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IV, 8, 2024
A la mémoire de Kestutis Nastopka Eric Landowski
Publié en ligne le 31 décembre 2024
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Kestutis Nastopka, un de nos meilleurs amis en sémiotique depuis plus de trente ans, est mort à Vilnius le 23 juillet 2024. Il était avant tout, à nos yeux, un amoureux de la création verbale, un esprit poétique. Pendant toute sa vie, la poésie et la mythologie seront ses objets d’étude préférés. Il a d’abord été, durant les années 1950-60, professeur de littérature. Mais aussi, bientôt, critique littéraire — un critique écouté, vite devenu un familier des principaux écrivains lithuaniens de son temps, pléiade moderniste peu appréciée, on le devine, par le régime soviétique (auquel, comme il le disait lui-même, il croyait... jusqu’à l’invasion de Prague en 1968). Après une formation tournée vers le formalisme russe et l’approche lotmanienne de la culture — seules théories d’avant-garde accessibles dans le champ des humanités sous ce même régime —, il noue des rapports avec Greimas à l’occasion de ses deux voyages en Lithuanie, en 1971 et 1979. Il lui soumet ses premières recherches, en reçoit des encouragements, devient un de ses correspondants assidus. C’est ainsi que, de fil en aiguille, dès la fin des années 1980, et plus encore après la mort de Greimas (en 1992), il s’affirme comme un pionnier de la sémiotique structurale en Lithuanie, un des rares pays européens où elle s’est implantée durablement. Il aura en effet su réunir un cercle intellectuel dont la vivacité, la diversité interne, la productivité (et la convivialité) rappellent le fonctionnement du « club sémiotique » dont Greimas s’était entouré à l’Ecole des Hautes Etudes, à Paris, dans les années 1970. Le plus significatif à cet égard restera pour nous le « Séminaire interdisciplinaire » que Nastopka ne cessa d’animer au département de philologie de l’université de Vilnius pendant pas moins de vingt-cinq ans (1993-2018). Au bout de la grande table, à sa droite, son complice Saulius Žukas, lui aussi fidèle correspondant du « Maître » exilé en France ; à sa gauche — ou en face —, Arunas Sverdiolas, compagnon de route exerçant sur les intervenants le regard critique du philosophe phénoménologue. Là, chaque jeudi, se côtoient une quarantaine d’étudiants et de chercheurs confirmés, littéraires surtout, mais aussi folkloristes, philosophes, sociologues, et même un mathématicien. Les exposés et les débats, enregistrés, sont méticuleusement transcrits et mis à la disposition de chacun. Entrecoupées par les rires, les discussions sont si passionnées que souvent elles se prolongent d’une semaine à la suivante (et en tout cas, sans exception, au café de l’immédiat après-séminaire). En cet espace de réflexion théorique, de rencontre interdisciplinaire et de confrontation avec l’extérieur, comparaîtront divers membres de l’équipe parisienne, dont certains très régulièrement d’année en année. L’auteur de ces lignes a beaucoup appris de ces échanges. Mais l’œuvre de Nastopka, c’est aussi la mise en place d’un centre de recherche — le « Greimo Centras » —, et d’un programme d’enseignement de la sémiotique greimassienne sans doute sans équivalent dans le reste du monde (sauf peut-être à São Paulo) à raison de son caractère systématique : former des sémioticiens qui maîtrisent avant tout les bases de la discipline (qui, en particulier, sachent s’y retrouver dans le Dictionnaire Greimas-Courtés, et s’en servir créativement), tel était pour Nastopka — et tel reste pour ses successeurs actuels — le premier objectif visé. Cela sans exclure une grande attention aux divers développements de la sémiotique « post-greimassienne ». D’où, aussi, l’énorme travail de traductions, dont en particulier celle de Sémantique structurale et du Maupassant (sans compter de très nombreux articles), travail accompli au fil des années par Nastopka lui-même ainsi que Saulius Žukas et d’autres parmi leurs proches, puis par certains de leurs plus jeunes collègues. |
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Cette œuvre, c’est enfin un ensemble considérable de publications personnelles1. Les premières, du point de vue chronologique, sont des études critiques parues dans les principales revues littéraires lithuaniennes ; sa signature y restera fréquemment présente jusqu’à la fin. Cependant, une fois adoptée la perspective structurale, il voit la nécessité d’un lieu d’expression autonome : ce sera, là encore avec la complicité de Saulius Žukas (entre temps devenu éditeur), la création de la revue lithuanienne de sémiotique, Baltos lankos, à laquelle succèdera, à partir de 2020, la revue « en ligne » Semiotika (titre précédemment attribué à une série de monographies). Suivra bientôt une collection de livres où paraîtront notamment deux de ses principaux ouvrages, Poétique du sens (2002) et Sémiotique littéraire (2019). Nastopka le répétait souvent : sa prétention n’était pas d’être un « grand théoricien ». Il laissait ce rôle à celui qu’il appelait « mon Destinateur ». A travers ses très nombreuses analyses de textes littéraires il n’en a pas moins contribué à donner à la sémiotique lithuanienne sa couleur propre. Minutie, didactisme, engagement, tels pourraient en être les traits dominants, s’il était possible d’enfermer en trois mots le produit vivant d’une culture. Le fait qu’à l’exception de quelques articles parus en français ou en anglais, ses travaux ne soient disponibles qu’en lithuanien (et quelques-uns en russe ou en letton) rend certes leur accès problématique au public étranger. En revanche, leur écho non seulement dans le milieu universitaire mais aussi auprès de toute l’intelligentsia lithuanienne ne fait aucun doute. Kestutis Nastopka n’a-t-il pas reçu en 2012, des mains de la présidente de la République, le Prix national lithuanien pour la culture et l’art ? Ce prix, qui n’avait jusqu’alors jamais été attribué qu’à des écrivains, lui fut décerné pour l’ensemble de son œuvre et plus précisément « pour le développement de l’école lithuanienne de sémiotique et l’art de décrypter les œuvres littéraires ». Avoir été si longtemps un de ses nombreux amis a été un plaisir et reste un honneur ! |
1 On trouvera une bibliographie, exhaustive pour la période s’étendant de 1959 à 2021 (pas moins de 687 items !), dans Semiotika, 16, 2021, pp. 389-483. |
1 On trouvera une bibliographie, exhaustive pour la période s’étendant de 1959 à 2021 (pas moins de 687 items !), dans Semiotika, 16, 2021, pp. 389-483. |
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