Le point sémiotique

Pour une sémiotique écosocialiste
des relations de l’homme avec son
environnement : phúsis et tékhnai

Claude Calame
École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris

 

Publié en ligne le 23 décembre 2023
https://doi.org/10.23925/2763-700X.2023n6.64707
Version PDF

 

 

Introduction

Canicules à répétition, sécheresse persistante, incendies dévastateurs, l’été 2022 s’est révélé le plus chaud en Europe depuis les débuts des mesures. C’est ce que n’hésite pas à affirmer le dernier rapport de Copernicus, le programme d’observation de la Terre de l’Union Européenne. Jamais la température n’avait dépassé les 40o dans le pluvieux Royaume-Uni. Quant à la moyenne (élevée) 1999-2020, le dépassement estival a été en Europe de 1, 4o. Et la même agence Copernicus annonce que l’été boréal 2023 (juin, juillet, août) a battu tous les records de chaleur avec une moyenne supérieure, à l’échelle mondiale, de 0, 66o à la même moyenne élevée 1999-2020, soit 1, 5 de plus que la moyenne préindustrielle 1850-1900.

Les deux étés ont été marqués en Europe par une sécheresse extrême. Mais ce n’est rien en comparaison avec les pluies et les inondations qui en 2022 ont dévasté autant le Pakistan que le Nigéria. Au Pakistan, elles ont provoqué près de 2000 morts, faisant par ailleurs de 33 millions de personnes pratiquement des sans abri ; au Nigéria plus de 600 morts et en tout cas 1,3 million de déplacés ; et en novembre 2023 en Afrique de l’Est, des crues qui ont fait près de 300 victimes tout en provoquant le déplacement de plus d’un million de personnes : réfugiées climatiques, écologiques, hommes, femmes et enfants, dans des mouvements qui affectent les pays du Sud en épargnant les pays du Nord qui leur ferment leurs frontières… Une fois encore ce sont les pays les plus pauvres qui payent le tribut le plus lourd aux conséquences écologiques de la volonté de croissance purement économique et financière des pays les plus riches et du mode de vie de celles et ceux qui les dominent.

Le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat — IPCC : Intergovernemental Panel on Climate Change) tire pourtant à nouveau la sonnette d’alarme. Pour atteindre les objectifs fixés en 2015 à Paris à l’occasion de la COP21, promue par la United Nations Framework Convention on Climate Change, c’est-à-dire limiter l’augmentation de la température moyenne globale à 1,5o pour la fin du siècle, les émissions globales de gaz à effet de serre doivent être réduites de 43 % d’ici à 2030, et le méthane d’un tiers1. Or après une pause due aux restrictions entraînées par l’épidémie de covid 19, les émissions mondiales de ces gaz provoquant le réchauffement climatique ont atteint en 2021 un nouveau record, avec un nouveau pic en 2022.

1 Voir https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/report/IPCC_AR6_SYR_SPM.pdf.

Quant aux causes du réchauffement climatique, le préalable du rapport du GIEC est clair : « Il est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé la planète, les océans et les terres. L’atmosphère, l’océan, la cryosphère et la biosphère ont été soumis à des changements rapides et de grande ampleur ». De là la nécessité de s’interroger sur les fondements des relations de l’homme avec son environnement, en particulier quant à nos usages invétérés des techniques et des technologies, dans la seule perspective de la croissance économique et des profits financiers à en tirer. Pourquoi la démultiplication de ces activités de l’homme en société, par l’invention et l’usage des techniques de plus en plus sophistiquées et efficaces, à l’égard d’un environnement objectivé en nature ? Il faut nous interroger non seulement sur les conséquences de ces interventions toujours plus marquées de l’homme sur son milieu de vie avec les différentes pollutions qui l’affectent, mais aussi sur leurs causes.

Or ce questionnement d’ordre à la fois sociologique et politique porte à interroger le concept même de « nature » avec la perception qu’en ont les femmes et les hommes vivant en société et avec les usages qu’elles et ils font de la réalité correspondante. La nature d’un côté, la société et la culture des humains de l’autre ; d’un côté un environnement physique, végétal et animal indispensable à notre survie matérielle et physique, de l’autre des sociétés organisées en réseaux de relations sociales et animées par une culture entendue comme ensemble complexe de normes et de règles de comportement, de représentations et de manifestations symboliques ; mais la culture c’est aussi un éventail de savoirs spéculatifs et de savoirs pratiques assortis des actions signifiantes qui en découlent, indispensables à notre existence organique, mentale et psychique.

1. Le XVIIe siècle : la nature soumise à la raison ?

Quant à la réification européocentrée de l’environnement en nature — j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises —, il faut compter avec Francis Bacon et sa définition de l’homme comme « ministre et interprète de la nature » (naturae minister et interpres, dans l’aphorisme qui ouvre le Novum Organum Scientiarum publié à Londres en 16202) ; dans cette mesure l’homme serait maître de ses actions et de ses connaissances sur « l’ordre de la nature ». Puis la référence est de rigueur à René Descartes qui trouve dans la physique mécanique de Newton le fondement d’une connaissance portant sur « la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent ». Cette connaissance déboucherait sur une pratique permettant d’user de ces forces, comme le font les artisans, et en conséquence « de nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » pour citer un passage célèbre du Discours de la méthode3. L’idée de la maîtrise de la nature n’est donc introduite que par analogie. Et Descartes d’ajouter : « Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui ferait qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ».

2 On verra à ce propos le bon commentaire de Michèle Le Doeuff, qui propose à raison de traduire minister par « agent ». Cf. « L’homme et la nature dans les jardins de la science », Revue Internationale de Philosophie, 40, 1986, p. 371.


3 Discours de la méthode. Pour bien conduire sa raison & chercher la vérité dans les sciences, Paris, Vrin, 1970, p. 127 (éd. or. : Leyde, Jan Maire, 1637).

La nuance est essentielle dans la mesure où la question à laquelle nous sommes désormais confrontés n’est pas uniquement celle de nos usages techniciens et technologiques de notre environnement, mais autant celle de la représentation (culturelle) que l’on se fait de cet environnement que celle de la finalité assignée à ces usages. Et de fait Bacon présente l’homme non seulement comme agent de la nature, mais aussi comme « interprète ». On va y revenir. On remarquera pour l’instant que désormais les objectifs et les modes de notre appréhension d’un environnement réduit à l’état de nature sont soumis à l’exploitation des ressources supposée offertes par la terre et la biosphère. Cette exploitation obéit à une marchandisation généralisée, sous l’impulsion de la règle capitaliste de la maximisation des profits, en bonne idéologie néolibérale. De plus, dans une perspective écoféministe critique, on pourra se référer au parallélisme, induit dès le XVIe siècle par la pensée occidentale du progrès scientifique, entre la domination sur les femmes et la domination sur une nature réduite à l’état de machine4.

4 Voir à ce propos les pages importantes de Carolyn Merchant, La mort de la nature. La femme, l’écologie et la révolution scientifique, Marseille, Wildproject, 2021, pp. 249-341 (trad. de The Death of Nature. Women, Ecology, and the Scientific Revolution, New York, HarperCollins, 2020 ; 1ère éd., New York, Harper & Row, 1980).

C’est dire qu’autant la notion de nature que celle de raison sont marquées dans l’espace et dans le temps. L’une et l’autre sont à l’évidences marquées du point de vue social et culturel. Elles sont toutes deux de l’ordre de la représentation, des représentations partagées dans une conjoncture historique donnée par une certaine communauté sociale et culturelle, aussi vaste, complexe et diversifiée soit-elle. De là l’intérêt d’une approche anthropologique et sémiotique des représentations d’une autre culture, éloignée dans l’espace ou/et dans le temps, dans une démarche de comparaison différentielle ; une approche animée par un double décentrement d’une part l’égard de la culture autre, de la culture éloignée, d’autre part, et en retour critique, sur notre propre système de représentations.

2. Détour par la Grèce : la phúsis des « Présocratiques »

Puisque je tente de la fréquenter depuis plusieurs dizaines d’années, hélas essentiellement par la médiation de textes, on se tournera brièvement vers la Grèce ancienne. Commençons par le terme et le concept de phúsis. Morphologiquement le terme est basé sur les différents modes du verbe phúein qui signifie tour à tour « engendrer », « naître », « croître », « devenir ». Le linguiste Émile Benveniste montre que, dans cette mesure, la notion de phúsis est fondée sur l’idée de l’accomplissement comme devenir5 ; de là son aspect à la fois processuel et résultatif. L’idée de la croissance, en l’occurrence végétale, est par exemple incluse dans la désignation de la feuille, par métaphore interposée, comme phûllon. C’est manifestement chez ceux qui ne sont ni des philosophes ni des présocratiques, mais des sages préplatoniciens que l’on s’attend à trouver une définition de la phúsis anticipant sur le concept moderne de nature. À vrai dire, il n’en est rien, même si Aristote dénomme parfois « physiologues » (par exemple Métaphysique 1, 986b 14 et 990a 3) ces sages dont les vers et les dits ne nous sont malheureusement parvenus que sous une forme plus que fragmentaire.

5 Noms d’agent et noms d’action en indo-européen, Paris, A. Maisonneuve, 1975, pp. 78-85 (éd. or., 1948).

On pense évidemment aux vers de Parménide énumérant les composantes de l’éther, dénommé « phúsis éthérée » : le soleil, la lune (avec sa phúsis !), le ciel, les astres. De quoi justifier le titre donné tardivement à de nombreux vers parmi les écrits des sages préplatoniciens ? de quoi justifier la dénomination Perì phúseos ? À vrai dire, les vers de Parménide placent d’emblée ces éléments « naturels » dans la perspective de l’homme qui les observe, et plus exactement dans celle du destinataire des propositions versifiées du sage qui s’adresse à lui en tu (fr. 19 D12 Laks-Most) :

Tu sauras la nature éthérée et, dans l’éther, tous
les signes et de la torche pure du soleil brillant
les œuvres aveuglantes, et d’où ils sont nés,
tu apprendras les œuvres versatiles de l’œil rond de la lune
et sa nature, et tu sauras aussi d’où le ciel qui maintient les deux côtés
est né et comment Nécessité l’a conduit et enchaîné
pour maintenir les limites des astres.
(traduction André Laks)

Il s’agit donc de saisir les indications, les signes (sémata) que donnent en particulier les mouvements de la lune et du soleil. La phúsis (vers 2 et 5) des astres est appréhendée, visuellement, par l’intermédiaire d’une sémiotique ; elle est perçue et saisie dans une dynamique (éphu, vers 6) que l’homme avisé, élève du sage, doit interpréter. C’est aussi la pensée (nóema) qui permet à l’homme de saisir la phúsis de ses propres membres (fr. 19 D51 Laks-Most), dans une théorie de la sensation dont on saisit par ailleurs mal le développement. La « nature » est donc constamment référée à l’homme non seulement qui la perçoit, mais surtout qui l’interprète. On va aussi y revenir.

Démocrite va plus loin encore, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’affirmer, quand il compare la phúsis à l’enseignement (didakhé, fr. 27 D403 Laks-Most). L’une est comparable à l’autre dans la mesure où l’enseignement oriente le mouvement rythmique de l’homme et dans la mesure où, par ce changement de cadence, il crée une « nature » (phusiopoieî). Ainsi non seulement la phúsis est saisie dans son aspect dynamique, non seulement le terme peut recouvrir également la nature de l’homme (ánthropos), mais surtout la pratique par excellence sociale et culturelle qu’est l’enseignement façonne une nature caractérisée par son mouvement rythmique.

3. L’influence de l’environnement sur la nature humaine : Hippocrate

C’est ici qu’il convient de se tourner vers la médecine hippocratique et de revenir au traité, plus ou moins contemporain de Thucydide, s’interrogeant sur l’influence des airs et des eaux et des lieux sur la morphologie et le caractère des hommes, et par conséquent sur les maladies qui peuvent les affecter ; sans oublier d’ajouter à ces facteurs environnementaux le régime alimentaire. D’emblée donc, en raison de qualités partagées, l’environnement et le corps aussi bien que le caractère des hommes vivant en société sont mis en relation d’interpénétration, en particulier par l’absorption de boissons et d’aliments.

La seconde partie du traité, tout en focalisant l’attention sur les différences qui distinguent l’Asie de l’Europe du point de vue de la morphologie de leurs populations respectives, élargit le propos : « Je prétends, dit l’auteur du traité hippocratique, que l’Asie diffère entièrement de l’Europe par la nature (phúsias, au pluriel !) de toutes choses, autant des produits (phuómena) de la terre que des êtres humains » (12, 2). Et d’affirmer qu’en raison du mélange équilibré des saisons, tout en Asie devient plus beau et plus grand ; d’une part le pays (la khóra) est plus doux, d’autre part les caractères (éthea) des hommes sont plus amènes et plus indulgents. Ainsi sol, végétal et humain sont associés aux mêmes processus de développement (naturels). Après une comparaison avec les peuples d’Europe qui sont plus grands et plus vigoureux, et donc plus fougueux et plus vaillants en raison d’un régime de saison contrastées, la conclusion s’impose : « En effet là où les changements de saison sont les plus marqués et contrastés, c’est là que tu trouveras que les formes, les mœurs et les processus naturels (phúsias) sont les plus différenciés (…). Ensuite il y a la terre (khóre) dans laquelle on se nourrit et les eaux. Car tu trouveras que, dans la plupart des cas, à la qualité (phúsei) d’une khóra correspondent les morphologies et les manières d’être des hommes » (14, 6-7).

Ainsi, pas de coupure entre nature d’un côté et culture de l’autre ; au contraire une interpénétration entre les qualités d’une terre particulière, les végétaux qu’elle produit, les eaux qui s’y écoulent, la morphologie de ses habitants, leurs caractères et leurs habitudes propres.

Finalement, en termes modernes, la culture et l’action de l’homme peut s’inscrire dans la nature extérieure et la modifier, mais le climat a une influence déterminante sur la nature de l’homme. Dans le chapitre conclusif du bref traité médical sur l’environnement, l’auteur hippocratique revient sur la relation entre les qualités de la terre habitée, le climat et les traits de caractère des hommes qui habitent ces différents lieux. Il va jusqu’à affirmer, à propos du courage et de l’endurance, que la coutume et en l’occurrence le régime politique peuvent collaborer avec la phúsis pour renforcer ces qualités de l’âme (24, 3) ! Conclusion : « Tu trouveras que, de manière générale, l’apparence physique et les façons d’être des hommes suivent la constitution (phúsis) du pays (khóra) » (24, 7).

Encore faut-il s’interroger non seulement sur les modes de l’interface entre le corps humain et l’ensemble de « qualités » qui constitue son extérieur, mais aussi sur le type de relations que l’homme peut actualiser à cet égard. Revenons donc brièvement à Aristote puisque le grand philosophe métaphysicien passe aussi pour être le fondateur du concept moderne de nature. À vrai dire, à lire les préalables des deux premiers livres copiés sous le titre « Leçon sur la physique », l’enquête porte sur les principes, sur les causes et sur les éléments d’une phúsis qui ne reçoit pas de définition préalable. Parmi ces principes et par référence aux sages préplatoniciens, l’air ou l’eau. Le principe essentiel se révèle par contraste être le mouvement, compris en termes de faire et de pâtir. Par ailleurs, parmi les êtres qui existent « par nature » (phúsei), on compte les animaux, les plantes et les « corps simples », tels la terre, le feu, l’air et l’eau (192b 8-11). Et chacun de ces êtres est caractérisé par un principe de mouvement ou au contraire de stabilité, notamment par accroissement ou réduction. Dans cette mesure — et c’est là pour nous l’essentiel — ces étants se distinguent des objets tels un lit ou un vêtement qui est le produit d’un art technique (tékhne, 192b 18) ; en contraste ils possèdent par leur phúsis leur propre principe, cause de mouvement et d’apaisement.

4. Entre l’homme et son environnement, les tékhnai

Pour notre propos il faut encore relever non seulement que la notion de phúsis est attachée au mouvement, à une dynamique (conformément au sens étymologique du terme), mais aussi que les objets manufacturés impliquent l’intervention des arts techniques que sont les tékhnai. De manière paradoxale, on doit à la tragédie attique une réflexion critique sur la nature et sur les usages de ces arts techniques qui permettent à l’homme de survivre en dépit de sa condition de mortel. Dans le chant qui marque le début de l’Antigone de Sophocle (vers 332-375), le chœur des vieillards de Thèbes évoque tout à tour, au nombre de ces moyens permettant à l’être humain de sortir de l’aporie : la navigation permettant à l’homme de traverser la mer porté par le vent, la chasse et la pêche pour capturer oiseaux et poissons, l’agriculture avec la charrue qui lui permet de labourer la Terre, « la plus puissante des déesses, l’indestructible, l’infatigable ». Telles la domestication par le joug, la construction d’abris ou la médecine pour échapper aux maladies, ces pratiques reviennent à des mekhanaí (vers 349), à l’usage de « moyens ingénieux ». Et le groupe choral de conclure en chantant : « Détenteur d’un savoir industrieux pour l’art technique (sophón ti mekhanóen tékhnas, vers 364-365), l’homme prend tantôt le chemin du mal, tantôt celui du bien ».

Sans doute est-ce la raison pour laquelle, en initiant son chant, le chœur mis en scène par Sophocle fait de l’homme la chose la plus étonnante parmi celles qui suscitent l’étonnement, dans un sentiment partagé entre la crainte et l’indignation inspirées par la malfaisance, et l’admiration suscitée par puissance et habileté ; cela à l’écart des spéculations heideggeriennes qu’a pu susciter le terme deinón. Quant au choix entre le mal et l’excellence dans l’usage des arts techniques, essentielle pour notre propos est la précision formulée par le groupe choral. L’exercice de ce savoir pratique peut conduire au bien si les lois du pays et la justice des dieux sont respectés, mais au mal si l’audace l’emporte : l’homme de húpsipolis peut devenir ápolis, au sommet de sa cité il peut en être exclu. C’est ainsi que labourer la terre c’est l’« épuiser » (vers 339) et que domestiquer des animaux implique l’usage d’une mekhané par la contrainte… Quels qu’en soient les modes de réalisation, l’exercice du savoir pratique et des arts techniques s’inscrit dans le contexte social de la communauté civique.

 

Mais il s’avère que, dans cette conception poétique des relations de l’homme avec son environnement par l’intermédiaire de moyens techniques dépendant de son intelligence pratique, le biais sémiotique jour un rôle essentiel. Dans cette mesure est essentielle la confrontation anthropologique avec la fameuse tirade où Prométhée enchaîné, dans la mise en scène imaginée peut-être par Eschyle, fait le catalogue et se vante des différents arts techniques qu’il a inventés à l’intention des hommes mortels. On a déjà eu l’occasion de la commenter en détail6. Rappelons simplement que pour permettre à l’homme de quitter l’état animal auquel le condamnaient un regard sans voir et une ouïe sans entendre, le héros se vante d’avoir inventé et enseigné aux hommes une série de savoirs pratiques. Au terme de sa tirade, il les définira comme tékhnai (vers 506, voir vers 514) : les arts techniques de la domestication des animaux pour l’agriculture et le commerce, l’art de la voile pour la navigation, des arts mnémotechniques telles l’arithmétique ou l’écriture alphabétique, les recettes de médicaments pour soigner les maladies, les arts de la divination pour anticiper sur le futur, etc.

6 Cl. Calame, Avenir de la planète et urgence climatique. Au-delà de nature et culture, Fécamp, Lignes, 2015, pp. 37-42 (3e éd. augmentée : Humans and their Environment. Beyond the Nature/Culture Opposition, Londres, Transnational Press London, 2023, p. 30-34).

Or tout d’abord ces différents arts techniques sont présentés comme des mekhanémata (vers 469), des moyens ingénieux, des sophismata (vers 459 et 470), des savoirs pratiques, des póroi (vers 477), des moyens pour se tirer de l’impasse. Ces tékhnai font appel non seulement à cette intelligence artisane et rusée qu’est la mêtis, mais aussi à cette capacité de savoir pratique qu’est la sophía ; c’est aussi celle du poète. Évoquons la version que donne Platon du récit de Prométhée dans le Protagoras de Platon : le savoir qu’avec le feu volé à Héphaistos et Athéna le héros donne à l’homme pour le sauver de son état d’aporie et de manque de ressources est dénommé éntekhnos sophía, « savoir industrieux » (321c).

Par ailleurs, il s’agit d’arts techniques dont l’exercice dépend de l’identification de signes (sémata, vers 498) et d’indices (tékmar, vers 454). C’est dire que la pratique des techniques se fonde sur une interprétation de l’environnement ; elle se fonde sur une compréhension du monde entendu comme un système de signes, passible d’une sémiotique pratique. Enfin, ces savoirs faisant appel à une intelligence artisane et pratique contribuent à la production de ces avantages et sources de profit (ophelémata, vers 501) que sont le bronze, le fer, l’argent et l’or, jusque-là cachés aux hommes dans les entrailles de la terre. Mais la mise en pratique de ces différentes tékhnai ne serait rien sans le plus grand don accordé par Prométhée aux hommes mortels, soit le feu (vers 252). Donc pas d’activités techniques sans énergie !

Ainsi, pour ne pas condamner l’être humain à survivre comme un animal, le héros civilisateur invente à son intention des arts techniques d’ordre à fois sémiotique et pratique. À partir de l’usage de leurs sens, vue et ouïe, par le recours à l’intelligence pratique qui est la leur, ces tékhnai permettent aux hommes d’une part d’interpréter leur environnement, d’autre part d’en tirer profit pour la production alimentaire, pour le commerce, pour le logement, pour la santé, pour la communication et, avec la divination, pour leurs relations avec ce qui les dépasse, en l’occurrence les puissances divines.

5. De Descartes au capitalocène : la marchandisation de la nature

Cependant, par la suite, dans une perspective entièrement européocentrée, face à une nature dont l’homme s’acharnera à exploiter les « ressources », les capacités d’intelligence artisane et d’interprétation sémiotique de l’homme qui sont mises en scène dans le récit tragique de Prométhée ont été réduites à une raison technique, sur le modèle de la physique mathématique et mécaniste de Newton. C’est en somme cette raison technique qui a permis une industrialisation, sinon une révolution industrielle rapidement détournées de leur apport indéniable à l’amélioration de la condition matérielle des êtres humains. En effet, par la mécanisation du côté de l’intelligence technique de l’homme et par l’usage de l’énergie fossile du côté des ressources environnementales, l’industrialisation a sans aucun doute contribué à renforcer l’indispensable base matérielle et biologique de l’émancipation sociale et culturelle de l’homme vivant en société.

Mais le développement des techniques, puis des technologies à la faveur de l’industrialisation, puis de la digitalisation, dans un constant esprit d’innovation, s’est opéré dans la seule perspective de la productivité marchande. Pour faire très vite, la liberté marchande implique liberté du commerce et de l’industrie sur la base du principe de la concurrence « libre et non faussée » (selon le principe qui, via le traité de Maastricht, fonde l’Union européenne), impératif d’une croissance mesurée en termes purement économiques et financiers, division et taylorisation du travail dans le sens de l’augmentation de la plus-value au sens marxiste du concept, du point de vue des marchandises produites par le travail création de nouveaux besoins attisés par une publicité omniprésente, etc. De cette manière, pour répondre à l’impératif du profit de la logique capitaliste imposée aux entreprises de production industrielle et technologique, les relations sociales et culturelles entre les hommes de différentes communautés ont été largement marchandisées, rendant en définitive capitalisme et écologie « incompatibles »7.

7 Voir J.-M. Harribey, Le trou noir du capitalisme. Pour ne pas y être aspiré, réhabiliter le travail, instituer les communs et socialiser la monnaie, Lormont, Le Bord de l’eau, 2020, pp. 47-89.

En termes marxistes, on constate que désormais la valeur d’usage et la valeur symbolique des objets produits sont subordonnées à l’unique valeur d’échange ; l’utilité sociale des pratiques reposant sur les arts techniques ainsi que leur signification culturelle sont soumises à la valeur marchande et aux contraintes économiques du seul marché. Quant à l’environnement, par le biais du productivisme et de l’extractivisme exigés par la logique de la croissance entretenue par une augmentation constante de la production8, il subit les atteintes et les destructions enfin largement dénoncées depuis la fin du siècle dernier. À cet égard, on le répète, il est significatif que, dans la logique économiste et financière du capitalisme, la biosphère ait été réduite à un ensemble de « ressources naturelles » alors que les pratiques des hommes, aussi bien dans la production que dans les services, sont désormais considérées comme des « ressources humaines ».

Ainsi les arts techniques ont été détournés de l’intention civilisatrice et de la fonction sémiotique de construction sociale et culturelle de l’humain que les poètes tragiques leur prêtaient face au public athénien de l’époque classique. Dans le passage de l’anthopopocène au paradigme que d’aucuns dénomment capitalocène9, les tékhnai développées sur la base des énormes progrès des sciences « de la nature » ont été subordonnées à l’unique logique marchande et financière de la maximisation des profits et de l’accumulation capitaliste avec les principes néolibéraux qui la soutiennent.

8 Voir Ph. Corcuff, Marx. XXIe siècle. Textes commentés, Paris, Textuel, 2012, pp. 99-120.


9 Chr. Bonneuil et J.-B. Fressoz, L’événement anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2016 (2e édition augmentée), pp. 247-279.

Ce passage a été fortement accentué par le grand mouvement de la mondialisation économique et financière qui s’est dessiné depuis les accords de Bretton Woods, sous domination anglo-saxonne. Par un vaste processus de délocalisation de la production industrielle, par des traités de libre-échange qui soustraient les acteurs économiques et les entreprises des pays riches devenues multinationales aux réglementations sociales et écologiques des pays dont on exploite force de travail et environnement, par la soumission des pays du « Sud » aux pays du « Nord » dans des rapports de domination d’ordre économique et financier (les mesures d’« ajustement structurel » imposées par la Banque Mondiale et Fonds Monétaire International…), par la destruction coloniale puis néocoloniale des règles sociales et culturelles de communautés ayant leur propre système de relations symboliques et pratiques avec leur milieu, la mondialisation a eu deux effets principaux. D’une part, le profond creusement des inégalités dans le revenu et la dégradation des conditions de vie dans les pays dominés ont provoqué des mouvements migratoires contraints dont les pays riches refusent d’accueillir les victimes ; d’autre part, les différentes pollutions entraînées par la surexploitation des sols et des matières premières, mais aussi par la surconsommation d’énergies à base d’hydrocarbures ou d’énergie nucléaire ont pour conséquence la destruction de l’environnement indispensable à la survie des hommes en société.

6. Pour une transition éco- et sémiosocialiste :
anthropopoiésis et écopoiésis

Loin de toute objectivation en « nature » pour l’exploitation et les profits que l’on a dits, notre milieu est un monde que la perception sensorielle et intellectuelle rend d’emblée signifiant ; c’est un environnement qui est constamment configuré et refiguré par nos interprétations, nos représentations, nos savoirs, nos pratiques et nos discours, dans une interaction qui nous confronte désormais aux problèmes écologiques que l’on sait. Face à l’urgence de l’impératif tournant écologique, face à la rupture écosocialiste qu’il exige avec un capitalisme destructeur des communautés des hommes et de leurs milieux, techniques et technologies doivent être non seulement reconçues et recréées, mais elles doivent aussi être subordonnées à des finalités autres que l’unique profit capitaliste (voir à ce sujet les propositions avancées par exemple par M. Löwy et par D. Tanuro10). Dans cette mesure, ce que, dans une perspective largement européocentrée et anthropocentrique, nous conceptualisons encore en tant que nature nous renvoie à la société.

10 M. Löwy, Qu’est-ce que l’écosocialisme ?, Montreuil, Le Temps des Cerises, 2020 (2e éd.), pp. 147-153. D. Tanuro, Trop tard pour être pessimistes ! Écosocialisme ou effondrement, Paris, Textuel, 2020, pp. 247-310, ainsi que les contributions réunies par ces deux auteurs dans Luttes écologiques et sociales dans le monde. Allier le vert et le rouge, Paris, Textuel, 2021.

Serait-ce à dire que, pour échapper à l’anthropocentrisme impliqué par la naturalisation de l’environnement, il conviendrait de considérer la biosphère comme un organisme vivant ? À l’instar de la Pachamama andine englobant comme êtres vivants montagnes, glaciers, air, fleuves et océans, faut-il la vénérer comme une Terre-Mère qui interagirait avec le cosmos, au risque d’une nouvelle théologie ? De cette Terre-Mère restituée en Nature et identifiée en définitive avec la biosphère, faut-il faire une personne de droit, un sujet juridique doué de droits à inscrire dans une constitution comme c’est le cas en Équateur et en Bolivie au nom du Vivir Bien ? L’espoir de vivre en harmonie avec la nature est-il propre à renverser l’ordre économique et financier mondial ? « La nature, ou Pacha Mama, où se reproduit et se produit la vie, a le droit de voir intégralement respectés son existence et le maintien et la régénération de ses cycles vitaux, sa structure, ses fonctions et ses processus évolutifs » précise l’article 71 de la constitution de l’Équateur de 2007. À moins d’inclure dans la Terre-Mère tous les êtres vivants en tant qu’« êtres indépendants et intimement liés entre eux par un destin commun » comme le fait la Déclaration universelle sur les droits de la Terre-Mère (Cochabamba, Bolivie, 2010), on voit mal qui serait habilité à défendre juridiquement les droits de l’environnement institué en personne.

 

Certes, « les droits de la Terre-Mère ne pourront prospérer que si les droits de propriété sont redéfinis dans une écosociété non régie par la logique du capital », selon la proposition de Pablo Solón11. Mais on ne saurait instituer la Terre en personnalité juridique, ni en individu doué de conscience, ni en sujet de discours capable de se défendre publiquement. Autant la formulation de droits que la défense de droits dépend de pratiques discursives et politiques qui, jusqu’à nouvel avis, sont le propre de l’être humain, et de l’être humain vivant d’une manière ou d’une autre dans une communauté sociale et politique. On n’échappe pas à l’anthropocentrisme social et sémiotique que nous impose notre immanquable action d’ordre pratique, mais aussi culturel sur notre milieu.

Revenons donc à l’homme et à ses pratiques, l’homme qui du point de vue physique, biologique, sinon neuronal, partage toute une série de qualités avec sa biosphère et qui se trouve en interaction constante et constructive avec elle, sur le mode sémiotique et du point de vue de l’action. En effet notre milieu est un monde que la perception sensorielle et intellectuelle rend d’emblée signifiant.

11 ATTAC (Ch. Aguiton, G. Azam, E. Peredo, P. Solón), Le monde qui émerge. Les alternatives qui peuvent tout changer, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2017, p. 58. Quant aux alternatives, la figure de Gaia ressuscitée et parfois déclinée au pluriel (!) par Bruno Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le Nouveau Régime Climatique, Paris, La Découverte, 2015, ne débouche sur aucune proposition ni sémiotique, ni politique. On aura l’occasion d’y revenir.

Du point de vue anthropologique, la transition, sinon la rupture écosocialiste exige une anthropopoiétique doublée d’une écopoiétique d’ordre sémiotique ; cela par référence à deux concepts opératoires à la dénomination un peu savante — hellénisme oblige12. D’une part l’anthropopoiésis en tant que fabrication sociale et culturelle de l’être humain, en collaboration et en contraste avec ses proches dans la construction et le maintien évolutif d’une identité à la fois personnelle et sociale ; à l’écart de toute naturalisation de type cognitiviste, c’est ce processus de construction individuelle, sociale et symbolique en réciprocité, dans le sens d’une « grammaire de l’autre »13 qui confère à nos discours et à nos actes autant leur sens que leur efficacité (en bien ou en mal…) dans une conjoncture donnée. D’autre part l’écopoiésis comme transformation et fabrication par l’homme en société d’un environnement en un milieu signifiant et actif, indispensable à sa survie matérielle et mentale, sinon neuronale, mais aussi culturelle.

D’ordre anthropologique et sémiotique, ces deux concepts d’anthropopoiésis et d’écopoiésis induisent non seulement à repenser les interactions complexes des hommes et de leurs communautés avec un environnement que l’on pourra identifier avec la biosphère ; mais surtout ils invitent à refaçonner, symboliquement et techniquement, cette interaction, fabricatrice. Quelle qu’en soit la nature physique et biologique, cet environnement, perçu par l’intermédiaire de notre appareil sensoriel et de nos capacités intellectuelles et interprétatives, est d’emblée signifiant. C’est à la condition de l’interpréter que nous pouvons en user, dans la nécessaire construction culturelle et sociale de la femme et de l’homme.

Reconnue comme fondement de toute identité humaine et par conséquent de toute communauté sociale et culturelle, l’anthropopoiésis passe du statut de concept opératoire à celui d’une exigence sociale. Et dans la mesure de l’immanquable interaction complexe et pratique entre l’homme vivant en société et la biosphère, l’anthropopoiésis devenue anthropopoiétique doit être développée en une « écopoiétique ». Du point de vue épistémologique, cette reconnaissance exige le développement d’une anthropologie éco-sémiotique, d’ordre culturel et social. Elle consistera en l’investigation comparative des principes qui fondent la construction sémiotique et discursive de l’être humain en relation avec son groupe social et avec son milieu à travers les procédures d’anthropopoiésis et d’écopoiésis propres à chaque culture ; les pratiques rituelles d’une part, les pratiques techniques de l’autre, toujours marquées du point de vue culturel, toujours signifiantes, en sont parmi les supports essentiels.

Conclusion

Ainsi, la rupture écosocialiste qu’exige l’impératif tournant écologique vis-à-vis d’un capitalisme destructeur des communautés des hommes et de leurs milieux requiert une anthropopoiétique doublée d’une écopoiétique d’ordre sémiotique. Il s’agit non seulement de repenser l’interaction complexe des hommes et de leurs communautés avec leur indispensable environnement, mais surtout de refaçonner, symboliquement et techniquement, cette interaction. C’est à la condition de le faire signifier que nous pouvons user d’un environnement par ailleurs indispensable à la survie des humains, dans la nécessaire construction sociale et culturelle et de la femme et de l’homme. Il s’agit donc de réfléchir aux bases de ce qu’on pourrait dénommer une anthropo-écosémiotique d’ordre poiétique et pratique…

12 A propos de ces concepts, on peut se reporter à ce que j’en ait déjà dit dans « Éco-anthropologie et sémiopoiétique : de la poésie rituelle grecque aux défis idéologiques et pratiques du présent », Actes Sémiotiques, 121, 2018, ou dans « La question de l’identité : pour une sémiotique éco-anthropologique », Actes Sémiotiques, 123, 2020.


13 E. Landowski, « Pour une grammaire de l’altérité », Acta Semiotica, III, 5, 2023, par référence à des travaux antérieurs.

Quoi qu’il en soit, comme fondement de toute identité humaine qui se construit et se maintient dans les relations avec une communauté sociale et culturelle, l’anthropopoéisis entendue en tant que construction sociale et culturelle de l’être humain passe du statut de concept opératoire à celui d’une exigence sociale. Dans cette mesure, l’anthropopoiésis devenue anthropopoiétique doit être développée en une « sémio-écopoiétique ». Pour le développement de cette nouvelle anthropologie éco-sémiotique, essentielle et inspiratrice sera — on vient de l’indiquer — la comparaison anthropologique avec les procédures d’anthropopoiésis et d’écopoiésis propres à d’autres cultures. Ce passage comparatif et critique notamment par les pratiques discursives d’ordre anthropo- et éco-poiétique d’une autre communauté culturelle, ne serait-ce que celles que nous offre dans son histoire et dans la multiplicité de ses cités la Grèce ancienne, nous engage fermement à rompre avec le paradigme technologique et marchand contemporain, sous l’égide d’un néolibéralisme mondialisé ; rupture donc avec le néo-libéralisme de la dérégulation, de la marchandisation, et de la maximisation des profits individuels, dans une désémiotisation généralisée des relations poiétiques et interactives des hommes entre eux et avec leur milieu14. Et cela dans la perspective éco-socialiste d’une reconstruction sociale et culturelle des relations esthétiques, signifiantes et pratiques des hommes et de leurs communautés avec leur indispensable environnement.

14 Voir J.-P. Petitimbert, « Mehr Licht ! », Acta Semiotica, III, 5, 2023, pp. 14-18.


Bibliographie

ATTAC (Ch. Aguiton, G. Azam, E. Peredo, P. Solón), Le monde qui émerge. Les alternatives qui peuvent tout changer, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2017.

Benveniste, Émile, Noms d’agent et noms d’action en indo-européen, Paris, A. Maisonneuve, 1975 (éd. or. : 1948).

Bonneuil, Christophe, et Jean-Baptiste Fressoz, L’événement anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil 2016 (2e édition augmentée).

Calame, Claude, Avenir de la planète et urgence climatique. Au-delà de nature et culture, Fécamp, Lignes, 2015 (3e éd. augmentée, Humans and their Environment. Beyond the Nature / Culture Opposition, Londres, Transnational Press London, 2023).

— « Éco-anthropologie et sémiopoiétique : de la poésie rituelle grecque aux défis idéologiques et pratiques du présent », Actes Sémiotiques, 121, 2018.

— « La question de l’identité : pour une sémiotique éco-anthropologique », Actes Sémiotiques, 123, 2020.

Corcuff, Philippe, Marx. XXIe siècle. Textes commentés, Paris, Textuel, 2012.

Descartes, René, Discours de la méthode. Pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, Paris, Vrin, 1970 (éd. or. : Leyde, Jan Maire, 1637).

Harribey, Jean-Marie, Le trou noir du capitalisme. Pour ne pas y être aspiré, réhabiliter le travail, instituer les communs et socialiser la monnaie, Lormont, Le Bord de l’eau, 2020.

Landowski, Eric, « Pour une grammaire de l’altérité », Acta Semiotica, III, 5, 2023.

Bruno Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le Nouveau Régime Climatique, Paris, La Découverte, 2015.

Le Doeuff, Michèle, « L’homme et la nature dans les jardins de la science », Revue Internationale de Philosophie, 40, 1986.

Löwy, Michael, Qu’est-ce que l’écosocialisme ?, Montreuil, Le Temps des Cerises, 2020 (2e éd.).

— et Daniel Tanuro (éd.), Luttes écologiques et sociales dans le monde. Allier le vert et le rouge, Paris, Textuel, 2021.

Merchant, Carolyn, La mort de la nature. La femme, l’écologie et la révolution scientifique, Marseille, Wildproject, 2021 (trad. de The Death of Nature. Women, Ecology, and the Scientific Revolution, New York, HarperCollins, 2020 ; 1ère éd., New York, Harper & Row, 1980).

Petitimbert, Jean-Paul, « Mehr Licht », Acta Semiotica, III, 5, 2023.

Tanuro, Daniel, Trop tard pour être pessimistes ! Écosocialisme ou effondrement, Paris, Textuel, 2020.

 


1 Voir https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/report/IPCC_AR6_SYR_SPM.pdf.

2 On verra à ce propos le bon commentaire de Michèle Le Doeuff, qui propose à raison de traduire minister par « agent ». Cf. « L’homme et la nature dans les jardins de la science », Revue Internationale de Philosophie, 40, 1986, p. 371.

3 Discours de la méthode. Pour bien conduire sa raison & chercher la vérité dans les sciences, Paris, Vrin, 1970, p. 127 (éd. or. : Leyde, Jan Maire, 1637).

4 Voir à ce propos les pages importantes de Carolyn Merchant, La mort de la nature. La femme, l’écologie et la révolution scientifique, Marseille, Wildproject, 2021, pp. 249-341 (trad. de The Death of Nature. Women, Ecology, and the Scientific Revolution, New York, HarperCollins, 2020 ; 1ère éd., New York, Harper & Row, 1980).

5 Noms d’agent et noms d’action en indo-européen, Paris, A. Maisonneuve, 1975, pp. 78-85 (éd. or., 1948).

6 Cl. Calame, Avenir de la planète et urgence climatique. Au-delà de nature et culture, Fécamp, Lignes, 2015, pp. 37-42 (3e éd. augmentée : Humans and their Environment. Beyond the Nature/Culture Opposition, Londres, Transnational Press London, 2023, p. 30-34).

7 Voir J.-M. Harribey, Le trou noir du capitalisme. Pour ne pas y être aspiré, réhabiliter le travail, instituer les communs et socialiser la monnaie, Lormont, Le Bord de l’eau, 2020, pp. 47-89.

8 Voir Ph. Corcuff, Marx. XXIe siècle. Textes commentés, Paris, Textuel, 2012, pp. 99-120.

9 Chr. Bonneuil et J.-B. Fressoz, L’événement anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2016 (2e édition augmentée), pp. 247-279.

10 M. Löwy, Qu’est-ce que l’écosocialisme ?, Montreuil, Le Temps des Cerises, 2020 (2e éd.), pp. 147-153. D. Tanuro, Trop tard pour être pessimistes ! Écosocialisme ou effondrement, Paris, Textuel, 2020, pp. 247-310, ainsi que les contributions réunies par ces deux auteurs dans Luttes écologiques et sociales dans le monde. Allier le vert et le rouge, Paris, Textuel, 2021.

11 ATTAC (Ch. Aguiton, G. Azam, E. Peredo, P. Solón), Le monde qui émerge. Les alternatives qui peuvent tout changer, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2017, p. 58. Quant aux alternatives, la figure de Gaia ressuscitée et parfois déclinée au pluriel (!) par Bruno Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le Nouveau Régime Climatique, Paris, La Découverte, 2015, ne débouche sur aucune proposition ni sémiotique, ni politique. On aura l’occasion d’y revenir.

12 A propos de ces concepts, on peut se reporter à ce que j’en ait déjà dit dans « Éco-anthropologie et sémiopoiétique : de la poésie rituelle grecque aux défis idéologiques et pratiques du présent », Actes Sémiotiques, 121, 2018, ou dans « La question de l’identité : pour une sémiotique éco-anthropologique », Actes Sémiotiques, 123, 2020.

13 E. Landowski, « Pour une grammaire de l’altérité », Acta Semiotica, III, 5, 2023, par référence à des travaux antérieurs.

14 Voir J.-P. Petitimbert, « Mehr Licht ! », Acta Semiotica, III, 5, 2023, pp. 14-18.

 

______________


Résumé : La crise environnementale dont les populations les plus pauvres subissent les conséquences les plus destructrices nous contraint à repenser l’interaction complexe des hommes et de leurs communautés avec leur indispensable milieu. Une démarche de comparaison anthropologique et critique avec la Grèce ancienne par les notions de phúsis et de tékhnai nous engage à rompre avec le paradigme technologique et marchand contemporain, animé par un néolibéralisme mondialisé, pour l’exploitation purement économique d’un environnement objectivé en nature. Dans une perspective d’appréhension sémiotique de notre milieu, la comparaison nous dirige vers une anthropopoiétique doublée d’une écopoiétique d’ordre sémiotique, politiquement animées par l’écosocialisme.


Resumo : A crise ambiental, cujas consequências mais destrutivas recaem sobre as populações mais pobres, nos obriga a repensar a complexa interação entre os seres humanos e suas comunidades, e o meio-ambiente que lhes é indispensável. Uma abordagem comparativa de ordem antropológica e crítica com a Grécia Antiga, a partir dos conceitos de phúsis e tékhnai, nos leva a romper com o paradigma tecnológico e mercantil contemporâneo, impulsionado por um neoliberalismo globalizado, que busca explorar puramente economicamente um ambiente objetificado como natureza. Sob uma perspectiva de compreensão semiótica do nosso ambiente, essa comparação nos orienta para uma antropopoética aliada a uma ecopoética de ordem semiótica, politicamente animadas pelo ecossocialismo.


Abstract : The environmental crisis, whose most destructive consequences are suffered by the poorest populations, forces us to rethink the complex interactions between men’s communities and their indispensable milieux. An anthropological and critical comparison with the ancient Greek notions of phúsis and tékhnai leads us to break with the contemporary technological and business paradigm, mostly driven by a globalised neoliberalism provoking of a purely economic exploitation of our environment, thus turned into a mere object referred to as “nature”. Looking at our milieu through a semiotic lens directs us towards an anthropopoietics paired with an ecopoietics of semiotic order, politically underpinned with ecosocialism.


Mots clefs : anthropocène, anthropopoiésis, capitalocène, culture, écopoiésis, écosocialisme, environnement, nature, néolibéralsime, phúsis, sémiotique, tékhnai.


Auteurs cités : Francis Bacon, Emile Benveniste, Christophe Bonneuil, Philippe Corcuff, René Descartes, Jean-Baptiste Fressoz, Jean-Marie Harribey, Eric Landowski, Bruno Latour, Michèle Le Doeuff, Michael Löwy, Carolyn Merchant, Jean-Paul Petitimbert, Pablo Solón, Daniel Tanuro.


Plan :

Introduction

1. Le XVIIe siècle : la nature soumise à la raison ?

2. Détour par la Grèce : la phúsis des « Présocratiques »

3. L’influence de l’environnement sur la nature humaine : Hippocrate

4. Entre l’homme et son environnement, les tékhnai

5. De Descartes au capitalocène : la marchandisation de la nature

6. Pour une transition éco- et sémiosocialiste : anthropopoiésis et écopoiésis

Conclusion

 

Pour citer ce document, choisir le format de citation : APA / ABNT Vancouver

 

Recebido em 23/07/2023. / Aceito em 25/08/2023.