel chez l’homme adulte n’annule pas la capacité et l’activité d’actualisation temporelle : hors ligne et en ligne, les deux systèmes fonctionnent en collaboration dans la mesure où ils maintiennent leur distinction mentale et neuronale18.

17 C. Hoerl et T. McCormack, « Thinking in and about time : A dual systems perspective on temporal cognition », Behavioral and Brain Sciences, 42, 244, 2019.


18 En italien, l’auteur adopte une opposition terminologique plus parlante que la traduction française : « aggiornamento temporale » vs « ragionamento temporale ». (Ndlr).

Sur la base de ces considérations, je voudrais dégager un deuxième ordre de considérations et d’hypothèses. Elles s’articulent avec celles du paragraphe précédent et les complètent. Si le cinéma classique, selon la définition de Deleuze, privilégie les formes de raisonnement temporel, le cinéma moderne redécouvre et valorise les formes plus primitives et (au moins apparemment) élémentaires de l’actualisation temporelle. Par opposition aux activités d’observation focalisée du monde — activités caractéristiques de la flânerie et qui à ce titre impliquent le raisonnement temporel avec une plus grande intensité —, les pratiques consistant à simplement regarder la vie passer, à constater, sans plus, ou à contempler ce qui se passe, pleinement valorisées par le cinéma moderne, reposent sur un déploiement relativement pur d’activités d’actualisation temporelle. Le spectateur de la vie qui passe, comme le spectateur ou le personnage du cinéma moderne, sont ouverts aux modulations sensorielles et perceptives incessantes et infinies du monde qui les entoure, engagés à donner du sens à l’ici et maintenant qu’ils vivent sur la base d’un processus immédiat de modulation dans lequel les transformations perçues à l’extérieur et celles perçues à l’intérieur de leur corps s’alignent et s’échangent en permanence. C’est précisément ce type d’activité qu’on trouve le plus souvent dans les pratiques d’observation du « quotidien des autres » qui occupent une grande partie des usages audiovisuels des médias sociaux.

Conclusion

Je viens d’avancer deux hypothèses. La première est que l’attention constante et capillaire aujourd’hui massivement portée sur les manifestations du « quotidien des autres » dans les pratiques d’usage des médias sociaux constitue la forme la plus récente d’une configuration spectatorielle ancienne, qu’on peut définir comme « regarder la vie passer ». J’ai tenté de reconstruire certains traits caractéristiques de cette configuration (le détachement de la scène observée, la disponibilité à l’inattendu et à l’occasionnel, la pertinence des aspects sensoriels, matériels et dynamiques) ; et j’ai mis en évidence certains moments de son « archéologie » : en particulier, j’ai analysé certaines situations de la modernité qui conduisent à l’expérience propre au dispositif cinématographique.

La seconde hypothèse est que la configuration spectatorielle du simple constat ou de la contemplation de la vie qui passe implique un modèle de perception temporelle fondé sur l’inlassable actualisation d’une carte mentale qui rend compte aussi bien des différents aspects de la niche environnementale dans laquelle le sujet-organisme est inséré que de leur variation et co-variation avec les états internes du sujet lui-même (ce qui pourrait expliquer le caractère souvent addictif de cette pratique). Ce modèle diffère de celui, plus élaboré, du « raisonnement temporel », qui consiste plutôt en une articulation narrative de systèmes temporels complexes.

 

En conclusion, il me semble que ce cheminement m’a amené à déceler un certain vide théorique. Les acquisitions de la sémiotique et de la narratologie ont été opportunément utilisées (notamment par Paul Ricœur19) pour comprendre comment les intrigues textuelles constituent des outils pour la reconfiguration de l’expérience temporelle du destinataire du texte ; il s’agit clairement de réflexions et d’analyses relevant du raisonnement temporel, grande vedette tant de l’analyse du récit que de l’herméneutique narrative du temps. Par comparaison, ce qui me semble manquer encore aujourd’hui, et que les pratiques d’observation de la vie qui s’écoule dans le quotidien des autres réclament de toute urgence, c’est une analyse de l’expérience temporelle liée aux formes de l’actualisation temporelle. Il s’agit là d’une temporalité liée au déploiement de cette immédiateté que nous nous obstinons à réduire au présent, mais à laquelle nous devons peut-être l’essentiel de notre expérience du temps.

19 P. Ricœur, Temps et récit, 3 vol., Paris, Seuil, 1983-1985.


Ouvrages cités

Alexandrescu, Sorin, « Observateur », in A.J. Greimas et J. Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raissonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, tome 2, 1986.

Alpers, Svetlana, L’art de dépeindre. La peinture hollandaise au XVIIe siècle (1983), Paris, Gallimard, 1990.

Barthes, Roland, « En sortant du cinéma », Communications, 23, 1975.

Baudelaire, Charles, « A une Passante » (1855), Les Fleurs du mal, 2e éd., Paris, Auguste Poulet-Malassis, 1861.

Le peintre de la vie moderne (1863), Paris, Fayard, 2010.

Bellour, Raymond, Le corps du cinema. Hypnoses - émotions – animalités, Paris, POL Traffic, 2009.

Benjamin, Walter, Paris, capitale du XIXe siècle : Le Livre des passages, 3e éd., Paris, Cerf, 1997.

Crary, Jonathan, Techniques de l’observateur : Vision et modernité au XIXe siècle (1990), Bellevaux, éditions Dehors, 2016.

Deleuze, Gilles, Cinéma 2. L’image-temps, Paris, Minuit, 1985.

Floch, Jean-Marie, Sémiotique, marketing et communication, Paris, P.U.F., 1990.

Geninasca, Jacques, « Le regard esthétique », Actes sémiotiques – Documents, VI, 58, 1984.

Algirdas J. Greimas, De l’Imperfection, Périgueux, Fanlac, 1987.

Hoerl, Christoph, et Teresa McCormack, « Thinking in and about time : A dual systems perspective on temporal cognition », Behavioral and Brain Sciences, 42, 2019.

Landowski, Eric, Présence de l’autre. Essais de socio-sémiotique II, Paris, P.U.F., 1997.

— « Pour un sémiotique sensible », Passions sans nom. Essais de socio-sémiotique III, Paris, P.U.F., 2004.

— « Suivre l’actualité, pourquoi ? Sens et insignifiance d’une pratique », Acta Semiotica, IV, 8, 2024.

Poe, Edgar Allan, La lettre volée (The purloined letter, 1845), Histoires extraordinaires, trad. Ch. Baudelaire, Paris, Michel Lévy, 1856.

Ricœur, Paul, Temps et récit, Paris, Seuil, 3 vol., 1983-1985.

 


1 « Suivre l’actualité, pourquoi ? Sens et insignifiance d’une pratique », Acta Semiotica, IV, 8, 2024.

2 Ch. Baudelaire, « A une Passante » (1855), Les Fleurs du mal, Paris, Auguste Poulet-Malassis, 2e éd., 1861.

3 Id., Le peintre de la vie moderne (1863), Paris, Fayard, 2010.

4 S. Alexandrescu, « Observateur », in A.J. Greimas et J. Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raissonné de la théorie du langage, Tome 2, Paris, Hachette, 1986, p. 157.

5 Jean-Marie Floch ne nous contredirait certainement pas sur ce point. Cf. « Êtes-vous arpenteur ou somnambule ? », Sémiotique, marketing et communication, Paris, P.U.F., 1990, pp. 34 sq.

6 W. Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle. Le Livre des passages, Paris, Cerf, 3e éd., 1997.

7 E.A. Poe, « La lettre volée » (The purloined letter, 1845), in Histoires extraordinaires, trad. Ch. Baudelaire, Paris, Michel Lévy, 1856.

8 E. Landowski, Présences de l’autre, Paris, P.U.F., 1997, pp. 99-104.

9 S. Alpers, L’art de dépeindre. La peinture hollandaise au XVIIe siècle (1983), Paris, Gallimard, 1990. J. Geninasca, « Le regard esthétique », Actes sémiotiques – Documents, VI, 58, 1984.

10 Cf. J. Crary, Techniques de l’observateur. Vision et modernité au XIXe siècle (1990), Bellevaux, Éditions Dehors, 2016.

11 Cf. E. Landowski, « Pour un sémiotique sensible », Passions sans nom, Paris, P.U.F., 2004, pp. 39-56.

12 R. Barthes, « En sortant du cinéma », Communications, 23, 1975, pp. 104-107.

13 R. Bellour, Le corps du cinema. Hypnoses – émotions – animalités, Paris, POL Traffic, 2009, p. 130.

14 A.J. Greimas, De l’Imperfection, Périgueux, Fanlac, 1987.

15 G. Deleuze, Cinéma 2. L’image-temps, Paris, Minuit, 1985, p. 9.

16 Op. cit., p. 13.

17 C. Hoerl et T. McCormack, « Thinking in and about time : A dual systems perspective on temporal cognition », Behavioral and Brain Sciences, 42, 244, 2019.

18 En italien, l’auteur adopte une opposition terminologique plus parlante que la traduction française : « aggiornamento temporale » vs « ragionamento temporale ». (Ndlr).

19 P. Ricœur, Temps et récit, 3 vol., Paris, Seuil, 1983-1985.

 

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Résumé : Cet article propose deux hypothèses. La première est que les pratiques d’observation du « quotidien des autres » à travers les médias sociaux reprennent et prolongent une pratique sociale plus large et plus ancienne déjà adoptée par le cinéma moderne : celle consistant à « regarder la vie passer ». La seconde hypothèse est que l’analyse de cette pratique, et donc des micro- ou nano-discours des médias sociaux, nécessite le développement d’une socio-sémiotique de l’actualisation temporelle, distincte et complémentaire d’une analyse déjà établie du raisonnement temporel narratif.


Resumo : O artigo propõe duas hipóteses. A primeira é que as práticas de observação do “quotidiano dos outros” através das mídias sociais retomam e prolongam uma prática social mais ampla e mais antiga, já adotada pelo cinema moderno : o simples “olhar o passar da vida”. A segunda hipótese é que a análise desta prática, e, portanto, dos micro- ou nano-discursos das mídias sociais, necessita o desenvolvimento de uma sociossemiótica da atualisação temporal, distinta e complementar da análise já estabelecida do raciocínio temporal narrativo.


Abstract : This article puts forward two hypotheses. The first is that the practices of observing the ‘everyday of others’ through social media resume and prolong a broader and older social practice already embraced by modern cinema : the ‘watching life going by’. The second hypothesis is that the analysis of this practice and thus of social media micro- or nano-discourses requires the development of a socio-semiotics of temporal updating as distinct from and complementary to an already established analysis of narrative temporal reasoning.


Riassunto : Questo intervento avanza due ipotesi. La prima è che le pratiche di osservazione del “quotidiano degli altri” attraverso i social media riprendano e prolunghino una pratica sociale più ampia e antica già fatta propria dal cinema moderno : il “guardare la vita che passa”. La seconda ipotesi è che l’analisi di questa pratica e quindi dei micro o nano-discorsi dei social media richiede la messa a punto di una socio-semiotica dell’aggiornamento temporale (temporal updating) in quanto distinta da e complementare a un’analisi già assodata del ragionamento temporale (temporal reasoning) narrativo.


Mots clefs : expérience temporelle, médias sociaux, observateur, temporalité.


Auteurs cités : Sorin Alexandrescu, Svetlana Alpers, Roland Barthes, Raymond Bellour, Walter Benjamin, Jonathan Crary, Gilles Deleuze, Jean-Marie Floch, Jacques Geninasca, Christoph Hoerl et Teresa McCormack, Eric Landowski, Paul Ricœur.


Plan :

Introduction : le spectacle du quotidien

1. Regarder la vie passer : ébauche d’une pratique sociale et discursive

2. Du raisonnement à l’actualisation temporels

Conclusion

 

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Recebido em 11/11/2024. / Aceito em 10/12/2024.