Dossier — Aspects sémiotiques du changement

Des choses et des hommes :
les prémices de la propriété des objets

Manar Hammad

 

Publié en ligne le 23 décembre 2023
https://doi.org/10.23925/2763-700X.2023n6.64712
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1. Peut-on repérer l’apparition de la propriété des objets ?

En français, le terme propriété est utilisé de deux manières différentes. D’une part, il désigne « un caractère propre, spécifique » reconnu à une chose. D’autre part, il désigne « une chose possédée, un droit de possession »1. En ce deuxième usage qui nous occupe ici, la propriété n’est pas une qualité naturelle des choses, elle est un effet de sens qui caractérise un mode de circulation des objets parmi les hommes. Autrement dit, propriété est un sémème2 projeté sur une catégorie d’objets3, ce qui pose deux questions : i) l’articulation sémantique de la notion de propriété à un moment donné, ii) l’élaboration historique de cette notion, marquant un changement des manières de faire et de penser, entre un avant supposé sans propriété, et un après où la propriété est mise en place.

Nous avons posé ailleurs la question de la propriété de l’espace4 à l’époque néolithique. L’analyse syntaxique met en évidence une symétrie entre le contrôle de la circulation des hommes dans l’espace physique, dit privatisation de l’espace5, et le contrôle de la circulation des espaces (ou topoï6) dans l’espace social, dit propriété. Si on considère des hommes en relation avec des objets pleins, en lieu et place de leur relation à des espaces vides, cette belle symétrie formelle n’est plus manifestée car les hommes ne pénètrent pas les objets pleins. Dès lors, la description de la privatisation de tels objets (le contrôle de l’accès des hommes aux objets) ressemble à la description de la circulation des objets sous le régime de la propriété : le caractère impénétrable des objets empêche de distinguer la circulation des hommes parmi les choses (privatisation) de la circulation des choses parmi les hommes (propriété). Pour les objets pleins, les jonctions actorielles7 du niveau figuratif ressemblent aux jonctions actantielles (Sujet, Objet) plus abstraites. On peut supposer que cet écrasement de la différence est à l’origine de l’absence de différenciation, chez les économistes, entre les mécanismes de la privatisation et ceux de la propriété : tant que l’économie ne s’occupe pas d’espace, elle ne discerne pas la symétrie entre les deux variétés de circulation et de contrôle. À la suite de quoi le terme privatisation prend chez les économistes un autre sens, celui de la transformation d’une propriété publique en propriété privée.

Nous ne nous occupons pas de ce dernier effet de sens, particulier et restrictif. Nous portons notre intérêt à l’usage qui reconnaît dans la privatisation un processus général par lequel un espace est investi de l’effet de sens privé susceptible d’une graduation : dans un appartement, la chambre est plus privée que le séjour, lequel est plus privé qu’un salon, qui est plus privé que le vestibule. Les pratiques sociales qui marquent ces degrés de privé sont précisément les procédures de privatisation de l’espace. Elles sont manifestées indépendamment de la propriété, dans des contextes aussi différents que la tente d’un groupe nomade, un logis en prêt ou en location, une chambre d’hôtel, ou un hall de gare. Ces procédures marquent le caractère plus ou moins exclusif de l’usage de l’espace. Elles sont toujours présentes, en présence ou en l’absence de propriété, et sont dès lors présupposées par la propriété de l’espace : lorsqu’on cède des droits à un espace, on cède des droits à l’exclusivité.

1 D’autres langues, dont la langue arabe, font appel à deux racines différentes pour désigner ces effets de sens. Leur réunion en français sous le même vocable est un héritage de la langue latine.


2 Pour tous les termes relevant du métalangage sémiotique, voir A.J. Greimas et J. Courtés, Sémiotique. Dictionnaire, Paris, Hachette, 1979.


3 Certains objets, tels que le vent et la haute mer, ne se prêtent pas à la projection de l’effet de sens propriété.


4 M. Hammad, « De l’espace et des hommes : Identité de groupe et traces de la privatisation de l’espace et de la propriété à l’époque néolithique », Acta Semiotica, III, 5, 2023.


5 M. Hammad, « La privatisation de l’espace », Nouveaux Actes Sémiotiques, 4-5, 1989, rééd. in Lire l’espace, comprendre l’architecture, Paris, Geuthner, 2006.


6 M. Hammad, « Définition syntaxique du topos », Bulletin du GRSL, 10, 1979, rééd. in Sémiotiser l’espace, décrypter architecture et archéologie, Paris, Geuthner, 2015.


7 Cf. Sémiotique. Dictionnaire, op. cit.

Le choix de la période néolithique est heuristique : quelques groupes humains y renonçaient à la mobilité des chasseurs-cueilleurs pour devenir sédentaires, fondant des villages et inaugurant de nouvelles manières d’occuper l’espace8. Ils ont laissé des traces interprétables. En raison de l’importance de la propriété aujourd’hui, quelques archéologues supposent au néolithique l’apparition des prémices de cette institution sociale. Ils utilisent le terme propriété sans précautions sémantiques. Or l’écriture n’avait pas été inventée, les hommes néolithiques n’ont laissé que des traces matérielles. L’analyse de leur architecture a permis de conclure qu’ils avaient des pratiques différenciées de privatisation, mais rien ne permet de dire qu’ils avaient des pratiques interprétables comme preuve de propriété sur l’espace9.

8 M. Hammad, « Interpréter la formation des villages néolithiques », Actes Sémiotiques, 126, 2022.


9 « De l’espace et des hommes », art. cit.

Dans l’analyse qui suit, nous distinguons le micro-univers étudié, fait de traces archéologiques non verbales qui renseignent sur le rapport des hommes aux objets, du niveau métalinguistique qui distingue des modes de maîtrise des objets et des manières de les mettre en circulation parmi les hommes. Nous avons sollicité le Proche-Orient, où apparurent les premiers villages connus, pour repérer un micro-univers idoine. Au niveau méthodologique, nous reformulons en termes sémiotiques certains acquis de l’anthropologie économique afin de présenter, au niveau du sens, des articulations communes à des disciplines distinguées par des évolutions universitaires. Les distinctions disciplinaires sont reprises dans l’organisation de la bibliographie, mais l’analyse adopte une perspective synthétique.

Le changement qui nous intéresse est celui de l’apparition de la propriété des objets, dans un monde où la propriété était absente. Sans caresser l’illusion de repérer une apparition absolue, nous étudions des traces qui permettent de conclure que la notion de propriété se mettait en place. La propriété est un effet de sens marqué, opposable à un état des choses sans propriété. Qu’y avait-il en cette absence ? Il y avait des manières de faire et des effets de sens. Les hommes du passé n’étant plus visibles, nous cherchons dans la forme et la disposition des restes les traces d’une circulation arrêtée. L’anthropologie décrit à une époque récente plusieurs manières de faire circuler des objets, coexistant parfois au sein d’une même société. Notre vocabulaire (français, en l’occurrence) peine à décrire ces états de choses, auxquels correspondaient des langues disparues. Hors des langues naturelles, la circulation des objets parmi les hommes a revêtu des formes relativement stables. C’est ce mouvement que nous cherchons à restituer de manière syntaxique.

 

On trouve les objets archéologiques dans deux contextes sédentaires, celui des vivants et celui des morts. Les sépultures étant fermées pour une durée indéterminée, la circulation des objets qui y sont déposés est arrêtée, autorisant la reconnaissance d’un caractère privé mais ne permettant pas la reconnaissance de la propriété, dont la caractéristique principale est celle de circuler par des transactions libératoires10. Nous centrerons donc la quête sur l’espace des vivants. Pour maîtriser l’analyse, nous décrirons des relations syntaxiques entre hommes et objets, avec les contraintes identifiées par l’anthropologie. Puis nous passerons à des cas sélectionnés pour servir d’exemple, ce qui suppose une étude exploratoire non détaillée ici.

10 Ibid.

Un type d’objet archéologique dit scellement est pris comme point de départ en raison des effets de sens qu’il implique. On a reconnu, dans certains villages néolithiques du nord de la Syrie (Fig.1 & Fig.2), des mottes de terre portant l’empreinte d’objets gravés (Fig.3). La motte a parfois été cuite par un incendie qui en a fixé la forme. Il est probable qu’un nombre indéterminé de scellements de terre crue, occurrents en divers lieux, n’aient pas été reconnus par les fouilleurs en raison de leur piètre état de conservation. Les plus anciens scellements connus, trouvés à Tell Sabi Abyad, sont datés vers -6100 EC11. On différencie une face avant du scellement marquée par l’empreinte d’un sceau gravé, et une face arrière portant la trace du col d’une jarre12, celle d’un couvercle de vannerie, ou celle d’une peau tendue sur l’ouverture d’un récipient et retenue par une ficelle enroulée13. La motte marquée par un sceau a contribué à la fermeture d’un conteneur (Fig.4). Elle a été brisée lors de l’ouverture du conteneur (l’archéologie du néolithique n’a pas livré de conteneur intact ayant conservé son scellement). Entre son apposition et sa rupture, la motte de scellement a servi à immobiliser, dans le conteneur, des objets qui n’ont pas été conservés. Une telle immobilisation présuppose une circulation, tant antérieure que postérieure. La question posée est de savoir si la circulation présupposée est caractérisable comme une forme de propriété. La question est difficile. Pour y répondre, il faut affiner le métalangage de description et examiner de plus près les scellements.

11 P.M.M.G Akkermans, Tell Sabi Abyad, the late Neolithic settlement, 2 vol., Istanbul, Nederlands Historisch-Archaeologisch Instituut, 1996. Id. et Kim Duistermaat, « More seals and sealings from Neolithic Tell Sabi Abyad, Syria », Levant, 36, 2004. Id. et id., « Late Neolithic seals and sealings », in Excavations at late Neolithic Tell Sabi Abyad, Syria, Turnhout, Brepols, 2014.


12 La poterie est déjà connue, il ne s’agit plus du premier âge néolithique qui ne la connaissait pas.


13 Deux millénaires plus tard, à Arslantepe, les scellements ont servi à fermer des portes de locaux qui ont pu contenir d’autres conteneurs scellés.

Fig.1 Tell Sabi Abyad sur le Balikh

Fig.2 Sites néolithiques de la vallée du Balikh

Fig.3 Scellements en terre de Tell Sabi Abyad

Fig.4 Manières de poser un scellement

Deux remarques d’ordre méthodologique s’imposent :

i) La circulation des objets placés sous scellé est repérée en référence à un conteneur (espace vide) qui les a contenus pour une durée donnée. Ce qui nous ramène à la question de la maîtrise de l’espace. Un mathématicien pourrait dire « nous sommes ramenés au cas précédent ». Mais le cas présent est plus complexe que celui de la propriété de l’espace. Il faut l’examiner en ses manifestations.

ii) L’analyse est restreinte au cas ancien le mieux exploré, celui de Tell Sabi Abyad fouillé par Peter M.M.G. Akkermans. On y a trouvé plus de 300 scellements (Fig.5), dans un contexte construit, stratifié, daté. Marcella Frangipane a dégagé à Arslantepe (Turquie) des séries ordonnées de scellements (datés vers -3300 EC), qu’elle a analysées avec Fiandra et Ferioli. Le nombre et la distribution des scellements d’Arslantepe permet de dégager d’autres effets de sens, où la comptabilité présuppose la propriété de manière plus persuasive. Plus de deux mille ans séparent les dépôts d’Arslantepe de ceux de Tell Sabi Abyad. Nous resterons au néolithique.

Fig.5 Dessins d’empreintes de sceaux

 

2. Sémantique de la propriété au sein du paradigme
des régimes de circulation des choses parmi les hommes

2.1. Avant la propriété

2.1.1. Maîtrise collective, communs et Res nullius

La propriété n’est pas une qualité nécessaire des choses. Certains objets ne se prêtent pas à l’appropriation, tels que l’air respirable ou la haute mer. D’autres choses sont appropriables mais n’appartiennent à personne s’il n’y a pas eu capture : c’est le cas des animaux sauvages14. Ces choses ne circulent pas entre les hommes, donc elles ne sont pas soumises aux conditions de la propriété. Parmi ce qui circule entre les hommes, les témoignages d’affection, d’amour ou de haine ne sont pas susceptibles de relever de la propriété. Les actes de langage tels que promesse, menace ou serment engagent leur auteur, mais il n’est pas question de propriété. Un village, une région, un pays ne sont pas la propriété de ceux qui y habitent, même s’il y a exercice de souveraineté (dans les langues sémitiques, souveraineté et propriété sont désignées par le même vocable qui caractérise la maîtrise de l’espace et des choses).

14 La chasse est une procédure prédatrice d’appropriation.

Il y a circulation d’objets sans propriété. Il y a privatisation sans propriété. La conjonction de la privatisation et de la circulation fait-elle propriété ? nous verrons que cela ne suffit pas. Auparavant, posons la question du rapport entre les hommes et les objets du monde sans présupposer une circulation des uns parmi les autres. Un ensemble d’hommes, mis en rapport avec un ensemble d’objets, sans propriété, se retrouve en situation d’accès libre semblable à celui des « communs » villageois (bois et pâturages) : chacun peut y puiser selon ses besoins ce qui est disponible. Ce qui suppose que l’ensemble des hommes est partitif (en individus ou en sous-groupes) et que l’ensemble des objets est partitif (les objets sont distincts les uns des autres), mais il n’est pas question de partager l’ensemble des choses entre les hommes. L’indivision règne, une forme de maîtrise collective sur les ressources est mise en œuvre, sans exclusivité au sein d’un groupe où le caractère intégral domine la partitivité.

 

Si le nombre des hommes augmente pour des ressources limitées, l’expérience montre qu’il peut y avoir surconsommation des ressources communes, ce qui nuit à leur renouvellement naturel15. Le grand nombre des hommes peut rendre la prise de décision difficile pour une gestion collective : les biens communs peuvent péricliter. Certains économistes anglophones ont appelé cela « anticommons »16. Une solution courante est le partage des « communs » et leur transformation en propriété privée17. À côté de cette solution idéologiquement motivée, il peut y en avoir d’autres18.

2.1.2. Acquisition, consommation, privatisation, possession

La libre acquisition de choses disponibles peut être suivie d’une consommation immédiate ou d’une consommation différée. La consommation immédiate fait disparaître l’objet, la question de son statut ultérieur ne se pose pas. La consommation différée pose plusieurs questions.

La première est relative à l’objet dans son environnement physique : se conserve-t-il dans le temps ? Les premières plantes domestiquées au Proche-Orient, les céréales et les vesces, se conservent bien dans un climat relativement sec. Le saumon conservé en Amérique du Nord a été fumé. Si les nourritures risquent de se gâter, leur consommation ne peut être différée.

La seconde est relative à l’objet dans un environnement humain : le stockage pour une consommation différée est une mise hors circulation, pour une durée variable. Il pose des questions de privatisation et de possession, mais pas encore de propriété. La différence entre ces modes de jonction sera clarifiée ci-dessous.

La troisième question est relative aux capacités cognitives des hommes : la consommation différée présuppose une prévision dans le temps, une appréciation de risque et de sécurité. Elle pose la question d’un sujet cognitif et de sa relation au sujet pragmatique consommateur.

Agriculture et élevage ajoutent un autre degré de complexité, puisqu’ils diffèrent la production longtemps après les semailles et les soins : il ne s’agit plus de différer la consommation de l’acquis, mais de différer l’acquisition même, laquelle résulte d’une production. Les capacités prédictives impliquées sont supérieures.

15 G. Hardin, “The Tragedy of the Commons”, Science 162, 1968. J. Tierney, “A tale of two fisheries”, The New York Times Magazine, 2000.


16 M. Heller, “The tragedy of the anticommons : a concise introduction and lexicon”, The Modern Law Review, 2013.


17 M. Minnegal & P.D. Dwyer, “Appropriating fish, appropriating fishermen : tradable permits, natural resources and uncertainty”, in V. Strang & M. Busse (eds), Ownership and appropriation, Oxford, Berg, 2011.


18 E. Ostrom, Governing the commons. The evolution of institutions for collective action, Cambridge University Press, 1990 ; “Coping with tragedies of the commons”, Annual Review of Political Science, 1999.

Nombreuses sont les traces qui invitent à conclure que les hommes du néolithique ont eu une pensée religieuse précoce19 qui les mettait en relation avec des ancêtres et des divinités. Les hommes n’étaient donc pas seuls face aux choses, et leur relation aux ressources n’était pas une simple relation d’acquisition : il y aurait eu une circulation des choses entre les vivants, les morts et les dieux. Si on se réfère au témoignage de l’Âge du Bronze et de l’Âge du Fer, comme au témoignage de l’anthropologie récente, cette circulation avait lieu selon le régime du don (§2.1.3).

19 J. Cauvin, Naissance des divinités, naissance de l’agriculture. La révolution des symboles au Néolithique, Paris, CNRS éditions, 1994.

Considérons la question hors du modèle religieux. Pendant que les plantes fructifient ou que les troupeaux produisent, un travail ou un gardiennage est nécessaire, ce qui présuppose une forme de privatisation. Rien n’indique que le sujet privatisant était individuel, tout invite à supposer qu’il était collectif, à l’échelle du village ou celle d’une section. L’analyse de l’architecture des villages reconnaît des sujets collectifs à différentes échelles20 : si les maisons peuvent être érigées par un groupe réduit, les bâtiments communautaires sont d’une taille qui exige la coopération de la communauté entière. Les sujets de l’acquisition alimentaire peuvent être différents des sujets de la construction, mais les conditions de consommation au village sont déterminées par l’architecture. Elles indiquent qu’en plusieurs lieux, et en particulier à Jerf el-Ahmar, la préparation alimentaire finale et la consommation avaient lieu dans des espaces collectifs de plein air, situés entre plusieurs maisons et impliquant les membres de plusieurs maisonnées.

20 « De l’espace et des hommes », art. cit.

L’acquisition des objets res nullius (cette expression désignait, chez les latins, les objets qui n’appartenaient à personne : ils étaient placés hors des conventions de la propriété) ou communs a la forme d’une cueillette ou d’une chasse : ce n’est ni un don, ni un héritage, ni un achat, mais une forme de privatisation. Cette jonction actorielle est un rapport direct entre hommes et choses, l’effet de sens privatisation apparaissant lorsque le sujet acquéreur admet qu’un autre sujet puisse acquérir une autre chose de manière similaire21.

21 « La privatisation de l’espace », art. cit. La symétrisation des privatisations et la reconnaissance mutuelle font partie du régime de privatisation.

Lorsque les choses sont rapportées au village et partagées, un nouveau rapport apparaît, plaçant les choses entre des sujets qui ont acquis et des sujets qui reçoivent. Tout porte à croire que ce partage est une distribution, une attribution produisant une nouvelle privatisation. Il n’y a aucune trace matérielle d’échange et la propriété n’est pas nécessaire. Si l’acquisition est une jonction actorielle externe, la consommation alimentaire internalise la jonction entre sujet et objet. Le stockage fait perdurer une jonction externe jusqu’à la consommation différée.

La privatisation des objets évoquée ci-dessus est définie en extension de la privatisation de l’espace : un contrôle de la jonction entre un sujet et un objet, une exclusivité relative en faveur d’un sujet, et une symétrie présupposée en faveur de sujets disposant d’objets privatisés similaires. La situation d’ensemble équivaut à un partage qualitatif (chaque sujet dispose d’un objet) sans estimation quantitative qui différencierait les éléments partagés.

Ce mode de partage, sous le régime de la privatisation, précède logiquement les régimes de circulation habituellement reconnus, celui de l’échange de dons (cf. §2.1.3) créateur de liens interpersonnels, et celui de la vente-achat libératoire du régime de propriété (§2.2.3). Ces trois formes de circulation des objets parmi les hommes s’opposent à la disponibilité des biens communs ou des objets res nullius, non encore mis en circulation.

La possession d’un objet désigne un état statique de privatisation (dénué de circulation), inscrit dans la perspective du sujet. L’appartenance désigne le même état, dans la perspective de l’objet22. D’autres langues offrent des terminologies différentes, mais notre propos n’est pas linguistique : nous cherchons à caractériser les phénomènes au moyen d’une syntaxe sémantique. Notons au passage que possession ne signifie pas propriété : un bien volé, loué, ou prêté peut se trouver en la possession d’un sujet sans que les droits de son propriétaire ne cessent d’exister (§2.2.3). Certains auteurs23, qui réfléchissent sur la structure égalitaire ou non-égalitaire du groupe social, analysent l’incidence de ces faits sur les modes de partage. Malgré l’intérêt de ces questions, elles sortent du cadre de notre analyse.

2.1.3. Don, contre-don différé & effet ligatoire

Dans l’Essai sur le don24, Marcel Mauss attire l’attention sur un mode d’échange différé attesté chez plusieurs sociétés archaïques, parmi lesquelles il nomme les Scandinaves, les Polynésiens25 et les Tlingit du nord-ouest américain. Trois phrases du début de cet essai résument le modèle en question (forme de l’échange, partenaires, objets en circulation) :

22 Lorsqu’on dit que tel élément appartient à tel ensemble, la relation est objectivée : l’ensemble (hiérarchiquement supérieur) est installé à la place du sujet anthropomorphe.


23 J. Woodburn, “Egalitarian societies”, Man, 17, 3, 1982. A.P. Fiske, “The four elementary forms of sociality : framework for a unified theory of social relations”, Psychological Review, 99, 4, 1992. C. Macdonald, «Structure des groupes humains. Vers une axiomatique», L’Homme 217, 2016.


24 M. Mauss, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », L’Année Sociologique, 1923-1924, repris dans Sociologie et anthropologie, Paris, P.U.F., 1950.


25 B. Malinowski, Argonauts of the Western Pacific. An account of native enterprise and adventure in the archipelagoes of Melanesian New Guinea, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1922.

— Dans la civilisation scandinave et dans bon nombre d’autres, les échanges et les contrats se font sous la forme de cadeaux, en théorie volontaires, en réalité obligatoirement faits et rendus. (p. 147)
— D’abord, ce ne sont pas des individus, ce sont des collectivités, qui s’obligent mutuellement, échangent et contractent… (p. 150)
— Ce qu’ils échangent, ce n’est pas exclusivement des biens… Ce sont avant tout des politesses, des festins… des femmes…, la circulation des richesses n’est qu’un des termes d’un contrat beaucoup plus général et beaucoup plus permanent. (p. 151)

Les transformations mises en œuvre n’ont aucun besoin des contraintes posées par la propriété (pour le détail de celles-ci, voir §2.2.3). Le modèle du don est logiquement antérieur au régime de la propriété, ce pourquoi nous projetons ce modèle anthropologique sur l’époque néolithique. Bien qu’il n’y ait pas de preuve établissant que ce modèle ait été en usage à l’époque néolithique, il n’y a aucun argument qui en contredise la possibilité : la cohérence logique est réalisée. Si cela reste une hypothèse, elle est plausible et nous l’admettrons pour la suite de l’analyse, au titre de l’un des modèles possibles. Nous reviendrons au paragraphe 2.3 sur le paradigme des différents modèles de circulation des objets parmi les hommes.

La première caractéristique du modèle est relative à la forme de l’échange : ses deux parties (don et contre-don) ne sont pas simultanées, le contre-don est différé par rapport au don. Nous avons vu que la consommation différée par rapport à l’acquisition entraînait des conséquences sémantiques non triviales. Le caractère apparemment volontaire d’un acte donatoire particulier s’avère trompeur car l’enchaînement des dons symétriques en révèle les caractères obligatoire et polémique. Dès qu’un enchaînement de dons est installé, il devient illusoire de chercher l’acte premier qui l’a instauré. On peut invoquer un acte initial dans un récit mythique des origines, mais son incidence réelle sur les actes successifs est faible. Il n’est pas nécessaire de chercher une force inscrite dans l’objet26, comme on l’a fait au début du XXe siècle. L’obligation naît du contrat d’alliance dans la symétrie entre sections sociales (phratries au sein d’une même tribu).

26 M. Mauss, op. cit., p. 148 : « Quelle force y a-t-il dans la chose qu’on donne qui fait que le donataire la rend ? ».

L’échange alterné par don et contre-don porte le nom de Potlatch depuis le début du XXe siècle. Le terme adopté par les anthropologues est occurrent dans les langues Chinook et Kwakiutl, où il n’a pas exactement les mêmes effets de sens. Les différentes acceptions (nourriture, nourrisseur, place où on est nourri) partagent un noyau sémique relatif au don de nourriture, à la satiété, à l’abondance. Certains potlatch sont effectivement des festins alimentaires. D’autres potlatch font circuler des tissus, des objets en cuivre, ou d’autres biens. Les anthropologues y reconnaissent une forme d’interaction indifférente aux biens. Quelles que soient les choses en circulation, les potlatch événementiels s’inscrivent dans une série, où les mêmes parties jouent en alternance les rôles symétriques du donateur et du donataire. Chaque occurrence crée chez son donataire l’obligation d’organiser une occurrence en réponse, où il prendra le rôle du donateur, et où il tentera de surpasser par sa générosité les dons de l’autre. La rivalité polémique s’inscrit dans un contrat d’alliance, la succession des événements pousse les deux partenaires à acquérir plus de biens et à les accumuler jusqu’au jour où ils sont donnés.

 

Par un potlatch public, un donateur installe une dette que le donataire est tenu d’accepter27, et qu’il doit rendre en quantité supérieure. Ce qui suppose une manière de quantifier les dons. Il ne s’agit pas d’un prix, mais le don a une valeur, le contre-don doit être de valeur supérieure. En fait, chacun donne à la mesure de ses moyens, au risque de perdre la face s’il ne fait pas mieux que l’autre. D’où une course à l’acquisition.

Le vocabulaire français utilise les termes obligation, obliger, obligatoire pour désigner le devoir faire auquel se trouve acculé le donataire. Dans la mesure où ces événements créent des liens ou les modifient, il serait intéressant de les qualifier de ligatoire pour désigner le devoir faire inchoatif, alors que le terme obligatoire désignerait le devoir faire terminatif résultant. Ce n’est qu’une question de vocabulaire, l’essentiel étant d’établir les faits syntaxiques.

Sous le régime du don/contre-don, les parties (sujets collectifs) possèdent des biens, mais on ne peut pas les qualifier de propriété car ces biens ne sont pas échangeables par achat-vente libératoire (§2.2.3). Dans ce cadre culturel, les biens circulent sous le régime ligatoire des dons et contre-dons : chaque don impose aux parties d’entretenir de futures transactions, alors que le caractère libératoire de l’achat-vente sous le régime de la propriété libère chacun des partenaires de toute obligation ultérieure envers l’autre. De plus, le régime du don/contre-don n’exige pas l’égalité en valeur des biens en circulation, il exige au contraire une différence en valeur. La différence entre les deux régimes est nette.

Le modèle du don/contre-don est utilisable pour interpréter l’échange entre les hommes et les dieux : l’offrande est un don fait à une divinité, qui envoie en contrepartie de bonnes chasses, de bons troupeaux, de bonnes récoltes… Dans cet échange, chacun donne selon ses moyens, et les contre-dons divins sont plus abondants que les offrandes humaines. Les offrandes funéraires relèvent du même modèle.

27 D. Graeber, Debt. The first 5000 years, Brooklyn, Melville house, 2014.

2.2. Descriptions de la propriété

2.2.1. Perspective historique pour la propriété

Il n’est pas question de faire ici une théorie générale de la propriété. Notre perspective étant archéologique, c’est dans le passé documenté que nous cherchons les données. Nos travaux ont été dominés par des questions d’espace, et notre réflexion a été nourrie par les cas attestés de maîtrise de la terre28. Nous avons vu (§1) que la circulation des objets écrase des différences formelles entre privatisation et propriété, alors qu’elles sont manifestées lors de la circulation des terres. Il y a donc intérêt à fonder l’analyse de la propriété sur le cas spatial qui développe les formes syntaxiques. On pourra toujours en réduire le développement pour les cas simplifiés. Ces prémisses conditionnent l’analyse qui suit.

28 M. Hammad, « Régimes anciens de la terre », Actes Sémiotiques, 117, 2014, rééd. in Lire l’espace, étendre le domaine sémiotique, Paris, Geuthner, 2021.

À l’Âge du Bronze et à l’Âge du Fer, la documentation relative aux terres du Proche-Orient concerne souvent des tenures, dites Ilku en Akkadien29. À la période islamique30, des pratiques similaires sont évoquées sous les appellations Iqtaa (tenures militaires) et Waqf (tenures religieuses). Durant quatre millénaires (localement interrompus par la gestion romaine en Syrie), la majeure partie des terres documentées était la propriété d’institutions ou de grands propriétaires, confiées à des exploitants qui disposaient d’une latitude de gestion étendue. Les gestionnaires agissaient presque comme des propriétaires, mais ils étaient privés de deux capacités retenues par les propriétaires : la capacité à transmettre la terre en héritage31, et la capacité de céder la terre par une vente. Dès lors, ce corpus invite à conclure que les deux capacités en cause étaient décisives pour la qualité de propriété.

L’exploitant d’une terre en tenure avait toute liberté d’y accéder et d’en exclure autrui (= privatisation), d’irriguer et de cultiver, mais il lui était interdit de faire circuler la terre dans l’espace social, tant au sein de son groupe familial (héritage) qu’à l’extérieur de celui-ci (vente). Ces capacités étaient réservées au propriétaire. Or le statut de tenure (ilku, iqtaa, waqf) est attaché à la terre dans la tradition juridique de Mésopotamie et de Syrie. Cela présuppose une perspective sémantique, celle de l’actant Objet terre non celle de l’actant Sujet humain. Dès lors la terre en tenure apparaît comme immobilisée, incapable de circuler dans l’espace social des hommes, alors que la terre en propriété est dotée de la capacité de circuler. Autrement dit, ce qui caractérise la terre en propriété, c’est sa compétence, sa capacité à circuler. Le propos peut paraître paradoxal, puisque la terre est immobile. Si cela est vrai sur le plan de l’Expression, il reste qu’au plan du Contenu la propriété circule parmi les hommes.

Bref. La libre disposition de l’exploitation en tenure s’arrête aux interdits posés à la circulation de la terre dans l’espace social. La propriété n’est pas contrainte par de telles limitations.

Les institutions sont des entités qui ne connaissent pas la mort à la manière humaine. Dotées de la capacité de posséder des terres, elles les conservaient dans la durée sans avoir à les transmettre en héritage à des héritiers. Néanmoins, il était interdit aux tenanciers des terres de transmettre les tenures à leurs propres héritiers. Cette interdiction a parfois été levée et la transmission de l’exploitation par héritage fut accordée à des exploitants. Une telle transmission ne remettait pas en cause le statut de la terre en tenure. Mais ce fut la brèche par laquelle les tenures furent graduellement détournées et transformées en propriété, profitant des périodes d’instabilité politique où les lois étaient mal appliquées : le droit de cession fut exercé de facto, sans autorisation de jure. C’est ainsi que beaucoup de terres de tenure furent privatisées, et que les gouvernements successifs durent reconstituer, d’une manière ou d’une autre (bonification, conquête, confiscation), la masse des terres institutionnelles de tenure.

La circulation des terres dans l’espace social est donc une qualité nécessaire pour qu’elles puissent être qualifiées de propriété. Est-elle suffisante ? Non, car les dons et contre-dons circulent aussi dans l’espace social, mais cela n’en fait pas des propriétés. Il reste donc à déterminer une condition suffisante. Elle ne se trouve pas au niveau des jonctions-disjonctions qui décrivent la circulation, mais au niveau modal qui les détermine, celui des droits de transmettre et de céder. Ce sera l’objet du paragraphe 2.2.2.

Aujourd’hui, les économistes s’accordent à dire que la circulation des biens fonciers favorise une dynamique économique, le mouvement des biens générant une richesse commerciale. A contrario, les tenures stabilisaient l’organisation de l’espace et ralentissaient l’enrichissement. Les règles de l’héritage ont souvent posé des difficultés à la transmission rapide des biens : elles fonctionnent comme un ralentisseur de la mobilité des biens, les maintenant parfois en indivision. A fortiori, l’interdiction de transfert par héritage bloque la transmission. Ceci rappelle la situation des anticommons, où la difficulté à gérer de manière collective ralentissait l’exploitation des richesses. Il en ressort, dans une perspective économique libérale, que les freins à la circulation ralentissent la productivité, alors que la transformation en propriété privée accélère le mouvement et l’enrichissement. Sans adhérer à une telle perspective, force est de constater la fréquence historique des opérations (contractuelles ou polémiques) par lesquelles des terres institutionnelles ou collectives furent privatisées. Cette privatisation au sens économique du terme est passée par l’attribution à un sujet du droit de céder (vendre) la terre dont il recevait le contrôle. Il devenait propriétaire.

Le droit de cession fait donc partie de la condition nécessaire recherchée, mais il n’est pas suffisant. Car l’échange des dons et contre-dons réalise déjà une circulation des biens, mais c’est une circulation conditionnelle (ligatoire). La véritable condition nécessaire pour le statut de propriété, c’est la cession libératoire. Ce sera l’objet du paragraphe 2.2.3.

29 Op. cit. note 28.


30 M. Hammad, « Dynamics of Madrasa learning institutions in the Ayyubid and Mamluk capital cities », sous presse.


31 M. Hammad, « La Succession », Semiotica, 2017, rééd. in Lire l’espace, étendre le domaine sémiotique.

Une terre en propriété inscrit sa relation avec un sujet entre un début (conjonction ou acquisition) et une fin (disjonction ou cession), avec une privatisation d’usage entre les deux jonctions. Deux sujets sont nécessaires pour une opération de transfert : pour l’un c’est une cession, pour l’autre c’est une acquisition32. En conséquence, la qualité de propriétaire est transitoire et finie pour un sujet, mais la qualité de propriété reste durablement attachée à toute terre mise en circulation dans ce que nous appellerons un régime de propriété..

32 Les langues naturelles manifestent une grande variabilité dans la désignation de la catégorie (transfert) et des jonctions orientées.

Avant de clore ce paragraphe, rappelons que, pour la tenure, un propriétaire absent conserve ses droits sur la terre, malgré son éloignement dans l’espace, malgré la durée de délégation d’exploitation. La question de droits durables dans le temps, résistants dans l’espace, mérite un examen particulier (§2.2.2). Les scellements de Tell Sabi Abyad manifestent des phénomènes de cet ordre pour des objets. Nous les examinerons au paragraphe 3.

2.2.2. Modalités et droits de propriété

Pour reconnaître la propriété, nous avons examiné les manières de faire circuler des terres dans un micro univers sémantique. Pour ces jonctions entre objets et sujets, la perspective de la propriété privilégie les objets par rapport aux sujets. Les dictionnaires et les économistes procèdent autrement, tenant un discours en termes de droits du sujet. Les droits sont des modalités d’action reconnues par des instances régulatrices telles que la société, la coutume ou la loi. À titre d’exemple, le Dictionnaire Historique de la Langue Française (1992) définit la propriété comme un droit de possession. Cet énoncé condensé présuppose (sans le dire) qu’on peut posséder sans en avoir le droit, suite à l’occupation d’un espace ou au vol d’un objet. Posséder en droit, c’est disposer de la reconnaissance publique pour la possession, i.e. avoir la sanction d’un Destinateur collectif, souvent inscrite dans des titres de propriété. Lorsque le dictionnaire ajoute pour la propriété droit d’user, de jouir et de disposer d’un bien, il identifie des pouvoir faire particuliers, spécifiant des actions potentielles du sujet.

 

Le modèle économiste des droits de propriété est porté aujourd’hui par des auteurs tels que Demsetz, Barzel, Umbeck33. Ils partagent l’idée que la définition de la propriété passe par la reconnaissance de droits de propriété attribués au sujet et projetés sur les choses. Si cette manière de penser a des racines chez les juristes latins, elle a été récemment reconstruite dans le milieu du droit coutumier de tradition anglo-saxonne. Ce qui est nouveau, c’est l’admission de la nécessité de deux niveaux hiérarchiquement ordonnés pour définir les droits de propriété : i) un niveau contractuel établi entre partenaires qui se reconnaissent des droits mutuels plus ou moins symétriques, ii) un niveau judicateur supérieur, celui de l’État qui assure la résolution des litiges potentiels issus de l’exécution des contrats. Ce niveau définit le cadre légal dans lequel s’inscrivent les contrats particuliers entre partenaires. C’est à ce niveau transcendant que le droit de propriété doit sa force particulière qui lui permet de perdurer malgré la séparation physique entre sujet et objet, tant dans l’espace que dans le temps.

Le lecteur sémioticien aura reconnu dans cette distinction des économistes un parallèle avec la distinction entre performance et judication dans une séquence narrative. Barzel y introduit une convention de vocabulaire : les droits de propriété sont économiques lorsqu’ils sont inscrits dans la perspective des partenaires au contrat, ils sont légaux lorsqu’ils sont inscrits dans la perspective de l’État.

33 H. Demsetz, “Toward a theory of property rights”, The American Economic Review, 57, 1967 ; id., “Toward a theory of property rights II : the competition between private and collective ownership”, Journal of Economic Studies, XXXI, 2002. Y. Barzel, Economic analysis of property rights, Cambridge University Press, 1997. J. Umbeck, “The California gold rush : a study of emerging property rights”, Explorations in Economic History 14, 1977.

En fin de compte, trois perspectives sont nécessaires pour définir la propriété : celle de l’objet, celle du sujet, et celle de l’instance judicatrice supérieure. Nous verrons qu’il y a lieu de leur joindre une quatrième perspective, celle de la jonction dotée d’un pouvoir ligatoire ou libératoire selon le régime de circulation, celui du don ou de la propriété (§2.2.3).

La question des débuts de la propriété, régulièrement traitée par les philosophes34, réapparaît chez les économistes qui traitent la question en termes de droits. Barzel la retrouve dans l’analyse faite par Umbeck de la ruée vers l’or en Californie. Demsetz la retrouve au Québec dans les territoires de chasse des indiens Montagnais. Nous cherchons ici à vérifier l’existence d’un début de la propriété au néolithique du Proche-Orient. Alors que Demsetz, Umbeck et Barzel prennent pour objet des récits, l’archéologie du néolithique impose un matériau non verbal, dont l’interprétation continue à se construire. Une convergence des résultats aurait valeur de validation mutuelle.

34 P. Garnsey, Thinking about property. From Antiquity to the Age of Revolution, Cambridge, Cambridge University Press, 2007.

La question des origines est comparable à celle des récits de fondation : avant, il n’y avait rien, après, il y a une institution. Entre l’avant et l’après se place une transformation, qu’on trouve ou qu’on ne trouve pas. Une démarche de type mythique est déplacée vers le domaine scientifique. On peut reformuler la question en termes de débuts, de mise au point ou d’invention. Ce changement des manières de faire transcrit un changement dans les manières de penser. Nous nous proposons de rendre compte des traces trouvées à Tell Sabi Abyad. Demain, les fouilles auront peut-être dégagé un autre ensemble d’objets, dont il faudra rendre compte. Quel que soit le cas, un ensemble de traces matérielles ne peut jamais être dit premier avec certitude. Des idées relevant de la propriété ont pu être mises en œuvre autrement auparavant, sans laisser des traces qui nous soient parvenues. Il n’en reste pas moins que les premières traces connues ont une qualité de verdeur comme toutes les prémices végétales et animales produites tous les ans. Les pratiques signifiant la propriété ont pu être, de même, introduites à plusieurs reprises en plusieurs lieux.

Une remarque comparative s’impose avant de clore ce paragraphe. Dans le régime d’échange des dons et contre-dons qui précéda l’apparition de la propriété, un lien subsiste entre le sujet et l’objet qui en est disjoint pour être offert en don, et ce lien perdure dans l’éloignement et dans le temps. Ce lien n’est pas comparable à celui du régime de propriété, qui subsiste tant qu’il n’est pas rompu par une transaction libératoire qui sépare l’objet de son propriétaire du moment, pour disparaître ensuite (§2.2.3). Dans la circulation sous le régime du don, la séparation entre l’objet et son possesseur temporaire ne rompt pas totalement le lien qui les unissait, et la valeur de l’objet qui circule se trouve augmentée de charges sémantiques successives issues de son contact avec des sujets possesseurs qui constituent autant de stations dans son parcours au sein de l’espace social35. En conséquence, un lien durable entre objet et sujet ne caractérise la propriété que par le type d’effet qu’il produit : sa simple existence ne suffit pas à caractériser la propriété.

35 B. Malinowski, Argonauts of the Western Pacific, op. cit.

2.2.3. Circulation libératoire de la propriété

Le Musée du Louvre conserve une stèle pyramidale en diorite noire. Sur ses quatre faces, Manishtusu (-2229 à -2214 EC) fils de Sargon, roi d’Agadé, fit graver un texte en Akkadien. Publiée en 1991 par Gelb, Steinkeller et Whiting, l’inscription relate l’acquisition de 3430 hectares par Manishtusu36. Les vendeurs sont des groupes de cultivateurs dont l’identité et la qualité de propriétaire est vérifiée par des témoignages. Les terres sont identifiées par des noms propres (l’usage d’un nom n’est pas réservé aux seuls humains) et par leur position insérée entre des terres adjacentes. Manishtusu paie les terres en argent, tissu, grain et animaux. Les scribes notent in præsentia que le prix a été perçu (en Akkadien on dit mangé) devant témoins. Les témoins sont nommés. Puis les vendeurs, leur parenté, les témoins et les scribes partagent un festin offert par Manishtusu.

36 M. Hammad, « Régimes anciens de la terre », art. cit.

Datant du dernier quart du troisième millénaire, ce texte illustre les précautions prises pour que la transaction portant sur une propriété foncière ne soit pas contestée plus tard. La stèle de Manishtusu devait être déposée dans un sanctuaire urbain, des copies déposées en d’autres sanctuaires. Précautions et publicité rendaient la transaction libératoire : elle libérait la terre de tout lien avec ses propriétaires antérieurs, qui avaient cédé leurs droits. En conséquence, la terre se trouvait à l’entière disposition du nouveau propriétaire.

Le caractère libératoire de la transaction est caractéristique. Il oppose la « pleine » propriété à ce qui pouvait résulter d’un don doté d’une capacité ligatoire rattachant l’objet (et son nouveau possesseur) à l’ancien maître de l’objet donné. Comme il oppose la propriété à ce qui a été acquis par vol ou par dol : le caractère libératoire présuppose une conformité aux usages, et à la loi lorsqu’il y en a une. En d’autres termes, ce qui aurait été acquis hors contrat, hors la loi, n’aurait pas la qualité pleine de propriété. Ce qui met en évidence deux faits : i) les pratiques relatives à la propriété présupposent un contexte contractuel validé par la collectivité, ses délégués ou ses autorités ; ii) la propriété est une qualité qui peut être « pleine » si certaines conditions de félicité sont remplies, mais elle est susceptible d’être entachée de contraintes restreignant la liberté du propriétaire. Le droit foncier romain a fait une place particulière aux « servitudes » (de passage, d’eau…) qui peuvent grever une propriété. En conséquence, une propriété non « pleine » n’en est pas moins une propriété, mais avec des droits accordés à un tiers qui n’en est pas le propriétaire. L’exclusivité n’est pas totale. Lors d’une cession ultérieure, la servitude est attachée à la propriété et se trouve transmise au nouveau propriétaire.

Il va de soi qu’avant l’écriture, à l’époque préhistorique, il est peu probable que nous trouvions des traces du caractère libératoire d’une transaction, ou les traces d’une servitude grevant une propriété. Il n’en reste pas moins que le corpus historique de l’Âge du Bronze invite à considérer le caractère libératoire des transactions pour caractéristique et nécessaire à la définition pleine de la propriété. En l’absence de preuve de libération d’une propriété, cette dernière ne sera pas tenue pour pleine avec certitude. L’adage « possession vaut titre », applicable aux objets mobiles, signifie qu’il subsiste un doute sur la plénitude d’une propriété dépourvue de titre. Comme pour le verre d’eau qui, à moitié plein peut être dit à moitié vide, la propriété peut ne pas être pleine. D’où la difficulté à décider, pour les périodes anciennes, s’il s’agit de propriété ou d’une autre forme de maîtrise pour laquelle notre vocabulaire manque de nuances.

Rappelons que la souveraineté doit être distinguée de la propriété, car la souveraineté n’est pas aliénable. Sous le régime ligatoire des dons et contre-dons, certaines possessions sont inaliénables aussi. Sous le régime libératoire des transactions, ces dernières sont réputées complètes lorsque l’échange est réalisé : il n’y a pas d’enchaînement infini de transactions obligatoires comme sous le régime des dons et contre-dons. Le caractère fini et terminatif de la transaction libératoire est essentiel : il n’y aura pas de suite ultérieure.

Lorsqu’il y a un droit de propriété reconnu, ce droit subsiste dans la durée malgré les écarts dans l’espace entre le sujet propriétaire et l’objet propriété. Ce droit peut être transmis par héritage, tant qu’il n’y a pas eu de transaction libératoire qui le transmette à un autre sujet. La transaction y met fin.

Dans une transaction de cession, le bien en propriété est cédé en échange d’une contre-valeur censée avoir une valeur égale. On peut se demander si l’équivalence des biens échangés n’est pas à l’origine du caractère libératoire de la transaction. Or la valeur des biens varie dans le temps : c’est le fondement même du négoce. Toute théorie de la transaction libératoire qui serait fondée sur l’égalité en valeur est à courte échéance et s’avérerait fausse dans le temps. Car une transaction libératoire conserve ce caractère même si la valeur marchande du bien venait à changer. Il en découle que le caractère libératoire prime, quelle que soit la valeur à laquelle l’échange est conclu. Il est dû à la transaction dès sa conception. Ce qui est libératoire, ce n’est pas l’équivalence des valeurs, c’est l’accord préalable entre les partenaires qu’il s’agit d’échange marchand, et qu’il ne s’agit pas de dons ligatoires. La transaction est libératoire dès sa virtualisation, avant son actualisation et sa réalisation.

Si la transaction (circulation) libératoire des biens est la condition nécessaire minimale pour la définition de la propriété, la reconnaissance sociale du droit de l’accomplir (légitimité) est la condition qui stabilise contractuellement les choses et élimine les contestations potentielles du droit d’occupation et d’exploitation.

Une transaction différée portant sur la propriété introduit, par la création d’une dette (debere = devoir faire, obligation), une condition ligatoire et non libératoire. Le règlement différé place la transaction dans un enchaînement qui rappelle celui des dons et contre-dons. Tant que la dette n’est pas réglée en totalité, la transaction n’est pas libératoire, et le bien reste grevé d’une condition posée par la dette. Le règlement de la dette réalise la valeur libératoire virtuelle de la transaction.

2.3. Paradigme des régimes de circulation des objets
parmi les hommes

Nous avons examiné quatre régimes de circulation des biens parmi les hommes, retenus en raison de leur lien avec la question initiale (peut-on reconnaître des traces de la propriété des objets au néolithique). Ensemble, ils forment un paradigme où l’hypothèse implicite, celle d’une opposition avant / après la propriété pour articuler un changement apparaît moins prégnante. La comparaison fait apparaître un autre rangement :

— la suite régime des communs, régime des dons et régime de la propriété ordonne des régimes de complexité croissante régulant la circulation volontaire des biens en société ;

— le régime de l’héritage ne s’inscrit pas dans cette série. La circulation y a lieu entre un mort (qui n’est plus présent au moment où les biens circulent) et des vivants. La volition est remplacée par une obligation née de conventions contraignantes spécifiques. La circulation par héritage a lieu aussi bien dans une société régie par le régime des dons que dans une société régie par le régime de la propriété. En empruntant aux mathématiciens les notions d’espace sémantique et de dimension, le régime de l’héritage ne semble pas s’inscrire sur la dimension qui subsume les trois régimes des communs, des dons et de la propriété. Il relèverait donc d’une dimension indépendante. L’espace de description des régimes de circulation des biens aurait ainsi deux dimensions. Nous avons déjà étudié la succession37. Il reste à analyser l’autre dimension.

37 M. Hammad, « La Succession », art. cit.

Dans une perspective synthétique, il se pourrait que les régimes des communs, des dons et de la propriété ne soient pas les seuls à devoir être considérés ensemble. Ils ont été collectés par une exploration non exhaustive, il n’est pas démontré qu’ils aient été successivement mis en œuvre par une société unique. Tant que l’inventaire des données anthropologiques n’a pas été clos, il n’est pas certain qu’on puisse dégager une structure d’ensemble. Entre la circulation ligatoire et la circulation libératoire, on pourrait intercaler la circulation différée par la dette quantifiée : elle possède le caractère ligatoire de l’une, le caractère libératoire de l’autre. Graeber lui a consacré un ouvrage volumineux38, mais est-elle au même niveau ? Que dire du modèle redistributif de Polanyi ? Cet essai n’a pas l’ambition de repenser l’économie historique. Il est limité à l’objectif posé au début.

38 D. Graeber, Debt, op. cit.

Est-il possible, au stade actuel de l’analyse, de passer d’une comparaison statique des régimes de circulation à une organisation dynamique qui fasse passer d’un régime à l’autre ? Notons que l’apparition historique d’un régime de circulation n’exclut pas la persistance du précédent, ce qui donne à toute situation culturelle un caractère cumulatif. En particulier, au sein d’une société où les objets circulent par échange libératoire sous le régime de la propriété, les femmes (et des objets matériels) peuvent continuer à circuler sous le régime des dons et contre-dons, et les espaces publics tels que les rues et les places urbaines continuent à être utilisés sous le régime des communs. Les trois régimes reconnus ne sont pas exclusifs (ils ne sont donc pas en relation de contrariété) et admettent, avec le régime de l’héritage, un aspect cumulatif comparable à la sédimentation des effets de sens lors d’un parcours narratif.

Malgré ce cumul possible, commun à tous les parcours sémantiques, nous n’entrevoyons pas un mécanisme ou une force qui entraînerait une société sur un parcours fait de régimes de circulation des biens. Même un libéral tel qu’Adam Smith ne pourrait y voir la main cachée du marché, puisqu’il n’y avait pas de marché. Ni un philosophe social tel que Karl Marx ne pourrait y voir une manifestation de la lutte des classes, puisqu’il n’y avait pas de classes sociales et pas d’État politique. Il faut admettre que les matériaux archéologiques ne nous offrent pas une clef interprétative évidente. Il nous manque quelque chose. En particulier, il nous manque la preuve que telle fut l’évolution des régimes d’une société en un espace donné. Nous n’entrevoyons pas plus des transformations qui fassent passer d’un régime de circulation à un autre. Mais ce n’est guère gênant si notre objectif ne dépasse pas ce qui a été posé au début.

 

3. Les scellements de Tell Sabi Abyad : traces de propriété ?

3.1. Les scellements de Tell Sabi Abyad : un résumé archéologique

Depuis 1986, Peter Akkermans fouille en Syrie un ensemble de monticules anthropiques (tells) égrenés le long du Balikh, affluent de l’Euphrate. L’exploration du bassin fluvial conclut qu’un groupe de quatre tells rapprochés, dits Khirbet Sabi Abyad, y jouait au septième millénaire un rôle central caractérisé par la taille du site et par une relative continuité d’occupation (Fig.1 et Fig.2). Le monticule principal y est dit Tell Sabi Abyad. Les saisons de fouille 1991 et 1992 y mirent au jour, au niveau 6 datant de -6000 EC environ39, un ensemble de bâtiments rectangulaires ordonnés (Fig.6) contenant 300 mottes d’argile portant des traces de sceaux gravés. L’argile avait été cuite par un incendie ayant ravagé les bâtiments, ce qui a conservé les scellements. Les traces moulées sur la face opposée à celle des sceaux permettent d’identifier l’ouverture de conteneurs en vannerie ou en céramique. Aucun scellement de porte n’a été trouvé. La dimension des ouvertures moulées atteste que les conteneurs étaient de taille moyenne : ils étaient donc transportables. Ni les conteneurs ni les sceaux n’ont été conservés : nous n’avons que des scellements. Aucun indice ne permet d’identifier les objets placés sous scellé dans les conteneurs. Dès 1996, les publications rendant compte de la découverte évoquaient l’hypothèse que les objets contenus avaient été caractérisés comme propriété, et proposaient comme fonction du dispositif soit le transport scellé à longue distance soit le stockage local de denrées. La question de la propriété motive notre intérêt pour vérifier l’adéquation du terme. S’il s’agit d’objets en propriété, ces scellements en seraient les plus anciennes attestations matérielles connues, antérieures à l’écriture de près de trois millénaires.

39 P. Akkermans & M. Verhoeven, “An image of complexity : the burnt village at late neolithic Sabi Abyad, Syria”, American Journal of Archaeology, 99, 1, 1995. P. Akkermans, “Earliest date for seals and sealings in the Near East”, in Bennison-Chapman, Bookkeeping without writing, Leuven, Peeters, 2023.

Fig.6 Distribution des scellements trouvés

3.2. L’interprétation des fouilleurs de Tell Sabi Abyad

En 1998, l’analyse chimique des argiles40 conclut que les mottes de scellement provenaient de Tell Sabi Abyad, et que leur composition était très proche de celle des murs du site41. On pouvait donc écarter le scénario de conteneurs scellés au loin et transportés jusque là42. L’argile étant locale, l’interprétation devait être locale. Restait l’hypothèse du stockage.

La pratique des réserves alimentaires n’a pas attendu les scellements de Tell Sabi Abyad. Alain Testart43 argumente que les premiers villages néolithiques, installés avant l’apparition de l’agriculture, présupposaient des techniques de conservation des aliments acquis à la saison de leur disponibilité : le stockage pour une consommation différée est aussi ancien que la sédentarité. Reste à préciser l’effet de sens projeté sur cette pratique par les scellements.

L’interprétation de Akkermans et Duistermaat fait appel à l’archéologie et à l’anthropologie. L’ouvrage d’Akkermans44 sur les villages de la vallée du Balikh conclut que vers la fin du VIIe millénaire plusieurs tells de la vallée se dépeuplèrent pendant que les poubelles locales attestaient l’augmentation de la proportion des os d’animaux consommés, en particulier celle de gibiers non domestiques. Il en déduisit qu’une partie de la population de la vallée abandonna la sédentarité pour pratiquer un nomadisme d’élevage et de chasse, tout en restant en relation avec la population de sites centraux tels que celui de Tell Sabi Abyad. Dans un tel contexte, les scellements témoigneraient de dépôts de réserves alimentaires dans des conteneurs scellés laissés à la garde du village durant l’absence temporaire des groupes concernés. L’anthropologie récente de l’Afrique du Nord (Maroc, Libye — Fig.7) fournit des exemples comparables de greniers collectifs conservant les réserves de groupes nomades45.

Fig.7 Groupe de greniers de nomades

Dans cette perspective, la propriété a une forme collective, attribuée à un sous-groupe de la communauté locale. La reconnaissance de 77 formes de sceaux marquant les 312 scellements de Tell Sabi Abyad impose la restitution d’une société non élitiste, où la notion de propriété aurait été répandue. Dotée de cohérence interne, cette interprétation est plausible. Il n’en reste pas moins qu’elle comporte nombre d’hypothèses pour lesquelles la preuve n’est pas disponible. Elle diffère d’une autre interprétation, formulée pour les scellements du site d’Arslantepe.

40 K. Duistermaat & G. Schneider, “Chemical analysis of sealing clays and the use of administrative artefacts at late neolithic Tell Sabi Abyad (Syria)”, Paléorient, 24, 1, 1998.


41 L’analyse des argiles des scellements de Tepe Gawra et d’Arslantepe a aussi montré que les argiles sont locales et qu’il convient de privilégier l’hypothèse du stockage local. M. Rothman & J. Blackman, “Monitoring administrative spheres of action in late prehistoric northern Mesopotamia with the aid of chemical characterization (INAA) of sealing clays”, MASCA Research papers in science and archaeology, 7, 1989.


42 Même si le procédé de sceller des marchandises afin d’en garantir l’intégrité durant le transport commercial est attesté au deuxième millénaire par les archives assyriennes de Kultepe. Cf. P. Garelli, Les Assyriens en Cappadoce, Paris, Maisonneuve, 1963.


43 A. Testart, Avant l’histoire. L’évolution des sociétés de Lascaux à Carnac, Paris, Gallimard, 2012. F. Sigaut, Les réserves de grains à long terme, techniques de conservation et fonctions sociales dans l’histoire, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1978. F. Sigaut, “A method for identifying grain storage techniques and its application for european agricultural history”, in G. Lerche, A. Fenton & A. Steensberg (eds), Tools & Tillage, Copenhagen, National Museum of Denmark, 1988.


44 P. Akkermans, Villages in the steppe. Later Neolithic settlement and subsistence in the Balikh valley, Northern Syria, International Monographs in Prehistory, Ann Arbor, Michigan, 1993.


45 K. Duistermaat, “Private matters : the emergence of sealing practices in neolithic Syria”, in Nieuwenhuyse, Bernbeck, Akkermans & Rogasch, Interpreting the late neolithic of upper Mesopotamia, Brepols, 2012. R. Montagne, Magasin collectif de l’Anti Atlas Agadir des Ikounka, Paris, Larose, 1930. J. Meunié, « Les greniers collectifs du Maroc », Journal de la Société des Africanistes, tome 14, 1944.

3.3. Les scellements d’Arslantepe et leur interprétation

En 1973 Alba Palmieri dégagea, sur le site d’Arslantepe (en Anatolie près de Malatya) des mottes en argile portant des empreintes de sceaux. Le contexte datait du quatrième millénaire. La poursuite des fouilles par Marcella Frangipane46 porta progressivement le nombre des scellements à plus de 3000 unités. L’interprétation qui fut développée avec Enrica Fiandra et Piera Ferioli, tirant argument des emplacements des trouvailles, du contexte stratigraphique, et de la présence voisine de quantité de bols coniques normalisés, prit pour modèle les procédures administratives connues à l’Âge du Bronze (en présence d’écriture) pour restituer un système administratif antérieur et non verbal. Il en ressort l’image d’une société centralisée, hiérarchisée, où on procédait à des distributions régulières de nourritures entreposées dans des conteneurs et des salles placés sous scellé.

46 M. Frangipane, Arslantepe Cretulae. An early centralized administrative system before writing, Roma, CIRAAS 7, 2007. Id., “Fourth millennium Arslantepe : the development of a centralized society without urbanization”, Origini XXXIV, 2012. Id., “The origins of administrative practices and their developments in greater Mesopotamia. The evidence from Arslantepe”, Archéo-Nil, 26, Paris, Cybèle, 2016.

Même en l’absence d’écriture, on s’accorde à dire que la suite des opérations accomplies à Arslantepe correspond à la gestion de biens quantifiés et valorisés. Il est probable que les opérations avaient une valeur libératoire, et qu’il s’agissait de propriété. Mais plus de deux millénaires séparent les scellements de Tell Sabi Abyad et ceux d’Arslantepe, les contextes matériels et les sociétés en cause ne se ressemblent pas. Il n’est pas rationnel de projeter le modèle des scellements d’Arslantepe sur ceux de Tell Sabi Abyad. Le même type d’objet (scellement) est utilisé de deux manières distinctes par deux sociétés différentes. Le sens n’est donc pas inscrit dans l’objet matériel même, il résulte de la procédure (ou syntaxe) qui le met en œuvre et le déploie dans l’espace.

Il reste à décrire les mécanismes syntaxiques susceptibles de rendre compte des deux manières de faire, et de leurs effets de sens. Nous utiliserons la sémiotique de l’espace à cet effet47 : à l’échelle du scellement d’une part, à l’échelle de sa mise en œuvre d’autre part.

47 M. Hammad, « L’espace comme sémiotique syncrétique », Actes Sémiotiques, VI, 27, 1983, rééd. in Lire l’espace, comprendre l’architecture ; « La privatisation de l’espace », art. cit.

3.4. Perspective sémiotique pour interpréter
les scellements de Tell Sabi Abyad

Une analyse sémiotique systématique présenterait une description de l’Expression considérée avant de procéder à l’analyse de son Contenu. Cela conviendrait pour un ouvrage dédié au sujet, mais cela exigerait des développements qu’un article ne peut se permettre. En conséquence, nous procèderons à une analyse progressive du Contenu en présentant l’Expression. L’analyse n’en sera pas moins rigoureuse, distinguant les niveaux de l’énoncé et de l’énonciation dans les séquences pragmatiques considérées. Les effets de sens énonciatifs (véridiction, contrat ligatoire, effet libératoire) seront mis en évidence. Enfin, la circulation des biens restituée sera comparée aux régimes de circulation reconnus au §2.

3.5. Placer un objet dans un conteneur
équivaut à séparer l’Objet du Sujet

Lorsqu’un Sujet place un Objet dans un conteneur (vannerie, céramique), et qu’il le ferme à l’aide d’une motte d’argile (parfois appuyée sur un couvercle), il interdit l’accès pragmatique au dit Objet (personne ne peut le toucher ni le saisir), comme il interdit l’accès cognitif au même Objet (personne ne peut le voir). L’Objet est caché. L’opération met en œuvre quatre actants : un Sujet, un Objet, un Conteneur (espace creux aux parois matérielles), et un Anti-Sujet visé par l’opération : c’est à lui que le Sujet cache l’Objet, c’est envers lui que sont énoncés les interdits non verbaux de l’opération de scellement : ne pas voir, ne pas toucher. L’Anti-Sujet est implicitement posé comme Énonciataire de l’énoncé non verbal du scellement de conteneur. Le Sujet occupe la position d’Énonciateur.

Le scellement considéré opère une disjonction entre Sujet et Objet : le Sujet scellant se sépare de son Objet, pragmatiquement et visuellement. Mais il n’est pas soumis à l’interdit de conjonction : il peut retrouver son objet à volonté. Dans le cadre d’une opération de stockage, le Sujet conserve le programme de se conjoindre à nouveau avec l’Objet, la disjonction n’est que temporaire, une conjonction différée est programmée au profit du Sujet. La séquence entière est identifiable comme une procédure de privatisation de l’Objet mis sous scellé. Nous avons affaire à une conjonction de type exclusif entre S et O, la disjonction par le scellement n’est qu’apparente, elle est destinée à être remplacée par une conjonction en fin de séquence. Tant que l’Objet considéré n’est pas mis en circulation au sein de l’espace social, ou qu’il n’est pas soumis à une transaction libératoire, il ne peut être qualifié de propriété.

Quel peut être l’intérêt du Sujet à accomplir une telle procédure ? Tant qu’il conserve son Objet près de lui, en conjonction constante, il peut affirmer à peu de frais le caractère privatif de l’Objet. Le conteneur, le scellement et la cache ne se justifient que s’il y a un besoin de la disjonction entre S et O. La présence de la motte du scellement au lieu même où son argile a été extraite témoigne qu’elle ne s’est pas déplacée, le Conteneur et l’Objet non plus. Celui qui a pu se déplacer, c’est le Sujet. En fin de compte, c’est parce que le Sujet projette un déplacement qu’il place son Objet dans un conteneur privatisé. Son déplacement sera temporaire, comme la disjonction programmée. C’est ce que Akkermans qualifie de nomadisation intermittente : une partie de la population part nomadiser, pour la chasse et l’élevage, pendant qu’une autre partie reste au village. La Communauté serait faite de deux parties, qui peuvent échanger leurs rôles de sédentaire et de nomade selon les années ou les saisons.

Si on trouve au noyau de la mise en œuvre des scellements à Tell Sabi Abyad une modification de la relation entre Sujet et Objet (une disjonction remplace une conjonction), l’opération modifie simultanément et le Sujet et l’Objet : d’une part, l’Objet retiré de la circulation devient incapable de circuler parmi les hommes (perte de compétence), d’autre part le Sujet devient capable de nomadiser (acquisition de compétence selon le pouvoir faire, le sujet peut circuler entre les espaces physiques). La symétrie entre les deux transformations suggère qu’une compétence commune au Sujet et à l’Objet se trouve ainsi déplacée de l’un à l’autre. L’aménagement de l’incompétence de l’Objet rend le Sujet plus compétent.

3.6. La motte d’argile comme sujet délégué
et révélateur véridictoire

Le scellement est un acte technique par lequel un Sujet humain investit dans un Objet intermédiaire (une motte d’agile) le rôle et la capacité de Sujet Délégué agissant pour lui. À l’instar d’une porte qui ferme une salle dans un bâtiment, la motte ferme l’espace du Conteneur48, y enfermant l’Objet, interdisant de le toucher, de l’extraire, de le voir. Ces interdits fonctionnent selon la modalité du pouvoir (par la physique des matériaux, l’Anti-sujet ne peut ni voir ni toucher, l’Objet ne peut pas circuler) et selon la modalité du devoir, par un acte signifiant que nous verrons ci-dessous §3.9.

48 D’un point de vue topologique, la salle fermée par une porte et le conteneur fermé par un couvercle sont des enceintes comparables, dotées d’une ouverture admettant un état ouvert et un état fermé, ce qui autorise le contrôle d’accès à l’égard de tout sujet présent dans l’espace extérieur et visant l’espace intérieur (ou inversement).

Les éléments Conteneur et Motte contribuent à former l’enceinte enfermant l’Objet mis sous scellé. Dans l’opération, le conteneur joue un rôle relativement passif, pendant que la motte d’argile joue le rôle actif de Sujet Délégué fermant. Mais le rôle de la motte ne se limite pas à celui de fermer : ses propriétés physiques la rendent compétente pour remplir deux autres rôles, celui de révélateur d’intrusion et celui de support d’énonciation.

Une motte d’argile humide est plastique, capable de prendre la forme qu’on lui donne et de la conserver : c’est grâce à cette compétence que la motte s’adapte à une ouverture pour l’obturer, ou s’adapte au joint entre couvercle et conteneur pour bloquer le mouvement de l’un à l’égard de l’autre. En perdant son humidité, la motte perd sa plasticité (l’eau véhicule la compétence plastique de l’argile). En devenant rigide, la motte bloque la fermeture du Conteneur et acquiert une autre qualité, la fragilité. Toute force exercée sur la motte durcie provoque sa rupture. Par contraposition, toute rupture de la motte durcie révèle l’exercice d’une force et une tentative d’ouvrir le Conteneur. Il en découle que la motte durcie a la compétence d’un Sujet Révélateur : il manifeste la violation de l’interdit d’accès physique et visuel à l’Objet scellé.

Récapitulons. La motte d’argile est un Sujet Délégué qui ferme un espace, énonce une interdiction d’accès, réalise deux interdictions d’accès (physique, visuel), et révèle la violation de l’interdit. Soit quatre fonctions distinctes, inscrites dans le dispositif non verbal formant énoncé. Une énonciation s’y ajoute, que nous aborderons ci-dessous §3.8. Auparavant, il convient d’expliciter la fonction de révélateur remplie par la motte. Le terme est à prendre au sens étymologique de lever le voile, ou de démasquer une chose cachée : la rupture de la motte durcie met en évidence un acte passé, invisible, la tentative d’intrusion. Cette dernière apparaît comme un programme d’action adverse, non conforme au programme de stockage. L’énoncé non verbal de la rupture est projeté en position métalinguistique. En somme, le scellement n’est pas un énoncé (non verbal) simple, il développe deux niveaux articulés par une relation métalinguistique. Nous verrons qu’il y a d’autres niveaux hiérarchiquement supérieurs.

 

Notons que la fonction de révélateur s’apparente à la fonction de véridiction analysée en sémiotique49. Elle se déploie comme elle par la comparaison de deux états ayant statut d’énoncé (scellement intact, scellement brisé). Le scellement brisé révèle l’échec de la sauvegarde du conteneur scellé, il équivaut à une falsification de son programme (§3.9). Le scellement intact signifie le succès de la sauvegarde du conteneur scellé, ce qui équivaut à une véridiction. Les deux possibilités de jugement relèvent du rôle du Destinateur auquel nous reviendrons (§3.11).

49 Sémiotique. Dictionnaire, op cit.

3.7. Identifier la motte pour empêcher la falsification

La fonction véridictoire de la motte d’argile présuppose que la comparaison confronte deux états de la même motte. Or un Anti-Sujet pourrait briser une motte de fermeture, accéder au contenu, puis poser en lieu et place de la motte initiale une autre motte semblable. Cela ne serait pas la même, mais une fausse par rapport à l’originale. Il importe dès lors d’identifier la motte, et de la rendre reconnaissable : c’est le rôle de la marque qu’est l’empreinte de sceau.

La question de la marque a une longue histoire en linguistique et en sémiotique. L’étymologie de la notion de signe se confond, dans les langues sémitiques, avec celle des notions de marque, de nom et de tatouage. Il n’est pas question de reprendre tout cela ici. Mais il importe de signaler que les scellements néolithiques manifestent les premières traces d’un usage systémique des marques différenciatrices.

Revenons à la motte d’argile. Le risque de falsification impose d’identifier la motte d’un conteneur donné. Cette identité est assurée par une marque différenciable : c’est le rôle de l’empreinte de sceau. Dans cette perspective, l’empreinte n’est introduite que pour distinguer une motte dans un programme de fermeture privative. Elle est orientée vers une motte-objet. Rien n’y présuppose une motte-sujet délégué. Aujourd’hui, des numéros de série différencient des objets industriels tels qu’un moteur, un ordinateur, un téléphone. Mais les scellements néolithiques ne se sont pas arrêtés à une telle solution. Ils ont impliqué le Sujet opérateur-énonciateur (qui place un Objet dans un Conteneur) en le mettant en relation avec la motte.

3.8. Projeter sur la motte la marque énonciative du Sujet

Les empreintes présentes sur les scellements de Tell Sabi Abyad correspondent à une catégorie d’objet archéologique appelé sceau. Deux variétés, sceaux à presser et sceaux cylindres (ces derniers apparaissent avec l’écriture), ont été répandues à l’Âge du Bronze et à l’Âge du Fer. L’usage des sceaux perdura pendant l’antiquité jusqu’à la période moderne. Nombreux sont les sceaux portant des noms de personnes, avec des noms d’ascendants, de rois ou de divinités. On connaît des sceaux de fonction dépourvus de nom de personne. Au Néolithique sans écriture, les sceaux sont dépourvus de noms. Avant les scellements de Tell Sabi Abyad50, on ne sait pas quel était l’usage de ces objets. L’usage au titre d’amulette n’est qu’une hypothèse plausible.

50 Sémiotique. Dictionnaire, op cit.

Au cimetière de Tell Ain el-Kerkh (Syrie, bassin du Rouj), Akira Tsuneki a dégagé des sceaux enterrés avec des corps51. Un sceau était dans la paume d’un squelette, un autre jouxtait l’os de la hanche d’un corps. La datation au carbone 14 place ces sceaux deux ou trois siècles avant les scellements de Tell Sabi Abyad. La proximité archéologique invite à reconnaître un lien entre le sceau et la personne correspondant au corps. Plus qu’une privatisation, on serait tenté d’identifier un lien personnel de même force que ce qui est exprimé par certaines inscriptions de l’Âge du Bronze, qui décrivent les réactions consécutives à la perte d’un tel objet. Les trouvailles de Ain el-Kerkh font supposer que la relation entre un sceau et une personne était déjà pensée aux derniers siècles du septième millénaire. La même relation serait valide à Tell Sabi Abyad. Formulée à partir de trouvailles, cette hypothèse est probable. Nous l’admettrons pour la suite de l’analyse.

51 A. Tsuneki, “A glimpse of human life from the neolithic cemetery at Tell el-Kerkh, Northwest Syria”, Documenta Praehistorica, XXXVIII, 2011.

Lorsqu’à Tell Sabi Abyad un Actant Sujet dépose un Objet dans un conteneur, qu’il ferme ce dernier à l’aide d’une motte, et qu’il imprime sur celle-ci son sceau personnel52, il superpose à son énoncé non verbal (§§3.5, 3.6, 3.7) une marque d’énonciation explicite53. Ce faisant, il identifie la motte-objet pour les besoins de l’opération de véridiction, et inscrit un rapport personnel avec la motte. Il y a même plus. Le lien à la personne du Sujet passe transitivement de la motte à l’Objet déposé dans le Conteneur. Ce qui ressemble fort à une relation de propriété, sans cesser de rester une relation de privatisation, car l’Objet n’a pas été mis en circulation dans l’espace social. L’opération de scellement modifie donc l’Objet placé dans le Conteneur, en le sur-qualifiant d’un attribut qui le met en relation marquée avec un Sujet.

Ce qui importe plus que les effets de sens énoncifs explicités, c’est l’ouverture d’une dimension énonciative du scellement, car le sujet Énonciateur présuppose un Énonciataire. Le contexte des scellements implique une relation non triviale entre ces deux instances (§3.9 à §3.12).

52 Ou un sceau de groupe s’il s’agit d’un Acteur Collectif. Noter que le sceau est inaliénable.


53 M. Hammad, « L’énonciation, procès et système », Langages, 70, 1983 ; « L’expression spatiale de l’énonciation », Cruzeiro Semiotico, 5, 1986, rééd. in Lire l’espace, comprendre l’architecture.

3.9. Caractère public et ligatoire de l’acte de scellement

Le placement d’un Objet dans un Conteneur fermé cache l’Objet. L’apposition d’une empreinte de sceau sur la motte fermante équivaut à une déclaration non verbale « ceci est une cache »54, faisant supposer qu’il contient une valeur. Autant inviter à briser le scellement ou le conteneur pour en extraire l’Objet. Cet effet de sens paradoxal est inscrit dans toute tombe monumentale, désignée par sa taille à l’attention de pilleurs potentiels. Si la procédure du scellement a fonctionné durant des siècles, c’est qu’il y avait autre chose produisant un effet de sens qui désamorçait le paradoxe et rendait l’usage efficace.

54 Pour une analyse sémiotique des caches, voir M. Hammad, « 500000 dirhams en Scandinavie, de l’argent mobile à la rente foncière », in Lire l’espace, étendre le domaine sémiotique.

Le nœud de la question est dans le caractère public de l’acte de scellement : au lieu de dissimuler le Conteneur, la motte qui le ferme est marquée pour être identifiée, présupposant un Sujet énonciataire capable de l’identifier. Qui est ce Sujet ? Outre le Sujet qui scelle lui-même, un Sujet identificateur est présupposé par l’architecture qui regroupe les scellements trouvés55 : à Tell Sabi Abyad, les bâtiments abritant les scellements ne contenaient aucune trace d’activité domestique56. Certaines de leurs salles n’étaient accessibles que par le toit, d’autres conservaient jusqu’à une hauteur de 60cm du grain en vrac. C’étaient donc des bâtiments dédiés au stockage. Le nombre des empreintes de sceaux groupées implique que la procédure de scellement était banalisée, que les Sujets qui scellaient procédaient de manière comparable (en symétrie mutuelle), et que le bâtiment de garde relevait de la Communauté villageoise. Car aucune trace archéologique ne permet d’identifier sur ce site une autorité centrale ou des élites locales. Force est de rapporter le comportement collectif au groupe social entier sous le vocable Communauté. Autrement dit, un groupe de Sujets comparables à celui qui scelle un conteneur. Ce qui n’implique pas que tous les individus du groupe procédaient à cette pratique, car le Sujet qui scelle peut avoir la forme d’un sous-groupe de la Communauté. La symétrie entre sujets scelleurs est une symétrie syntaxique entre actants accomplissant des actions comparables57.

Il en découle que l’empreinte de sceau apposée sur la motte fermante ne s’adresse pas à un public universel et indéterminé, mais à un public restreint, déterminé et communautaire. En adressant son message à la Communauté villageoise, le Sujet scellant attire l’attention sur le Conteneur et sur son contenu, plaçant ces derniers sous la garde de la Communauté, afin que des intrus (Anti-Sujet présupposé) ne pillent pas ce qui a été déposé. Ce faisant, la Communauté devient responsable de la sauvegarde des scellements et de leur contenu. En distinguant deux Énonciataires, un Anti-Sujet malveillant (programme opposé à celui du Sujet) et une Communauté bienveillante (programme conforme à celui du sujet), le paradoxe né d’une cache rendue publique est résolu.

55 Même lorsqu’on a trouvé des scellements dans des fosses à détritus, à Arslantepe en particulier, ils étaient groupés, en couches distinctes témoignant d’opérations de rejet systémiques et périodiques.


56 P. Akkermans & M. Verhoeven, “An image of complexity : the burnt village at late neolithic Sabi Abyad”, art. cit.


57 L’analyse de la privatisation de l’espace présuppose une symétrie entre sujets : pour que S1 puisse jouir d’un espace privatisé, il est nécessaire qu’il admette que d’autres sujets jouissent d’espaces équivalents. Cf. M. Hammad, « La privatisation de l’espace », art. cit.

La Communauté gardant le Conteneur scellé joue le rôle de Destinateur58 favorable au Sujet. Il serait oiseux d’essayer de savoir comment un tel arrangement a été mis en place entre une Communauté et ses membres. Il importe de dire que chaque acte de scellement plaçant un conteneur sous la garde communautaire engage la Communauté : il a une valeur ligatoire. La Communauté doit le préserver. Si le conteneur a été placé dans un bâtiment de dépôt, c’est que le contrat de garde a été accepté. Une convention tacite symétrique suffit : en respectant les scellements des autres, on invite ces derniers à respecter le scellement qu’on pose soi-même. Ce faisant, la Communauté valide la relation spéciale entre le Sujet et l’Objet sous scellé. Ceci ressemble à ce qui deviendra historiquement un titre de propriété attribué par des autorités politiques, alors qu’on n’en connaît pas dans la société considérée. À Tell Sabi Abyad, on ne constate pas que l’Objet circule dans l’espace social, mais une instance communautaire reconnaît l’existence d’une relation spéciale entre un Sujet et l’Objet sous scellé.

Cette reconstitution sémantique est hypothétique, il n’y a pas de preuve qui la valide. On peut tenter un raisonnement par l’absurde : s’il n’y avait pas d’instance de garde (collective ou déléguée) les scellements auraient été violés et dispersés, nous ne les aurions pas retrouvés groupés, parfois rangés dans un bon ordre, par catégorie. Cf. §3.10.

58 Cf. Sémiotique. Dictionnaire, op. cit.

3.10. Caractère volontaire des collections de scellements dégagés

La description syntaxique restituant les mécanismes du scellement de conteneur, appuyée sur les restes archéologiques de Tell Sabi Abyad, a adopté le point de vue du Sujet qui place un Objet dans un Conteneur et le scelle. Or ce n’est pas le seul point de vue possible, car cet acte énonciateur présuppose des énonciataires, dont un Anti-Sujet et la Communauté villageoise59. Une perspective interprétative, symétrique de la perspective énonciatrice, mérite examen.

Or tous les scellements néolithiques retrouvés sont brisés60. Les conteneurs dont l’empreinte est présente ont disparu, les objets mis sous scellé ont été retirés. Autrement dit, tous les éléments de l’énoncé non verbal ont disparu, ce qui reste est l’expression d’une énonciation énoncée, ou la matérialisation d’une énonciation non verbale61. Ces éléments sont retrouvés groupés, leur distribution dans l’espace n’est pas aléatoire62. Le contexte n’est pas celui d’un pillage : les archéologues connaissent le désordre des lieux pillés. Il s’agit d’un ordre résultant d’une action réglée, celle des procédures stables qui suivaient l’ouverture d’un conteneur scellé. La disparition des Objets et des Conteneurs ne résulte pas du hasard : c’est ainsi qu’on faisait.

De ces remarques, nous tirons la conclusion que ce qui a été volontairement conservé par la Communauté, et qui nous est parvenu, ce sont des traces d’énonciation, i.e. des fragments d’énonciation, énoncée à l’émission des scellements, rangés par une instance Énonciataire. Ce qui nous est parvenu, c’est ce qui intéressait les hommes du néolithique gérant la pratique du scellement : non pas la qualité ou la quantité de ce qui était placé en conteneur scellé, mais le mécanisme même du scellement, pour son interprétation par la rupture régulée des mottes. Aucune comptabilité n’a laissé de trace dans le cadre des pratiques de Tell Sabi Abyad63. Il est inutile de la chercher. Le sens qui importe est ailleurs, il est dans l’énonciation.

Ce que nous avons récupéré en fouille, et tentons d’analyser, ce sont des traces d’énonciation réceptrice : les restes d’action d’une instance énonciataire communautaire. Ce qui nous impose d’examiner de plus près la perspective symétrique de la première, i.e. le point de vue d’un Sujet énonciataire qui tire du sens de la pratique énonciative du Sujet qui scelle.

59 On peut y ajouter les archéologues et les sémioticiens qui tentent d’interpréter les scellements qu’ils trouvent : ils s’imposent sans avoir été initialement prévus.


60 Dans tous les sites qui ont livré des scellements, pas seulement à Tell Sabi Abyad.


61 M. Hammad, « L’énonciation, procès et système », art. cit. et « L’expression spatiale de l’énonciation », art. cit.


62 Même dans les remplissages de salle ou de sols, dans les fosses de voierie, les scellements restent groupés par catégorie de sceau et par période temporelle, conservant quelque chose de l’ordre antérieur mis en place par ceux qui les géraient. L’allure du village brûlé de Tell Sabi Abyad, l’absence de désordre en ces lieux, ont amené à formuler l’hypothèse d’un incendie volontaire et rituel.


63 S’il y avait comptage et calcul mental, il échappe à l’archéologie.

3.11. Caractère libératoire de la rupture publique du scellement

Si le dépôt sous scellé est temporaire, et que la disjonction initiale entre Sujet et Objet doit être transformée en conjonction finale lors de la récupération du dépôt, alors l’opération ligatoire de scellement fermant doit être transformée par une opération libératoire de rupture de scellement, ouvrant le conteneur. Nous ignorons les détails de chacune de ces deux opérations, mais leur symétrie est une contrainte sémantique logique64.

L’inscription de Manishtusu (§2.2.3) sur son obélisque fournit la plus ancienne attestation de procédure libératoire par laquelle un acheteur recevait une propriété libérée de tout lien la rattachant à ses anciens propriétaires. L’analyse du contexte archéologique de Tell Sabi Abyad nous invite à formuler l’hypothèse que le soin mis à réunir et conserver des scellements brisés visait à produire un effet de sens libératoire, libérant du lien créé par la procédure de mise sous scellé. Car si le conteneur scellé avait été confié à la garde d’une instance Communauté (ou communautaire déléguée), sa restitution au Sujet qui l’a scellé doit libérer la Communauté de son obligation de garde. Quatre choses sont nécessaires à cet effet :

64 Toutes nos analyses des pratiques néolithiques présupposent que les mécanismes du sens que nous connaissons ont été valides à l’époque considérée. Cf. M. Hammad, « Interpréter la formation des villages néolithiques », art. cit.

— présence du Conteneur scellé, dont l’intégrité est validée ou falsifiée ;

— que les opérations ligatoire (confier le conteneur scellé) et libératoire (rendre le conteneur scellé) aient lieu en présence des Actants Sujet et Communauté (réalisés par des Acteurs idoines) ;

— que les opérations ligatoire (confier le conteneur scellé) et libératoire (rendre le conteneur scellé) aient lieu en présence d’un Actant Témoin65, dont la réalisation actorielle pouvait revêtir des formes que nous ignorons, qui constate que l’acte a eu lieu, en conserve la mémoire, et puisse le répéter en d’autres circonstances en cas de contestation. Les témoins de Manishtusu étaient nombreux. En termes sémiotiques, il s’agit de la mise en œuvre de la modalité du Savoir (connaître les participants, connaître le sceau) et des mécanismes de véridiction (constater la fermeture, le scellement, l’intégrité…) dévolus à un Actant Témoin non mentionné jusqu’à présent, mais dont la nécessité syntaxique est impérieuse. Il relève du Destinateur judicateur ;

65 Dans la pratique juridique ultérieure de Mésopotamie, le témoignage des témoins est décisif, qu’il y ait des tablettes écrites ou qu’il n’y en ait pas. La partie principale, qui constitue l’acte, c’est le témoignage. La tablette n’est qu’un supplément, pour ne pas dire un accessoire. Cf. J. Renger, “Legal aspects of sealing in ancient Mesopotamia”, in Gibson & Biggs, Seals & sealing in the ancient Near East, Malibu, Undena, 1977.

— qu’une mémoire extériorisée enregistre le bon déroulement (conditions de félicité) des opérations : en l’absence d’écriture, c’est le rôle des scellements rompus conservés en un lieu convenu66. Cette mémoire extérieure supplée, pour un temps, la mémoire de l’Actant Témoin. Lorsque cette durée est écoulée, les scellements brisés peuvent être mis au rebut, où les archéologues en ont récupéré.

Notons que la procédure n’a nul besoin de spécifier le Conteneur ou l’Objet qui y est placé : ces éléments sont des variables indifférentes. Ce qui est invariant et important, c’est la forme syntaxique qui détermine les conditions du bon déroulement des opérations. En d’autres termes, il s’agit de la forme de l’énonciation, à l’émission et à la réception.

3.12. Le parcours narratif d’ensemble et la transformation sémantique réalisée

L’enchaînement des actions consécutives de dépôt, fermeture, apposition de sceau, rupture de scellement, ouverture de conteneur, peut être restitué en deux séquences de quatre actions rapprochées, séparées par un hiatus de durée indéterminée, celui de l’absence durative du Sujet éloigné de son Objet :

Placer O, Fermer, Motter, Sceller — hiatus — Vérifier sceau, Briser scellement, Ouvrir, Retirer O

Ce parcours présuppose un terme servant de référence : c’est le Conteneur, espace creux qui ne quitte pas la localité de Tell Sabi Abyad. La disparition du Conteneur après ouverture renvoie à un ICI local servant de référence ultime. L’actant qui bouge est le Sujet qui s’absente et revient. Le hiatus duratif entre les deux séquences est structurel et nécessaire, organisant la symétrie entre un avant et un après, comme il organise les symétries entre actions : le retrait correspond au dépôt, l’ouverture à la fermeture, la rupture de motte à son application, la vérification du scellé à son apposition.

Un Sujet d’action a été restitué, qui dépose un Objet dans un Conteneur qu’il scelle. S’il est Sujet du parcours, que gagne-t-il en fin de compte ? Son bénéfice n’est pas matériel, puisqu’il ne fait que récupérer l’Objet même qu’il a déposé. Mais il a gagné quelque chose d’immatériel : c’est la continuité de sa relation à l’Objet, malgré la séparation dans l’espace et l’écoulement de la durée. Ce n’est pas négligeable.

Y a-t-il un parcours du scellement ? La motte a été formée, imprimée, préservée, puis brisée, conservée pour un temps, puis jetée en fin de compte. C’est un objet intermédiaire qui disparaît une fois sa fonction remplie. Ce n’est pas le sujet principal.

Les structures narratives offrent le spectacle d’un déroulement organisé par une épreuve, où une transformation opère, par laquelle l’état antérieur des choses (un avant) est changé en un autre état (après). Or au centre du parcours, il y a ce hiatus qui ne ressemble pas à une épreuve à première vue, mais qui s’avère en être une lorsqu’on l’examine de plus près. Le hiatus, décrit comme une séparation durative entre Sujet et Objet, a mis en difficulté la Relation de Jonction qui les relie. Lorsque le Sujet S dépose l’Objet O dans le Conteneur C, il se disjoint de cet Objet. Cette disjonction pourrait être définitive, en termes narratifs. Or elle ne l’est pas : ce n’est qu’une disjonction apparente. Puisque S retrouve O pleinement à la fin, c’est qu’il n’en a jamais été totalement disjoint. L’une des fonctions du scellement, c’est de signifier que l’Objet enfermé n’est pas pleinement séparé de son Sujet, et que la marque du Sujet, son sceau, est là pour asserter sa présence déléguée. La motte est sujet délégué à la fermeture, elle acquiert par l’empreinte du sceau une délégation de la personne du sujet. En son absence, elle agit pour lui, assertant la continuité et la durativité de la relation qui relie S à O.

Tout se passe comme si la Relation(S,O) était passée par une épreuve durant le hiatus de séparation, et qu’elle ait été aidée par la motte scellée à surmonter l’épreuve. Lorsqu’une procédure « régulière » de descellement devant témoins a lieu, la Communauté valide la conjonction finale entre le Sujet et l’Objet. Cet assentiment collectif à une relation durative ressemble beaucoup à une reconnaissance de propriété. Autrement dit, toute cette procédure donne naissance à ce qu’on peut appeler une reconnaissance non verbale de propriété. Il n’y a pas encore de mise en circulation libératoire, mais il y a valeur libératoire pour le droit reconnu.

Tout cela à l’aube du sixième millénaire avant l’ère commune. Sans écriture.

4. En guise de clôture

4.1. Changement épistémique et traces matérielles

66 Tout scellement rompu conservé dans un lieu architectural est un scellement qui a été rompu dans les formes convenues, selon une procédure libératoire. Les scellements rompus en violation des conventions ne sont pas conservés avec les autres.

La question initiale de cette étude adopte une perspective sémiotique plaçant le changement (apparition de la propriété) au plan du Contenu et en cherchant la trace archéologique au plan de l’Expression non verbale. La période néolithique, qu’on peut provisoirement situer entre 10000 et 5000 avant l’Ère Commune au Proche-Orient, évolue lentement dans la longue durée67. Ses changements ne sont pas directement observables68, et nous sommes réduits à chercher des indicateurs69 fiables. Dans ce contexte, l’apparition de la propriété est loin d’être une question mineure. L’importance acquise ultérieurement par la notion, dès l’Âge du Bronze, invite à la considérer comme un changement majeur dans l’idéologie des sociétés.

Pour repérer les prémices de la propriété, il est nécessaire de la définir. Or les définitions des dictionnaires sont insuffisantes à cet effet. Force est de la décrire syntaxiquement comme une circulation conditionnelle des objets parmi les hommes. Or d’autres formes de mise en circulation sont attestées en anthropologie économique. Il est commode de les décrire en termes de régimes de circulation70: c’est l’objet du §2 qui replace la propriété dans un paradigme de régimes économiques, avec lesquels elle partage des caractères communs et auxquels elle s’oppose. C’est dans le contexte de ces régimes dynamiques que le changement advient.

Le §3 est consacré au traitement du descripteur que nous avons identifié (les scellements dans leur mise en œuvre de Tell Sabi Abyad), en ses aspects matériels, son déploiement spatial, et ses valeurs énoncives et énonciatives.

67 F. Braudel, « Histoire et Sciences sociales : La longue durée », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 4, 1958.


68 Cette difficulté est ordinaire en sémiotique de l’espace. Même aujourd’hui, le déroulement des événements dans l’espace les rend difficiles à saisir. Leur reproduction est impossible, le recours à des formes de représentation est nécessaire. La méthode sémiotique a dû s’adapter à cette contrainte. Cf. M. Hammad, « L’architecture du thé », Actes Sémiotiques, IX, 84-85, 1987.


69 L’usage anglais du terme proxy pour ce que nous désignons par indicateur met en avant son rôle d’objet délégué.


70 Eric Landowski a utilisé (2004, 2014, 2021) la notion de régime de manière productive en sémiotique.

4.2. La virtualisation du changement

L’une des questions qui s’imposent est celle du facteur qui déclenche le changement. La réponse apportée par les archéologues Akkermans et Duistermaat71 est celle du changement climatique, repérable sur l’ensemble des sites de la vallée du Balikh. Une aridification aléatoire et rampante a rendu difficile la vie sédentaire dans les villages, forçant (devoir faire) une partie de la population à quitter la sédentarité pour pratiquer la chasse et/ou un élevage nomade. Dans la mesure où cette incitation est extérieure aux hommes, indépendante de leur volonté, et dépassant leurs capacités de prévision et d’adaptation, elle apparaît comme transcendante.

71 P. Akkermans, Villages in the steppe, op. cit. P. Akkermans & K. Duistermaat, “Of storage and nomads. The sealings from late neolithic Sabi Abyad, Syria”, Paléorient, 22, 2, 1996.

Les traces laissées par ces hommes témoignent qu’ils n’ont pas voulu retourner à l’état nomade qui a précédé la sédentarisation72 : ils ont voulu conserver, de leur longue sédentarité, quelques avantages acquis. La pratique des conteneurs scellés en découle. Il importe de signaler ici que nous repérons, dans ce désir, une virtualisation immanente, celle de faire durer une relation aux objets. Objets qu’il leur était difficile d’emporter en leur nouvelle pérégrination projetée.

4.3. L’actualisation du changement

Le placement d’objets dans des conteneurs fermés et scellés actualise le désir de maintenir la continuité de la jonction avec les objets, au niveau du contenu, malgré la disjonction spatiale et temporelle au niveau de l’expression. Les conteneurs et les scellements apparaissent dès lors comme sujets délégués dans un programme d’assertion de propriété, programme qui sera validé lors de la rupture formelle des scellés en présence de témoins. Les scellements brisés sont conservés comme preuve véridictoire.

4.4. La réalisation du changement

La validation collective du retour des objets au sujet qui les avait laissés en dépôt équivaut à un titre de propriété, même si toute la procédure est non verbale. Il n’y a pas encore de cession ni de transmission par héritage, mais c’est devenu possible. La relation du sujet à l’objet a été maintenue malgré l’écart dans l’espace et dans le temps. Un changement du régime de circulation des objets a été réalisé.

Notons qu’il n’y a pas déterminisme total entre le changement climatique d’une part et le changement de régime économique d’autre part. L’aridification a joué un rôle déclencheur, mais d’autres comportements auraient été possibles. Le désir immanent des hommes (faire durer la relation aux objets) s’est ajouté à la contrainte transcendante pour déterminer l’issue.

72 M. Hammad, « Interpréter la formation des villages néolithiques », art. cit. et « De l’espace et des hommes », art. cit.

Les scellements reconnaissables constituent des supports de mémoire extériorisée. Les procédures de rupture devant témoin, ainsi que la conservation des scellements brisés, relèvent de la mémoire sociale extériorisée73. La procédure a un effet libératoire pour les hommes : elle leur permet de quitter le village pour longtemps sans renoncer à leur appartenance (au groupe) ou à leur propriété (des objets).

4.5. Syntaxe réflexive et logiques mises en œuvre

L’analyse syntaxique des scellements de Tell Sabi Abyad a confirmé la présence de traces d’un droit de propriété sur les choses. L’expression de ce droit met en œuvre l’espace (clôture, contrôle d’accès) et adopte la forme d’un parcours réflexif : l’Objet disjoint du Sujet fait retour à ce dernier. A contrario, dans un parcours de type transitif, le Sujet qui se conjoindrait avec l’Objet ne serait pas identique au Sujet qui l’a placé sous scellé : ce cas de figure est réalisé à Arslantepe74 et dans le négoce entre Assur et Kanesh75. Les trois exemples évoqués relèvent de périodes distinctes et illustrent le changement des pratiques de scellement. Nous n’analyserons pas ici les parcours transitifs, qui évoluent vers des pratiques administratives.

Un commentaire s’impose. Lorsque le Sujet se disjoint de l’Objet et le met sous scellé, il nie par le scellement la disjonction réalisée au plan de l’Expression et affirme, au plan du Contenu, la continuité d’une relation qui se maintient malgré la distance et la durée. Cette relation procède de ce qui sera appelé plus tard droit de propriété76. En reprenant le vocabulaire défini au §2, la séparation suivie de mise sous scellé n’est pas libératoire : elle ne rompt pas les liens entre Sujet et Objet. Tout en renonçant à voir et à toucher l’Objet placé sous scellé, le Sujet n’y a pas renoncé. Sa modalité virtualisante77 (vouloir du sujet) n’a pas été affectée, seules les modalités actualisantes de la jonction (pouvoir toucher, voir) ont été suspendues.

73 A. Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, 2 vol., Paris, Albin Michel, 1964-1965.


74 M. Frangipane, Arslantepe Cretulae, op. cit. ; “Fourth millennium Arslantepe”, art. cit. ; “The origins of administrative practices and their developments in greater Mesopotamia”, art. cit.


75 P. Garelli, Les Assyriens en Cappadoce, op. cit.


76 D’un point de vue formel, ce mécanisme rappelle la coprésence de deux logiques jonctives différentes dans la description des parcours en général : au plan de l’Expression, une logique du tiers exclu s’applique, alors qu’au plan du Contenu une logique du tiers non exclu opère. Cf. M. Hammad, « Les parcours, entre manifestations non-verbales et métalangage sémiotique », Nouveaux Actes Sémiotiques, 111, 2008, rééd. in Sémiotiser l’espace, décrypter architecture et archéologie.


77 Cf. Sémiotique. Dictionnaire, op. cit.

Le droit projeté sur l’objet a reçu une définition syntaxique implicite : ce droit est une modalité attribuée à un Sujet et confirmée par un Destinateur. Elle présuppose deux instances actantielles (Sujet, Destinateur) placées à deux niveaux distincts (immanence, transcendance). Dans les sociétés coutumières, le Destinateur est souvent manifesté par la Communauté. Durkheim, Mauss et Douglas ont fait une large part à cette dualité de niveaux, où un mode de pensée collectif régule l’action des individus. Cf. §2.2.2.

La distinction des logiques mises en œuvre aux plans de l’Expression et du Contenu clarifie la description de la capacité libératoire de la cession de propriété : la disjonction au plan de l’Expression y est doublée d’une disjonction au plan du Contenu. La conformité des deux plans a une valeur véridictoire. Cette description est à verser dans l’analyse du §2.

La réflexivité du parcours restitué à Tell Sabi Abyad autorise la mise en œuvre de plusieurs programmes initiés par différents sujets, et leur fonctionnement en parallèle. Il n’y a pas d’effet cumulatif qui naisse d’opérations concaténées. Sur certaines mottes, la même empreinte est imprimée plusieurs fois. Cette répétition ne modifie pas l’énoncé du dépôt d’objet, elle affecte le fonctionnement de la motte comme révélateur d’intrusion, car l’extension des empreintes rend plus difficile l’opération d’imitation falsificatrice de la motte.

La présence de deux empreintes différentes sur la même motte pose un autre problème : si les empreintes sont équivalentes, elles affirment des droits égaux de deux sujets sur l’Objet scellé. Si elles ne sont pas équivalentes, l’une est celle du sujet opérateur et l’autre celle d’un témoin. Mais comment différencier un rôle de l’autre lorsque les empreintes ne se chevauchent pas ?

4.6. L’enchâssement scellé de niveaux sémiotiques

Sans prétendre analyser les cas complexes qui suivent, nous résumons les difficultés qu’ils soulèvent. La fouille de Tell Sabi Abyad a dégagé, près des scellements étudiés, un grand nombre de figurines de terre appelées Tokens ou Calculi. Certains auteurs les interprètent comme des symboles qualitatifs et/ou quantitatifs représentant des denrées comme l’orge et le blé, ou représentant des animaux faisant l’objet de transactions. Sur d’autres sites, de tels Tokens ont été trouvés à l’intérieur de boules d’argile portant des empreintes de sceaux, connues dans la littérature sous le vocable Bullae. Nous ne discuterons pas leurs interprétations. La question qui se pose est leur éventuelle relation aux scellements étudiés. Rien ne prouve que des Tokens aient été enfermés dans des conteneurs à Tell Sabi Abyad. Si c’était le cas, il faudrait remplacer l’Objet par une expression déjà investie de sens, ce qui enchâsse un énoncé sémiotique dans un autre énoncé métalinguistique. La question de la privatisation resterait pertinente, celle de la propriété ne serait plus dominante.

Après l’invention de l’écriture, des tablettes inscrites furent scellées, certaines furent placées à l’intérieur d’une enveloppe d’argile scellée à son tour. Leur analyse entraîne trop loin de cet essai.

4.7. Scellement et flux de circulation

L’une des qualités principales de la propriété est de circuler parmi les hommes. Si les scellements bloquent la circulation pour affirmer la propriété, le procédé est paradoxal. Arrêter la circulation n’est peut-être pas la fonction première du procédé mais notons que la dénégation (nier la mobilité pour la réaffirmer) renforce le sens. La raréfaction des choses, née de leur immobilisation, augmente leur valeur. Elles peuvent circuler comme propriété ou comme don dès la rupture régulière du scellement. L’étude des flux de circulation des objets est un sujet en soi, mais il ne présuppose pas la propriété, puisque la circulation des dons est largement attestée.

4.8. Limites de l’analyse

Nous avons considéré un corpus archéologique particulier, incomplet (aucun site néolithique n’a été fouillé de manière exhaustive) et aléatoire (on n’a fouillé que quelques tells de la période concernée) pour l’analyser à l’aide de concepts issus de la sémiotique de l’espace. Il sera possible, dans l’avenir, de mieux faire lorsque de nouvelles découvertes seront sorties du sol.

Ce matériel archéologique a servi à mettre au point une méthode d’analyse capable de faire passer de la sémiotique de l’espace, où les questions de privatisation sont récurrentes, au domaine de l’anthropologie économique qui ouvre un domaine plus vaste. Les relations entre l’homme, l’espace et les objets restent au centre de nos préoccupations.

 

Bibliographie (ouvrages cités ou textes de référence)

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1 D’autres langues, dont la langue arabe, font appel à deux racines différentes pour désigner ces effets de sens. Leur réunion en français sous le même vocable est un héritage de la langue latine.

2 Pour tous les termes relevant du métalangage sémiotique, voir A.J. Greimas et J. Courtés, Sémiotique. Dictionnaire, Paris, Hachette, 1979.

3 Certains objets, tels que le vent et la haute mer, ne se prêtent pas à la projection de l’effet de sens propriété.

4 M. Hammad, « De l’espace et des hommes : Identité de groupe et traces de la privatisation de l’espace et de la propriété à l’époque néolithique », Acta Semiotica, III, 5, 2023.

5 M. Hammad, « La privatisation de l’espace », Nouveaux Actes Sémiotiques, 4-5, 1989, rééd. in Lire l’espace, comprendre l’architecture, Paris, Geuthner, 2006.

6 M. Hammad, « Définition syntaxique du topos », Bulletin du GRSL, 10, 1979, rééd. in Sémiotiser l’espace, décrypter architecture et archéologie, Paris, Geuthner, 2015.

7 Cf. Sémiotique. Dictionnaire, op. cit.

8 M. Hammad, « Interpréter la formation des villages néolithiques », Actes Sémiotiques, 126, 2022.

9 « De l’espace et des hommes », art. cit.

10 Ibid.

11 P.M.M.G Akkermans, Tell Sabi Abyad, the late Neolithic settlement, 2 vol., Istanbul, Nederlands Historisch-Archaeologisch Instituut, 1996. Id. et Kim Duistermaat, « More seals and sealings from Neolithic Tell Sabi Abyad, Syria », Levant, 36, 2004. Id. et id., « Late Neolithic seals and sealings », in Excavations at late Neolithic Tell Sabi Abyad, Syria, Turnhout, Brepols, 2014.

12 La poterie est déjà connue, il ne s’agit plus du premier âge néolithique qui ne la connaissait pas.

13 Deux millénaires plus tard, à Arslantepe, les scellements ont servi à fermer des portes de locaux qui ont pu contenir d’autres conteneurs scellés.

14 La chasse est une procédure prédatrice d’appropriation.

15 G. Hardin, “The Tragedy of the Commons”, Science 162, 1968. J. Tierney, “A tale of two fisheries”, The New York Times Magazine, 2000.

16 M. Heller, “The tragedy of the anticommons : a concise introduction and lexicon”, The Modern Law Review, 2013.

17 M. Minnegal & P.D. Dwyer, “Appropriating fish, appropriating fishermen : tradable permits, natural resources and uncertainty”, in V. Strang & M. Busse (eds), Ownership and appropriation, Oxford, Berg, 2011.

18 E. Ostrom, Governing the commons. The evolution of institutions for collective action, Cambridge University Press, 1990 ; “Coping with tragedies of the commons”, Annual Review of Political Science, 1999.

19 J. Cauvin, Naissance des divinités, naissance de l’agriculture. La révolution des symboles au Néolithique, Paris, CNRS éditions, 1994.

20 « De l’espace et des hommes », art. cit.

21 « La privatisation de l’espace », art. cit. La symétrisation des privatisations et la reconnaissance mutuelle font partie du régime de privatisation.

22 Lorsqu’on dit que tel élément appartient à tel ensemble, la relation est objectivée : l’ensemble (hiérarchiquement supérieur) est installé à la place du sujet anthropomorphe.

23 J. Woodburn, “Egalitarian societies”, Man, 17, 3, 1982. A.P. Fiske, “The four elementary forms of sociality : framework for a unified theory of social relations”, Psychological Review, 99, 4, 1992. C. Macdonald, «Structure des groupes humains. Vers une axiomatique», L’Homme 217, 2016.

24 M. Mauss, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », L’Année Sociologique, 1923-1924, repris dans Sociologie et anthropologie, Paris, P.U.F., 1950.

25 B. Malinowski, Argonauts of the Western Pacific. An account of native enterprise and adventure in the archipelagoes of Melanesian New Guinea, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1922.

26 M. Mauss, op. cit., p. 148 : « Quelle force y a-t-il dans la chose qu’on donne qui fait que le donataire la rend ? ».

27 D. Graeber, Debt. The first 5000 years, Brooklyn, Melville house, 2014.

28 M. Hammad, « Régimes anciens de la terre », Actes Sémiotiques, 117, 2014, rééd. in Lire l’espace, étendre le domaine sémiotique, Paris, Geuthner, 2021.

29 Op. cit. note 28.

30 M. Hammad, « Dynamics of Madrasa learning institutions in the Ayyubid and Mamluk capital cities », sous presse.

31 M. Hammad, « La Succession », Semiotica, 2017, rééd. in Lire l’espace, étendre le domaine sémiotique.

32 Les langues naturelles manifestent une grande variabilité dans la désignation de la catégorie (transfert) et des jonctions orientées.

33 H. Demsetz, “Toward a theory of property rights”, The American Economic Review, 57, 1967 ; id., “Toward a theory of property rights II : the competition between private and collective ownership”, Journal of Economic Studies, XXXI, 2002. Y. Barzel, Economic analysis of property rights, Cambridge University Press, 1997. J. Umbeck, “The California gold rush : a study of emerging property rights”, Explorations in Economic History 14, 1977.

34 P. Garnsey, Thinking about property. From Antiquity to the Age of Revolution, Cambridge, Cambridge University Press, 2007.

35 B. Malinowski, Argonauts of the Western Pacific, op. cit.

36 M. Hammad, « Régimes anciens de la terre », art. cit.

37 M. Hammad, « La Succession », art. cit.

38 D. Graeber, Debt, op. cit.

39 P. Akkermans & M. Verhoeven, “An image of complexity : the burnt village at late neolithic Sabi Abyad, Syria”, American Journal of Archaeology, 99, 1, 1995. P. Akkermans, “Earliest date for seals and sealings in the Near East”, in Bennison-Chapman, Bookkeeping without writing, Leuven, Peeters, 2023.

40 K. Duistermaat & G. Schneider, “Chemical analysis of sealing clays and the use of administrative artefacts at late neolithic Tell Sabi Abyad (Syria)”, Paléorient, 24, 1, 1998.

41 L’analyse des argiles des scellements de Tepe Gawra et d’Arslantepe a aussi montré que les argiles sont locales et qu’il convient de privilégier l’hypothèse du stockage local. M. Rothman & J. Blackman, “Monitoring administrative spheres of action in late prehistoric northern Mesopotamia with the aid of chemical characterization (INAA) of sealing clays”, MASCA Research papers in science and archaeology, 7, 1989.

42 Même si le procédé de sceller des marchandises afin d’en garantir l’intégrité durant le transport commercial est attesté au deuxième millénaire par les archives assyriennes de Kultepe. Cf. P. Garelli, Les Assyriens en Cappadoce, Paris, Maisonneuve, 1963.

43 A. Testart, Avant l’histoire. L’évolution des sociétés de Lascaux à Carnac, Paris, Gallimard, 2012. F. Sigaut, Les réserves de grains à long terme, techniques de conservation et fonctions sociales dans l’histoire, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1978. F. Sigaut, “A method for identifying grain storage techniques and its application for european agricultural history”, in G. Lerche, A. Fenton & A. Steensberg (eds), Tools & Tillage, Copenhagen, National Museum of Denmark, 1988.

44 P. Akkermans, Villages in the steppe. Later Neolithic settlement and subsistence in the Balikh valley, Northern Syria, International Monographs in Prehistory, Ann Arbor, Michigan, 1993.

45 K. Duistermaat, “Private matters : the emergence of sealing practices in neolithic Syria”, in Nieuwenhuyse, Bernbeck, Akkermans & Rogasch, Interpreting the late neolithic of upper Mesopotamia, Brepols, 2012. R. Montagne, Magasin collectif de l’Anti Atlas Agadir des Ikounka, Paris, Larose, 1930. J. Meunié, « Les greniers collectifs du Maroc », Journal de la Société des Africanistes, tome 14, 1944.

46 M. Frangipane, Arslantepe Cretulae. An early centralized administrative system before writing, Roma, CIRAAS 7, 2007. Id., “Fourth millennium Arslantepe : the development of a centralized society without urbanization”, Origini XXXIV, 2012. Id., “The origins of administrative practices and their developments in greater Mesopotamia. The evidence from Arslantepe”, Archéo-Nil, 26, Paris, Cybèle, 2016.

47 M. Hammad, « L’espace comme sémiotique syncrétique », Actes Sémiotiques, VI, 27, 1983, rééd. in Lire l’espace, comprendre l’architecture ; « La privatisation de l’espace », art. cit.

48 D’un point de vue topologique, la salle fermée par une porte et le conteneur fermé par un couvercle sont des enceintes comparables, dotées d’une ouverture admettant un état ouvert et un état fermé, ce qui autorise le contrôle d’accès à l’égard de tout sujet présent dans l’espace extérieur et visant l’espace intérieur (ou inversement).

49 Sémiotique. Dictionnaire, op cit.

50 Aucun sceau correspondant aux scellements de Tell Sabi Abyad n’a été trouvé. Les sceaux auraient été conservés par leurs porteurs respectifs.

51 A. Tsuneki, “A glimpse of human life from the neolithic cemetery at Tell el-Kerkh, Northwest Syria”, Documenta Praehistorica, XXXVIII, 2011.

52 Ou un sceau de groupe s’il s’agit d’un Acteur Collectif. Noter que le sceau est inaliénable.

53 M. Hammad, « L’énonciation, procès et système », Langages, 70, 1983 ; « L’expression spatiale de l’énonciation », Cruzeiro Semiotico, 5, 1986, rééd. in Lire l’espace, comprendre l’architecture.

54 Pour une analyse sémiotique des caches, voir M. Hammad, « 500000 dirhams en Scandinavie, de l’argent mobile à la rente foncière », in Lire l’espace, étendre le domaine sémiotique.

55 Même lorsqu’on a trouvé des scellements dans des fosses à détritus, à Arslantepe en particulier, ils étaient groupés, en couches distinctes témoignant d’opérations de rejet systémiques et périodiques.

56 P. Akkermans & M. Verhoeven, “An image of complexity : the burnt village at late neolithic Sabi Abyad”, art. cit.

57 L’analyse de la privatisation de l’espace présuppose une symétrie entre sujets : pour que S1 puisse jouir d’un espace privatisé, il est nécessaire qu’il admette que d’autres sujets jouissent d’espaces équivalents. Cf. M. Hammad, « La privatisation de l’espace », art. cit.

58 Cf. Sémiotique. Dictionnaire, op. cit.

59 On peut y ajouter les archéologues et les sémioticiens qui tentent d’interpréter les scellements qu’ils trouvent : ils s’imposent sans avoir été initialement prévus.

60 Dans tous les sites qui ont livré des scellements, pas seulement à Tell Sabi Abyad.

61 M. Hammad, « L’énonciation, procès et système », art. cit. et « L’expression spatiale de l’énonciation », art. cit.

62 Même dans les remplissages de salle ou de sols, dans les fosses de voierie, les scellements restent groupés par catégorie de sceau et par période temporelle, conservant quelque chose de l’ordre antérieur mis en place par ceux qui les géraient. L’allure du village brûlé de Tell Sabi Abyad, l’absence de désordre en ces lieux, ont amené à formuler l’hypothèse d’un incendie volontaire et rituel.

63 S’il y avait comptage et calcul mental, il échappe à l’archéologie.

64 Toutes nos analyses des pratiques néolithiques présupposent que les mécanismes du sens que nous connaissons ont été valides à l’époque considérée. Cf. M. Hammad, « Interpréter la formation des villages néolithiques », art. cit.

65 Dans la pratique juridique ultérieure de Mésopotamie, le témoignage des témoins est décisif, qu’il y ait des tablettes écrites ou qu’il n’y en ait pas. La partie principale, qui constitue l’acte, c’est le témoignage. La tablette n’est qu’un supplément, pour ne pas dire un accessoire. Cf. J. Renger, “Legal aspects of sealing in ancient Mesopotamia”, in Gibson & Biggs, Seals & sealing in the ancient Near East, Malibu, Undena, 1977.

66 Tout scellement rompu conservé dans un lieu architectural est un scellement qui a été rompu dans les formes convenues, selon une procédure libératoire. Les scellements rompus en violation des conventions ne sont pas conservés avec les autres.

67 F. Braudel, « Histoire et Sciences sociales : La longue durée », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 4, 1958.

68 Cette difficulté est ordinaire en sémiotique de l’espace. Même aujourd’hui, le déroulement des événements dans l’espace les rend difficiles à saisir. Leur reproduction est impossible, le recours à des formes de représentation est nécessaire. La méthode sémiotique a dû s’adapter à cette contrainte. Cf. M. Hammad, « L’architecture du thé », Actes Sémiotiques, IX, 84-85, 1987.

69 L’usage anglais du terme proxy pour ce que nous désignons par indicateur met en avant son rôle d’objet délégué.

70 Eric Landowski a utilisé (2004, 2014, 2021) la notion de régime de manière productive en sémiotique.

71 P. Akkermans, Villages in the steppe, op. cit. P. Akkermans & K. Duistermaat, “Of storage and nomads. The sealings from late neolithic Sabi Abyad, Syria”, Paléorient, 22, 2, 1996.

72 M. Hammad, « Interpréter la formation des villages néolithiques », art. cit. et « De l’espace et des hommes », art. cit.

73 A. Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, 2 vol., Paris, Albin Michel, 1964-1965.

74 M. Frangipane, Arslantepe Cretulae, op. cit. ; “Fourth millennium Arslantepe”, art. cit. ; “The origins of administrative practices and their developments in greater Mesopotamia”, art. cit.

75 P. Garelli, Les Assyriens en Cappadoce, op. cit.

76 D’un point de vue formel, ce mécanisme rappelle la coprésence de deux logiques jonctives différentes dans la description des parcours en général : au plan de l’Expression, une logique du tiers exclu s’applique, alors qu’au plan du Contenu une logique du tiers non exclu opère. Cf. M. Hammad, « Les parcours, entre manifestations non-verbales et métalangage sémiotique », Nouveaux Actes Sémiotiques, 111, 2008, rééd. in Sémiotiser l’espace, décrypter architecture et archéologie.

77 Cf. Sémiotique. Dictionnaire, op. cit.

 

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Résumé : L’apparition de la notion de propriété est un changement sémantique majeur affectant les transactions économiques au sein d’une société. Nous en cherchons les traces archéologiques avant l’apparition de l’écriture. Cela présuppose l’analyse des régimes de circulation des choses entre les hommes avant la propriété, pour caractériser le régime de celle-ci. Une équipe d’archéologues a proposé de reconnaître, dans des mottes de scellement trouvées à Tell Sabi Abyad (Syrie), des traces de propriété. Nous examinons lesdits objets, et leur mode de mise en œuvre, pour vérifier si cela satisfait la définition syntaxique que nous reconnaissons dans les pratiques antiques et actuelles. La réponse est partiellement positive : nous avons affaire à l’apparition des prémices non verbaux d’une expression de la propriété.


Resumo : A aparição da noção de propriedade é uma mudança semântica significativa que afeta as transações econômicas no seio de uma sociedade. Neste artigo, iremos procurar seus vestígios arqueológicos antes mesmo do surgimento da escrita. Isso pressupõe a análise dos regimes de circulação de bens entre os homens antes da propriedade, a fim de caracterizar o regime desta última. Uma equipe de arqueólogos propôs reconhecer, em fragmentos de selagem encontrados em Tell Sabi Abyad (Síria), vestígios de propriedade. Examinamos esses objetos e seu modo de implementação para verificar se atendem à definição sintática que reconhecemos nas práticas antigas e atuais. A resposta é parcialmente positiva : percebemos, em Tell Sabi Abyad, o surgimento dos preâmbulos não verbais de uma expressão de propriedade.


Abstract : The emergence of Property as a cultural notion is a major semantic change affecting economic transactions in society. We look for its archaeological traces before writing. This quest presupposes an analysis of regimes of circulation of things between men before the emergence of Property, in order to differentiate the regime of the latter. A team of archaeologists proposed to recognize traces of Property in the sealing clay clumps found at Tell Sabi Abyad (Syria). We examine the said objects and the process of their use, in order to check if that satisfies the syntactic definition of Property as we recognize it in archaeological practice. The answer is partially positive: we have at Tell Sabi Abyad non verbal beginnings of an expression of Property.


Mots clefs : Circulation, Énonciation, Espace physique, Espace social, Objet, Propriété, Régime, Syntaxe.


Auteurs cités : Peter Akkermans, Kim Duistermaat, Marcella Frangipane, Peter Garnsey, Algirdas J. Greimas, Eric Landowski, Marcel Mauss.


Plan :

1. Peut-on repérer l’apparition de la propriété des objets

2. Sémantique de la propriété au sein du paradigme des
régimes de circulation des choses entre les hommes

1. Avant la propriété

    1. Maîtrise collective, communs et Res nullius

    2. Acquisition, consommation, privatisation, possession

    3. Don, contre-don différé et effet ligatoire

2. Descriptions de la propriété

    1. Perspective historique pour la propriété

    2. Modalités et droits de propriété

    3. Circulation libératoire de la propriété

3. Paradigme des régimes de circulation des objets parmi les hommes

3. Les scellements de tell sabi abyad : traces de propriété ?

1. Les scellements de Tell Sabi Abyad : un résumé archéologique

2. L’interprétation des fouilleurs de Tell Sabi Abyad

3. Les scellements d’Arslantepe et leur interprétation

4. Perspective sémiotique pour interpréter les scellements de Tell Sabi Abyad

5. Cacher un objet dans un conteneur équivaut à séparer l’Objet du Sujet

6. La motte d’argile comme Sujet Délégué et révélateur véridictoire de continuité

7. Identifier la motte pour empêcher la falsification

8. Projeter sur la motte la marque énonciative du Sujet

9. Caractère public et ligatoire de l’acte de scellement

10. Caractère volontaire des collections de scellements dégagés

11. Caractère libératoire de la rupture publique du scellement

12. Le parcours narratif d’ensemble et la transformation sémantique réalisée

4. En guise de clôture

1. Changement épistémique et traces matérielles

2. La virtualisation du changement

3. L’actualisation du changement

4. La réalisation du changement

5. Syntaxe réflexive et logiques de mise en œuvre

6. L’enchâssement scellé de niveaux sémiotiques

7. Scellement et flux de circulation

8. Limites de l’analyse

 

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Recebido em 03/08/2023. / Aceito em 23/09/2023.