Le point sémiotique

« Mehr Licht ! »

Jean-Paul Petitimbert
ESCP, Paris — CPS, São Paulo

 

Publié en ligne le 30 juin 2023
https://doi.org/10.23925/2763-700X.2023n5.62445
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Introduction

Mehr Licht ! Tels furent les derniers mots de Goethe, repris par Greimas à la fin de De l’Imperfection. Si à notre tour nous empruntons la formule et la plaçons en tête de la présente réflexion sur la situation actuelle de la sémiotique et sur sa vocation dans les années qui viennent, c’est à la manière d’un mot d’ordre — d’un « cri de guerre ». Une longue pratique de la « sémiotique professionnelle » en tant qu’enseignant dans diverses grandes écoles1 et que « consultant » auprès de nombreuses entreprises nous a en effet convaincu que parmi les sciences sociales notre discipline tout spécialement a quelque lumière à apporter face à la confusion du monde d’aujourd’hui et aux périls qui guettent. Non seulement aux autres sciences (y compris la science économique) mais surtout de manière plus générale à quiconque cherche à approfondir la compréhension du monde qui nous entoure.

1 Ecoles supérieures de commerce et de communication : ESSEC, ESCP, CELSA-Sorbonne, EM Lyon.

Mais plaider efficacement pour la diffusion de la démarche et de la méthode sémiotiques ne va pas de soi. Pour penser la manière dont notre discipline peut ou pourrait intervenir dans le contexte actuel, il nous faudra d’abord « faire le point » sur un plan plus général, en tentant de dégager la dimension sémiotique des grands problèmes qui se posent aujourd’hui. Sera indispensable aussi une réflexion critique sur la manière dont la discipline s’est jusqu’ici présentée dans son contexte universitaire et professionnel, et plus largement sur la scène intellectuelle. Restera finalement à formuler quelques propositions en vue de la rendre plus performante et de la faire mieux comprendre à l’avenir.

1. Un monde en perte de sens

Le monde va mal et désormais plus personne ne peut l’ignorer. Nous traversons collectivement une zone de hautes turbulences, une période de l’histoire de l’humanité qui se dessine non pas comme une crise (puisque cela supposerait qu’une fois résolue, le monde retrouverait son état initial) mais comme une mutation, ou plutôt une bifurcation, au sens de ce terme chez les théoriciens de la complexité. Ce n’est pourtant pas du devenir théorique de la sémiotique sous forme de complexification de ses modèles que nous allons traiter. C’est de son devenir pratique. Les difficultés du temps présent ont beau relever d’ordres très divers (démographique, social, politique, économique et, pire encore, écologique et climatique), elles ont toutes pour point commun de poser, fondamentalement, des problèmes de sens. La sémiotique est par conséquent la première des disciplines à devoir les analyser, à pouvoir se prononcer et prendre position. Et dans un monde désorienté où, répète-t-on de toute part, le besoin de sens se fait chaque jour plus pressant, surtout parmi les plus jeunes, ses analyses auraient à coup sûr quelque chance d’être entendues. — A condition d’être bien fondées et convenablement formulées !

1.1. Changement de paradigme

Nombreux sont les philosophes, sociologues, historiens ou prospectivistes qui avancent l’idée qu’un changement radical de paradigme2 serait en cours et que l’instabilité de la période actuelle serait le résultat du croisement entre une courbe ascendante, celle des forces vives du paradigme émergent, et celle, descendante, des institutions de pouvoir de l’ancien, dit de la « modernité ».

2 « Paradigme », évidemment au sens usuel et non linguistique du terme.

Ce paradigme de la modernité qui prévaut encore mais semble aujourd’hui moribond (c’est son agonie qu’on qualifie de « post-moderne ») remonte aussi loin que la Renaissance, avec l’avènement du concept de temps linéaire assorti de son corollaire, la notion de progrès, qui s’est peu à peu étendue à l’ensemble des activités humaines, tant cognitives (connaissances scientifiques) que pragmatiques (techniques de production). Elle est au cœur de l’humanisme du XVIe siècle, du rationalisme du XVIIe, du criticisme des « Lumières », du positivisme du XIXe pour enfin être mise à mal par le nihilisme sanglant du XXe (Verdun, Auschwitz, Hiroshima, Goulag, Bhopal, etc.). Il n’est dès lors guère étonnant que la maxime « On n’arrête pas le progrès ! » soit passée d’un contenu euphorique à son opposé et qu’on la trouve aujourd’hui couramment utilisée sous forme ironique pour qualifier une innovation dont on pense qu’elle ne sert à rien, voire qu’elle crée ou aggrave un problème au lieu de le résoudre.

De fait, ne sommes-nous pas inondés aujourd’hui d’innovations en tous genres, et surtout par celles dont nous n’avons aucun besoin ? C’est que l’idée de progrès s’est fait absorber par celle d’innovation, qui pourtant n’en est qu’un avatar dégradé. Car si le progrès suppose un certain degré d’innovation, en revanche toute innovation n’est pas, loin de là, synonyme de progrès. L’idéal d’avancées scientifiques et techniques au service d’un avenir meilleur qui avait constitué l’horizon téléologique des cinq siècles passés s’est peu à peu édulcoré et perverti au « profit » (c’est le cas de le dire) de l’idéologie mercantiliste qui a conduit à l’« allotélie » actuelle, situation où le but atteint diffère de celui qui était initialement visé et où on peut voir la cause profonde du changement de paradigme en cours.

Si l’objectif de progrès, quelque désirable qu’il puisse paraître, ne fait plus consensus, c’est aussi parce que « croire en lui suppose pour chacun d’accepter de sacrifier du présent personnel au nom d’un futur collectif »3. Or ces deux dimensions, sacrificielle et collective, entrent en complète contradiction, voire en conflit, avec les valeurs individualistes d’hédonisme et d’immédiateté que le mercantilisme dominant, moyennant son outil de propagande principal qu’est le marketing de l’innovation, a instillées dans l’esprit de ses divers publics cibles : la performance facile (le moindre effort), la sécurité (l’absence de risque), le confort et le plaisir (la non-austérité), le bien-être et ce qu’on appelle le « développement personnel » (le narcissisme), etc.4.

3 Formule de Luc Ferry citée par Étienne Klein dans Sauvons le progrès. Dialogue avec Denis Lafay, Paris, l’Aube, 2017.


4 Voir notamment B. Heilbrunn, L’obsession du bien-être, Paris, Laffont, 2019.

1.2. Numérique, robotique et autres algorithmes

Alors que les termes de progrès et d’innovation sont fréquemment pris pour synonymes, ils procèdent en fait de deux logiques distinctes, dont chacune s’appuie sur une axiologie de la temporalité qui lui est propre.

Pour le progrès, le temps qui passe est constructeur (à condition évidemment d’avoir configuré un dessein commun désirable, explicité une représentation crédible et attractive de l’avenir et d’œuvrer à son avènement). Pour l’innovation, le passage du temps doit au contraire être combattu car il est conçu comme inéluctablement corrupteur : ne cessant d’abîmer les choses et les situations, il dégrade sans fin notre environnement et nos conditions de vie. C’était la définition qu’en donnait déjà Francis Bacon en 1625 : « si le temps, bien sûr, change les choses pour le pire, et que la sagesse et le conseil ne les modifient pas pour le meilleur, quelle sera la fin ? »5. L’état catastrophique de la planète sert aujourd’hui à justifier et renforcer ce credo qui n’a guère évolué depuis le XVIIe siècle : il serait impératif d’innover, non pas pour faire advenir un monde meilleur, mais paradoxalement pour empêcher l’actuel de se déliter6. Cela en apportant aux maux qui le frappent des remèdes toujours plus efficaces.

En termes de syntaxe narrative standard, si le progrès se décline sous forme de programmes de transformation du monde (à base de conjonctions ou de disjonctions), l’innovation vise plutôt à effectuer des programmes de préservation (à base de non conjonctions ou de non disjonctions), comme le soulignent de nombreux mots d’ordre actuels : « protection de l’environnement », « sauvegarde des espèces », « conservation de la biodiversité », « développement durable ». C’est cette version dysphorique du passage du temps que le mercantilisme a fait sienne (notamment en cultivant l’obsolescence programmée des produits et services) pour sous-tendre la surenchère d’innovations permanente dont il fait preuve, précisément parce qu’elle entraîne dans une logique de consommation sans fin.

5 F. Bacon, « (...) if time of course alter things to the worse, and wisdom and counsel shall not alter them to the better, what shall be the end ? ». « Of innovation », Essayes or Counsels, Civill and Morall, 1625 (https://www.gutenberg.org/files/575/575-h/575-h.htm). Notre traduction.


6 Le verbe innover fut d’abord utilisé par les juristes, dans le sens d’ajouter une clause ou un avenant à un contrat. Son usage s’est ensuite étendu pour désigner le fait d’introduire une nouveauté dans une chose préexistante afin de la rendre pérenne.

De quoi cette innovation est-elle donc le nom aujourd’hui ? Au nom de quoi s’impose-t-elle ? Le progrès est long-termiste et patient, l’innovation court-termiste et fébrile. Elle se nourrit de l’état d’urgence qu’elle entretient elle-même et c’est sous prétexte d’une plus grande efficacité, conçue avant tout comme un gain de temps (au double sens de gagner du temps et de gagner sur le temps), qu’elle envahit toutes les sphères de la société. C’est pourquoi elle est avant tout technologique et repose pour une très large part sur l’accélération exponentielle des productions et des échanges que permettent l’automatisation, la robotisation, l’informatisation et la dématérialisation d’un nombre croissant d’activités (économiques, industrielles, commerciales, sociales, culturelles, etc.). Autrement dit, l’innovation contemporaine est avant tout digitale (ou numérique, les deux termes sont interchangeables).

Parmi les nombreux effets pervers de ce nec plus ultra que serait le digital, on trouve les clivages entre groupes de personnes, pour ne pas dire entre coteries, qu’on voit poindre sur les « réseaux (dits) sociaux ». Dans ces groupes, ou plutôt ces « petites bulles cognitives » comme les appelle le philosophe des sciences Étienne Klein7, aucune opinion n’est soumise à contradiction. L’activité principale consiste à s’auto- et s’entre-congratuler. La pense?e critique, la « valeur esprit », selon l’expression du philosophe Bernard Stiegler8, est donc de facto exclue de ces bulles au profit de ce qu’il appelait la « misère symbolique »9. Plus alarmistes et plus critiques encore, certains analystes vont jusqu’à parler de « servitude volontaire »10 aboutissant à la mise en esclavage des individus, d’autres à pointer le risque de « crétinisation » et de « narcissisation » des masses, aboutissant à une humanité nombriliste où la violence, la vulgarité et la médiocrité font loi, etc.

7 Dans Sauvons le progrès, op. cit.


8 Voir l’ouvrage collectif Réenchanter le monde : la valeur esprit contre le populisme industriel, Paris, Flammarion, 2006.


9 Cf. B. Stiegler, De la misère symbolique. L’époque hyperindustrielle (t. I) et La catastrophe du sensible (t. II), Paris, Galillée, 2004 et 2005.


10 Cf. E. Landowski, « Pièges : De la prise de corps à la mise en ligne », Carte Semiotiche, 4, 2016.

Plutôt que de multiplier à notre tour les exemples d’effets nocifs du tout numérique (ou du tout algorithmique)11, il nous suffira de retenir que le concept d’innovation, dont le numérique est aujourd’hui le parangon, a non seulement supplanté celui de progrès, mais est devenu un mot-fétiche, un terme fourre-tout, et trompeur. Car bien qu’il brandisse la bannière de la nouveauté, il ne vise qu’à maintenir le monde en l’état, en aucun cas à le transformer. Si l’innovation numérique permet sans doute de guérir quelques-uns de nos maux, elle ne configure aucun futur désirable, ne dessine aucun horizon à atteindre et ne peut prétendre à constituer un projet de société. Son mot d’ordre pourrait être cette célèbre injonction paradoxale : « Il faut que tout change pour que rien ne change ! ».

Du point de vue socio-sémiotique qui est le nôtre, l’ensemble de ces évolutions technologico-mercantiles relève du régime interactionnel de la programmation et, en particulier, de l’insignifiance qui caractérise le régime de sens qui lui est attaché. Elles visent en effet à assurer une certaine continuité de l’état du monde, avec pour corollaire, face aux incertitudes de l’avenir, le besoin d’une rassurante sécurité (qui en constitue le régime de risque). Dans ces conditions, comment s’étonner de la désorientation de la jeunesse contemporaine et de la déroute générale du sens (de la vie) qu’elle ressent et cherche à enrayer ? Comment ne pas comprendre qu’ici ou là de jeunes diplômés se lancent dans des diatribes subversives aux oreilles de l’establishment universitaire ? Deux exemples.

Le jour de la cérémonie de remise du titre d’ingénieur de l’école Centrale Nantes, le 30 novembre 2018, cette déclaration d’un des lauréats :

11 Cf. A. Casilli, En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic, Paris, Seuil, 2019.

Nous, les ingénieurs, sommes les géniteurs de l’obsolescence programmée. (…) Il est grand temps (…) de co-construire un futur souhaitable où l’argent ne soit plus la seule valeur.12

Et cet « appel à déserter » de la part d’un groupe de huit étudiants de l’école d’ingénieurs AgroParisTech, le 30 avril 2022, lors de la remise de leur diplôme :

(...) nous refusons de servir ce système et nous avons décidé de chercher d’autres voies, de construire nos propres chemins. (…) Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fiers et méritants d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours. (…) Nos métiers sont destructeurs. (…) Nous ne voyons pas les sciences et techniques comme neutres et apolitiques : nous pensons que l’innovation technologique ou les start-ups ne sauveront rien d’autre que le capitalisme.13

12 https://umanz.fr/essentiels/25/01/2019/empecher-que-le-monde-ne-se-defasse-le-discours-de-clement-choisne.


13 https://www.liberation.fr/environnement/agriculture/a-agroparis-tech-le-discours-detudiants-refusant-les-jobs-destructeurs-qui-leur-sont-promis-20220511_VVHAHQYAZFFRFAIHLJECXPVG7U/

Venant d’ingénieurs dont le métier et les savoirs-faire consistent à apporter des réponses concrètes à des problèmes qu’ils ne sont pas censés questionner, de telles déclarations manifestent un mal-être plus général. Ce sont là des signes évidents de la prise de conscience du fait que les « solutions innovantes » à base d’algorithmes qui leur sont demandées aujourd’hui ont de grandes chances d’être la source des problèmes de demain. Et que ce cercle vicieux n’a plus aucun sens, si tant est qu’un jour il en ait eu un.

1.3. Dérèglement climatique et dérégulation des marchés (ou vice versa)

Selon le modèle socio-sémiotique interactionnel, le non-sens n’est pas l’apanage du seul régime de la programmation et de la continuité qui le fonde. Il peut procéder aussi de son vis-à-vis, sous-tendu, lui, par le discontinu et régi par l’arbitraire du hasard : le régime de l’accident insensé (ou de l’assentiment face à l’inévitable). A l’« excès de cohésion » de l’un fait face l’« excès de dispersion » de l’autre14.

14 E. Landowski, Passions sans nom, Paris, P.U.F., 2004, p. 51.

Or la sidérante et erratique cohorte de catastrophes naturelles aux conséquences souvent irréversibles que nous connaissons depuis plusieurs années et qui fait planer la menace d’une sixième extinction de masse a toutes les caractéristiques de cet excès de dispersion. C’est ce que résume le terme d’anthropocène : l’ordre naturel des choses et de notre environnement, celui du cosmos, dans la tranquille régularité duquel ont vécu toutes les générations précédentes, s’est brutalement métamorphosé en kakosmos15, c’est-à-dire en un chaos dénué de sens, où règne l’aléatoire, et donc l’imprévisible. Ce nouveau « régime climatique » est la preuve patente que la vieille vision occidentale du monde que Philippe Descola appelle naturaliste16 et Bruno Latour moderniste n’est plus d’actualité.

15 B. Latour, « Agency at the time of the anthropocene », New Literary History, 45, 2014, p. 8.


16 Ph. Descola, « Humain, trop humain », Esprit, 12, 2015. Voir aussi, Par-delà Nature et Culture, Paris, Gallimard, 2005.

En termes interactionnels, il s’agit des rapports dialectiques complexes entre le régime de la programmation et celui de l’accident17. A l’ère pré-anthropocène, le régime d’interaction entre le milieu et ses occupants humains s’était développé sur la base de la continuité, de la régularité et donc de la prévisibilité. Des lois déterministes régissaient un univers naturel envisagé comme un objet purement inanimé et passif pouvant être à la fois étudié par les sciences exactes, exploité par la technique et pillé comme ressource, ad libitum, par la rapacité du capitalisme industriel. Au contraire, le nouveau régime climatique qui, à la suite de ce pillage, prévaut aujourd’hui, se caractérise par le principe de la discontinuité radicale et se manifeste sous la forme d’une série de cataclysmes écologiques aléatoires et de plus en plus fréquents. Ce n’est pas ici le lieu de débattre de la nature précise des rapports entre ces régimes, autrement dit de déterminer si on a affaire à une « programmation aléatoire », à un « aléa programmé » ou à une alternance entre les deux18. Quoi qu’il en soit, on ne peut esquiver la présence ou bien, dans le cas de la programmation, d’un actant-objet (ou « non-sujet » selon la terminologie de J.-Cl. Coquet) doté du pouvoir-faire que révèlent les lois de la nature mises au jour par les sciences exactes, ou bien, sous le régime de l’accident, d’un actant-joker prenant la forme d’une puissance supérieure dont les « décrets » arbitraires semblent inexplicables et forcent l’assentiment19. C’est parce qu’ils métaphorisent cet imprévisible « actant-joker » en l’actorialisant que Lovelock (et à sa suite Latour) le baptise du nom d’une divinité mythologique, Gaïa20.

17 Cf. J.-P. Petitimbert, « Anthropocenic Park : humans and non-humans in socio-semiotic interaction », Actes Sémiotiques, 120, 2017.


18 Sur ces questions, cf. E. Landowski, « Complexifications interactionnelles », Acta Semiotica, 1, 2, 2021.


19 E. Landowski, Les interactions risquées, Limoges, Pulim, 2005, p. 71.


20 J. Lovelock, The Revenge of Gaia. Why the Earth is Fighting Back and How We Can Still Save Humanity, New York, Basic Books, 2006 ; B. Latour, Face à Gaïa, Paris, La Découverte, 2015.

A partir de ce constat, on comprend encore mieux le rejet exprimé par les jeunes ingénieurs cités plus haut, à la fois victimes impuissantes des réactions aléatoires de Gaïa et possibles causes de ses sautes d’humeur. Entre régime de la programmation et régime de l’accident, ils se sentent pris en tenaille, dans un double bind dont chacun des termes est dénué de sens, et l’ensemble de toute signifiance. C’est donc la totalité du « système », ses vieux schémas et ses nouveaux mots d’ordre qu’ils vouent aux gémonies :

Nous ne croyons ni au « développement durable », ni à la « croissance verte », ni à la « transition écologique », expressions qui sous-entendent que la société pourra devenir soutenable sans qu’on se débarrasse de l’ordre social dominant.21

21 Discours des ingénieurs AgroParisTech, 30 avril 2022.

A quel « ordre social dominant » font-ils allusion ? Compte tenu du contexte, on comprend qu’il s’agit à vrai dire surtout d’un ordre économique, à savoir l’ordo-libéralisme (et ses variantes), cette doctrine héritière du libéralisme pur inventé par Adam Smith, qui prône la dérégulation des marchés moyennant la réduction de l’interventionnisme de l’État afin de laisser toute lattitude aux investisseurs entreprenants, aux aventuriers du capitalisme prêts à prendre tous les risques, et de favoriser la libre concurrence entre les entreprises comme entre les nations. Le substrat de ce courant de pensée dominant est une croyance : on fait le pari qu’en maximisant les chances de profit de chacun, l’action de la mythique « main invisible » des marchés, invoquée par Adam Smith, sorte de force naturelle transcendante et providentielle, permettra à la fortune de quelques-uns de contribuer au bien-être de tous par effet de « ruissellement ». Dans « Politiques de la sémiotique », Landowski consacre un chapitre à la modélisation des grands systèmes d’économie politique dans lequel il soutient aussi qu’

à l'opposé des stratégies qui visent la stabilité, la régularité et la sécurité du développement [du type économie planifiée], prennent place divers types de pratiques — dont celles dominantes dans notre monde « globalisé » et de plus en plus « dérégule » — qui privilégient le régine de l’accident et mettent délibérément la survie économique sous la dépendance de l’aléa, financier en premier lieu.22

22 « Politiques de la sémiotique », Rivista Italiana di Filosofia del Linguaggio, 13, 2, 2019, p. 18.

En termes interactionnels, cette main invisible d’Adam Smith n’est qu’une autre figuration de l’actant central du régime de l’accident que nous avons déjà croisé à propos de l’anthropocène, l’actant joker (c’est-à-dire le hasard) auquel Landowski attribue un rôle catastrophique « polyvalent », défini comme le contraire du « rôle thématique » monovalent et figé qui régit, lui, le comportement des actants du régime de la programmation23.

23 Les interactions risquées, op. cit., pp. 71-72, 95.

Ainsi se dessine une situation où le non-sens est roi. Pour reprendre notre thème introductif du changement de paradigme, cette situation est le produit de cet « ancien monde » qui, malgré son bilan désastreux, s’efforce aujourd’hui de résister, précisément parce qu’il est en voie de disparition. A notre sens, ce n’est pas la moindre des vertus de la sémiotique, et en particulier de la socio-sémiotique, que d’avoir construit un appareil conceptuel puis, au cours de vingt dernières années, une syntaxe élargie qui pemet d’en mettre au jour les fondements comme d’en décrire les rouages.

2. « Ni cosmos ni chaos »

Mais qu’en est-il du nouveau paradigme émergent ? Il ne semble pas encore totalement configuré car il ne se manifeste qu’à travers une myriade d’expériences marginales menées dans divers pays et dans divers domaines (urbanisme, agriculture, manufacture, commerce, monnaie, etc.24). Il s’agit de tentatives alternatives, peu ou mal définies, d’initiatives collectives expérimentales isolées, prises en général par des jeunes à la recherche d’« un [nouveau] mode de vie, une [nouvelle] idéologie, une [nouvelle] manière de donner sens au monde et aux choses », pour paraphraser Philippe Descola qui, lui-même, milite en faveur de nouvelles formes de « mondiation »25. Ce que ces tatônnements ont en commun est ce qu’il est convenu d’appeler une « quête de sens » en vue de pallier la non-signifiance du « système » qui, bien que moribond, reste encore prédominant. Il est, selon nous, du devoir impératif des sémioticiens qu’ils s’emparent collectivement de cette question et contribuent activement à ce mouvement qui s’efforce, tant bien que mal, de configurer un futur désirable et mobilisateur parce que porteur de sens.

Or le modèle interactionnel qui nous a permis de rendre compte de l’état du monde actuel et de le situer dans la zone de la non-signifiance prévoit le dépassement des termes qui constituent cette zone (à savoir la programmation et l’accident), pour accéder à leurs sub-contraires, manipulation et ajustement, c’est-à-dire à l’une ou l’autre des formes possibles de la signifiance.

24 Voir par exemple J. Fontanille, « La coopérative, alternative sémiotique et politique. Des organisations comme laboratoires de sémiotique expérimentale », Actes Sémiotiques, 122, 2019, et « La coopérative et son territoire », Terres de sens, Limoges, Pulim, 2018 ; R. Pellerey, « Una dinamica organizzazionale dissidente », Actes Sémiotiques, 122, 2019, et « Corpi nel bosco », Acta Semiotica, I, 2, 2021 ; Cl. Calame, Avenir de la planète et urgence climatique. Au-delà de l’opposition nature / culture, Fécamp, Lignes, 2015.


25 Voir par exemple La composition des mondes, Paris, Flammarion, 2014, ou son ouvrage en collaboration avec A. Pignocchi, Ethnographie des mondes à venir, Paris, Seuil, 2022.

Dans un résumé inédit de son intervention au colloque international Metamind en 2014, Eric Landowski proposait la schématisation suivante :

 

Au monde in-sensé du Chaos, il opposait celui du Logos « où ce qui adviendra aura de la signification, une signification convenue et révocable ». Parallèlement, à la régularité insignifiante du Cosmos, il opposait, sous le nom d’Oikos (terme qui donne éco-nomie, mais aussi éco-logie), « un univers dans lequel ce qui adviendra fera sens, un univers peuplé d’interactants (humains ou non) capables de créer du sens et de la valeur en s’ajustant les uns aux autres »26. D’un côté, en passant de « cosmos » à « oikos », il s’agit de rompre avec ce que nous avons appelé le « système » ; de l’autre, en allant de « chaos » à « logos », de surmonter les conséquences absurdes qu’il a engendrées. D’un côté comme de l’autre, les sémioticiens sont tout à fait à même de penser ce changement de paradigme et de l’accompagner en le justifiant (sémiotiquement) en vue de faire émerger le nouveau.

26 E. Landowski, « Ni cosmos ni chaos — pour une écologie du sens », résumé inédit, Metamind Conference, Riga, Latvian Academy of Culture, 2014.

Nous sommes en effet fermement persuadé que

la rigueur « scientifique » [de la sémiotique], loin d’exiger la mise en suspens de toute visée politique comme le prônent beaucoup d’apprentis épistémologues, peut, ainsi que l’écrit Landowski, se mettre efficacement au service de grandes causes sociétales et leur servir de support, jusqu’à se traduire sous la forme d’un militantisme sémio-politique éclairé.27

27 « Politiques de la sémiotique », art. cit., p. 12.

Et de même, fidèle disciple de Jean-Marie Floch, nous faisons nôtre cette affirmation de sa part :

La sémiotique peut aussi aider à produire du sens. (…) Participer à l’élaboration de projets sociaux, économiques, voire industriels, intervenir dans la définition, le choix et la réalisation de stratégies culturelles, politiques ou commerciales, prendre en charge la conception et l’animation de formations professionnelles, autant d’interventions que des sémioticiens peuvent assurer individuellement ou collectivement, dès lors qu’ils estiment pouvoir concilier les contraintes de leurs activitiés de chercheurs, d’enseignants ou de consultants et les exigences étiques propres à toute entreprise scientifique.28

28 « Sémiotique plastique et communication publicitaire », Petites mythologies de l’œil et de l’esprit, Paris-Amsterdam, Hadès-Benjamins, 1985, pp. 139-140 (souligné par nous).

Plus de trois décennies séparent ces deux citations. Entre temps, le monde a connu les changements que nous venons de décrire mais la discipline, elle, ne s’est pas pour autant imposée ni diffusée largement. La compétence sémiotique ne fait toujours pas partie de l’équipement modal qui pourtant, à côté de compétences spécialisées relevant des divers domaines d’activité, serait nécessaire à la construction du sens auquel la jeune génération aspire. Or, si on en croit ce que rapportent ses collaborateurs parmi les plus proches, Greimas « ne cessait de répéter (…) que pour pratiquer la sémiotique avec quelque crédibilité il faut disposer de deux compétences à parts égales : une compétence “disciplinaire” dans un domaine bien identifié et bien maîtrisé en tant que tel, et une compétence sémiotique (ou sémiologique) »29.

2.1. Des problèmes d’intersection et de diffusion

Etant donné que l’état actuel de la sémiotique différe grandement d’un pays à l’autre, nous ne saurions prétendre en avoir une vue à la fois globale et détaillée. Nous nous limiterons par conséquent au cas de la France, sachant toutefois qu’il n’est pas exclu que ce que nous allons en dire s’applique aussi ailleurs.

En France, la sémiotique en tant qu’« institution »30 se scinde en deux champs relativement distincts, tant par le type d’acteurs que par les instruments qu’on y utilise et les buts qu’on y poursuit. On distingue d’abord un champ strictement restreint où s’élabore une « sémiotique pour sémioticiens » et où le (méta)langage et la terminologie adoptés manifestent une identité spécifique et contribuent à construire un fort sentiment d’appartenance. Dans ce champ, les interactions jouent en circuit fermé. Les sémioticiens n’y ont pour « clients » (et simultanément, pour « concurrents » directs) que les autres sémioticiens. Et on a affaire d’autre part à un champ relativement élargi où se pratique et se diffuse une sémiotique dont la vocation est de servir d’auxiliaire (Greimas, on le sait, souhaitait que la discipline remplisse, entre autres, une « fonction ancillaire, la plus noble »31). Là, le type d’interaction à l’œuvre met les sémioticiens en contact avec des spécialistes, professionnels confirmés ou apprentis, de disciplines souvent assez éloignées des sciences du langage, qu’il s’agissse d’autres disciplines scientifiques ou de domaines spécifiques, par exemple de type journalistique, juridique ou managérial, voire artistique, comme le design ou l’architecture. Landowski décrit les acteurs de ce second champ comme « de petites compagnies de voltigeurs très agiles qui, descendant de la tour d’ivoire où s’élabore en secret une sémiotique soucieuse uniquement d’elle-même, n’hésitent pas à se “pencher” sur la société “telle qu’elle est” »32. C’est cette sémiotique à valeur pratique que Floch qualifiait de « sémiotique d’usage » et dont il était le défenseur. « Pas de théorie qui ne s’éprouve dans une pratique », écrivait-il souvent33.

L’un des principaux problèmes dont souffre la sémiotique française est que la majorité des sémioticiens du cercle restreint voient d’un assez mauvais œil que leur discipline soit réduite au statut de science auxiliaire. Bien que certains, prétendant le contraire, s’adonnent à une certaine « interdisciplinarité », leurs travaux sont en général ignorés des spécialistes des domaines extérieurs ainsi investis et restent dans la plupart des cas lettre morte. Il en résulte que l’ensemble du champ élargi pâtit d’une forme implicite de discrédit, de marginalisation ou dans le meilleur des cas d’indifférence affichée. En outre, parmi ces praticiens, certains ne sont qu’occasionnels, voire improvisés ou auto-proclammés, et, bien qu’ils ne soient pas moins jargonnants que les acteurs du champ restreint, ils n’ont à leurs yeux qu’une très faible légitimité.

29 Cf. E. Landowski et J. Fontanille, « A quoi bon la sémiotique ? », Actes Sémiotiques, 118, 2015.


30 Les guillemets signalent que depuis 2013 la sémiotique ne fait plus partie, institutionnellement, de la liste des diplômes proposés dans l’enseignement supérieur mais n’est considérée que comme une sous-branche des Sciences du langage, dont Linguistique et phonétique générales constituent le tronc. « La sémiotique n’a presque plus d’ancrage institutionnel entièrement autonome et visible en France. Au plan national, on ne trouve plus aucune équipe de recherche en sémiotique au CNRS, et toutes les équipes de sémiotique (Lyon, Limoges, Toulouse, Paris), parfois restreintes à un très petit noyau de chercheurs, appartiennent à des laboratoires pluridisciplinaires qui s’occupent aussi de bien d’autres programmes de recherches que ceux de la sémiotique ». J. Fontanille, « Nouvelles conversations », Alfa, 59, 3, 2015, p. 608.


31 A.J. Greimas, « Observations épistémologiques », Actes Sémiotiques-Documents, V, 50, 1983, p. 7.


32 E. Landowski, « Régimes de sens et formes d’éducation », Colloque La sémiotique face aux défis sociétaux du XXIe siècle, Limoges, 2015.


33 Cf. J.-M. Floch, « La sémiotique est une praxis », Cruzeiro semiótico, 10, 1989. Voir aussi « Lettre aux sémioticiens de la Terre Ferme », Actes Sémiotiques-Bulletin, IX, 37, 1986. Pour mémoire, ci-aprés la schématisation de son « axiologie de la consommation » la plus couramment adoptée, à laquelle nous ajoutons, en italiques, les caractérisations des types de sémiotiques ou de sémioticiens qu’évoque Floch dans ce dernier texte : https://actasemiotica.com/images/52023/petitimbert/2.jpg

Il en découle un deuxième problème, à savoir (pour paraphraser la théorie des ensembles) que l’intersection entre les deux champs est vide, ou presque. Rares sont les praticiens invités à participer aux séminaires, colloques, conférences, ateliers, etc., organisés par le cercle restreint, et d’ailleurs il est probable qu’ils n’y entendraient goutte. Inversement, rares sont les savants scholars qui, oubliant un moment les normes et les habitudes en vigueur dans l’entre-soi, osent s’aventurer en dehors de leur zone de confort pour diffuser leur savoir dans des circuits non conventionnels, en le « vulgarisant », c’est-à-dire en faisant l’effort de le rendre accessible aux non-initiés.

En troisième lieu, la plupart des développements et des concepts post-greimassiens inventés par les chercheurs du cercle restreint ne sont que très exceptionnellement repris par des membres du cercle élargi. Seuls quelques hardis autodidactes appartenant au second trouvent le courage de lire et la patience de s’efforcer de comprendre les productions scientifiques rédigées par les membres du premier. Il se trouve en effet que l’idiolecte (qualifié, souvent abusivement, de métalangage) développé par l’establishment reste totalement hermétique, si ce n’est volontairement ésotérique, à tout étranger au club. L’absence quasi totale d’écho de ces avancées en dehors du cercle des amateurs de raffinements épistémologiques, d’abstractions quasi-métaphysiques, de réflexions hors sol et de ratiocinations théoriques témoigne du peu d’efforts déployés par les « sémioticiens de haut vol » pour rendre la discipline accessible et la promouvoir auprès des profanes ou des novices, quelle que soit leur bonne volonté. Déjà en 2015, dans un entretien accordé à une revue brésilienne, Jacques Fontanille reconnaissait que, collectivement, « nous [les scholars] avons perdu le sens de la falsification. Donc nous pérorons, sans nous soucier de donner prise à quelque vérification que ce soit, comme au bon vieux temps de la glose médiévale »34. De même, il reconnaissait qu’à titre personnel, il n’avait pas « l’angoisse de l’incompréhension »,

34 « Nouvelles conversations avec Jacques Fontanille », art. cit., p. 631 (souligné par nous).

parce que l’incompréhension est la règle de base : c’est sur cette incompréhension que chaque lecteur construira sa propre appropriation du livre, une appropriation nécessairement partielle et personnelle, qui est fonction des intérêts et des capacités du moment. Il vaut toujours mieux que la première impression du lecteur soit l’incompréhension : s’il a d’emblée l’impression de tout saisir, il ne fera jamais l’effort de comprendre, et il ne fera probablement pas grand chose avec ce livre.35

35 Ibid., p. 622 (souligné par nous).

Le paradoxe de la sémiotique se résume au hiatus entre la quête d’intelligibilité des phénomènes ou des objets qu’elle analyse et l’inintelligibilité des résultats auxquels elle aboutit ! Nous avons déjà développé et approfondi cette question ailleurs et ne pouvons que renvoyer le lecteur à ce travail36.

Un quatrième problème résulte de la compétition interne au sein du champ restreint. L’existence des courants dits interprétatif, morphodynamique, tensif, subjectal, modulaire, ethno-sémiotique ou socio-sémiotique, à la fois complémentaires en raison de leur ancrage greimassien plus ou moins profond, et parfois concurrents du fait de leurs options théoriques respectives, témoigne du fait, en lui-même admis et globalement positif, que la sémiotique n’est pas achevée mais reste un projet en construction (une discipline « à vocation scientifique », disait Greimas), mais aussi du fait que se sont développées en son sein des obédiences divergentes, pour ne pas dire des « chapelles », avec leurs controverses, leurs figures de proue et leurs affidés37. Il s’ensuit que, vu de l’extérieur, l’ensemble tend à donner l’impression d’une cacophonie et n’incite guère à s’aventurer sur un terrain qui ressemble plus à un labyrinthe, voire à un champ de mines, qu’à un parcours clairement balisé.

36 J.-P. Petitimbert, « La sémiotique à l’épreuve de l’écrit : régimes rédactionnels et intelligibilité », Actes Sémiotiques, 123, 2020, censuré. Rééd. in Galáxia, 44, 2020.


37 Soit sept principales tendances représentées respectivement par Fr. Rastier, J. Petitot, J. Fontanille et Cl. Zilberberg, J.-Cl. Coquet, J. Geninasca, Fr. Marsciani et E. Landowski, si on s’en tient à la liste retenue pour le dossier des Actes Sémiotiques (120, 2017) commémorant le centenaire de la naissance de Greimas.

D’où, en dernier lieu, le fait qu’une partie du champ élargi ait tendance à aller puiser à d’autres sources, d’accès plus facile, dans des disciplines connexes ou périphériques, telles, en particulier, les « Sciences de l’Information et de la Communication » (les SIC, aussi désignées sous le diminutif d’« infocom »). Là se côtoient, s’interpénètrent, voire se mésinterprètent et se confondent entre eux des fragments, des bribes de sémiotique greimassienne, de sémiologie à la Barthes ou à la Peninou, de linguistique jakobsonnienne, de théories de l’information à la Shannon et Weaver, de sémiotique triadique peircienne ou à la Umberto Eco, de médiologie à la Régis Debray, de sociologie maffesolienne, de notions tirées des Cultural Studies à l’anglo-saxonne (dont le pluriel laisse suspecter l’hétérogénéité et le flou méthodologique), etc., dans un brouet qui, assaisonné d’un lexique « un peu baroque, relativement hermétique mais fleuri et prêtant à une lecture “plurielle” »38, donne au tout des allures de crédibilité scientifique.

38 E. Landowski, « Le cercle sémiotique de Greimas », Cadernos de Semiótica Aplicada, 13, 1, 2015, p. 34.

Le résultat est que dans l’un comme l’autre champ — restreint comme élargi — la sémiotique française est sinon tout à fait morte du moins dans un état d’agonie très avancé et que dans de telles conditions ses propositions ne peuvent ni infuser la société ni participer autrement que sous forme de flatus vocis au concert des sciences sociales — qui, elles au contraire, sont largement reconnues et enseignées, font des émules et ont souvent voix au chapitre dans les médias de masse, que ce soit dans la presse ou sur les plateaux de télévision. Soit, à titre d’exemple, la notion de « valeur travail ». Actuellement, en France, elle est sur toutes les lèvres et sous toutes les plumes à l’occasion du virulent débat sur la réforme du système de retraites voulue par le gouvernement, réforme qui, de fait, pose une véritable question de sens, celle de notre relation au travail. Économistes, sociologues, politologues, historiens et philosophes sont invités à disserter sans fin sur cette « valeur », comme si son contenu allait de soi. Comme s’il n’était nullement nécessaire de distinguer et de définir, par exemple, la nature des programmes (d’usage ou de base) à l’intérieur desquels elle prend place, ou les bases des axiologies qui en sous-tendent les diverses mises en récit. Bref, comme s’il était supeflu d’en analyser rigoureusement le sens et d’en mettre au jour le ou les mode(s) de production. Hélas, la sémiotique reste totalement absente du débat, alors qu’elle pourrait (et même devrait) l’éclairer pour ne plus laisser planer un flou qui donne libre cours à tous les fantasmes, de quelque bord idéologique ou politique qu’ils proviennent.

Or, pour en revenir aux jeunes de la génération montante en quête de sens, c’est bien à eux, à l’aube de leur carrière, que se pose la question du sens du travail. N’est-ce pas à eux que la sémiotique devrait s’adresser en particulier et en priorité ?

2.2. Une école de sens critique et de liberté

La sémiotique n’est pas un simple jeu de l’esprit, une forme d’art pour l’art. Elle a une véritable utilité, tant individuelle que collective. Non seulement elle peut mais elle doit remplir une fonction sociale essentielle : aiguiser le regard, affûter le sens critique, défier la domination du « prêt-à-penser » quotidiennement déversé par les médias dits d’information (et pas seulement par les réseaux sociaux), permettre de dépasser l’évidence ou de déjouer ce qui nous est présenté comme tel. Tout cela en prenant le recul qui fait passer de la croyance aveugle et sans fondement à une connaissance éclairée et émancipatrice.

L’aptitude de la sémiotique à produire, à partir des « observables » (du niveau de la manifestation), des modèles suffisamment abstraits pour avoir une portée générale autorise la transposition de ses méthodes d’un objet à un autre, d’un univers à un autre, d’un langage à un autre. Qu’on pense seulement aux travaux de Jean-Marie Floch, par exemple sur l’opposition entre classique et baroque, et à la formalisation qu’il en a tirée à partir des réflexions de Wölfflin : il a pu en montrer la pertinence en matière de photographie (Stieglitz, Strand), de logo bancaire (Crédit du Nord), de communication publicitaire (PUF), et même de mode vestimentaire (Chanel)39. De même, son « axiologie de la consommation » lui a permis de rendre compte des différentes pratiques de la photographie, des divers types de sémioticiens, de la communication publicitaire d’une chaîne de radio ou de titres de la presse quotidienne, des attentes des chalands d’un hypermarché et de la conception de son architecture intérieure, ou encore des discours de secteurs marchands entiers (automobile, mobilier)40. Plus près de nous, nous ne pouvons pas ne pas penser au modèle des régimes de sens et d’interaction mis en place par Eric Landowski puis complexifié et approfondi par de nombreux socio-sémioticiens41. Comme l’ont montré leurs travaux publiés notamment ici-même ou dans les anciens Actes Sémiotiques, ce modèle permet de rendre compte de la plus grande diversité de pratiques sociales, de situations de la vie quotidienne, d’expériences, de faits sociétaux dans des champs d’activités extrêmement variés. Mentionnons en vrac : la politique, la recherche scientifique, l’économie marchande, les cultes religieux et la mystique, l’urbanisme, l’éducation, les formes du goût, les styles de vie, les rapports au temps, les conceptions de l’espace, la rhythmique, l’art du piège, la communication commerciale, les stratégies marketing, le management organisationnel, la gestion de la santé et de la sécurité publiques, l’esthétique, le design d’objets... et la pratique même de la sémiotique.

39 Voir respectivement Les formes de l’empreinte, Périgueux, Fanlac, 1986, pp. 85-112 ; Sémiotique, marketing et communication, Paris, P.U.F., 1990, pp. 49-81 et 153-181 ; Identités visuelles, Paris, P.U.F., 1995, pp. 107-144.


40 Les formes de l’empreinte, op. cit., pp. 15-18 ; « Lettre aux sémioticiens de la Terre Ferme », art. cit. ; « Paraître / s’afficher », in Ph. Benoît et D. Truchot (éds.), Affiches de pub 1983-1985, Paris, Le Chêne, 1986 ; « La génération d’un espace commercial », Actes sémiotiques-Documents, IX, 87, 1987 ; « J’aime, j’aime, j’aime… » et « L’image pour troubler les lettrés », Sémiotique, marketing et communication, op. cit. ; « La liberté et le maintien » et « La maison d’Épicure », Identités visuelles, op. cit.


41 A défaut de pouvoir les citer tous, nous renvoyons à tous les précédents numéros d’Acta Semiotica.

On le voit, ce que l’organon mis au point par la sémiotique a d’exceptionnel à bien des égards, c’est qu’il permet de traiter dans un même cadre conceptuel rigoureux des objets et des problèmes qui relèvent de sphères réputées distinctes et étanches entre elles. Une telle capacité ne peut qu’aider à décloisonner les champs, à dépasser l’acquis, à s’affranchir des idées préconçues, à développer par soi-même une pensée autonome armée non seulement d’un savoir et d’un savoir-faire experts, mais aussi et surtout d’un pouvoir et d’un pouvoir-faire libérateurs. Ces compétences, la jeune génération va devoir les maîtriser si elle fait effectivement le choix de préciser les contours du paradigme émergent destiné à précipiter la chute de l’ancien avec son cortège de non-sens. Car en l’espèce, contrairement à ce que disait Albert Camus à propos de sa génération lorsqu’il reçut le prix Nobel, en 1957, la tâche de la génération actuelle ne consistera pas à « empêcher que le monde ne se défasse » (en continuant à produire des innovations « curatives » à la Francis Bacon), mais à le refaire, à le réinventer en proposant et en mettant en œuvre des voies alternatives qui lui redonneront le sens et la valeur qui lui font à présent défaut42. Et c’est bien à la sémiotique telle que Greimas la concevait que peut revenir en grande partie cette mission :

42 A. Camus, Discours de Suède, Paris, Gallimard, 1958, 26e éd., p. 17.

La sémiotique telle que je la professe est justement une sémiotique qui serait une axiologie, une théorie, un enseignement des valeurs. (…) Il faut arriver à se sortir de cette période d’insignifiance, c’est-à-dire d’aplatissement des valeurs.43

En effet, au-delà de la description des états de choses existants, pratiquer la sémiotique consiste à s’exercer à les dépasser, à en changer le sens par rapport à celui qui est culturellement dominant, ou plutôt à le refonder sur des bases nouvelles, moyennant non pas une inspiration créative débridée mais en s’appuyant sur un raisonnement et une argumentation sémiotiquement pertinents. Ce n’est qu’à ce prix que les sociétés futures pourront (si la sixième extinction de masse ou la crétinisation par les robots ne les ont pas éradiquées d’ici-là) bâtir un nouvel Oikos au sein duquel elles et leur environnement auront trouvé une forme harmonieuse d’accomplissement mutuel et pu établir un nouveau Logos dont le principe de production et d’échange d’objets ne sera plus déséquilibré par la rapacité de quelques-uns au détriment de la majorité.

43 A.J. Greimas, « La France est gagnée par l’“insignifiance” », Le Monde, 22 octobre 1991.

2.3. Un cercle vicieux

Bien que, comme le relève Jacques Fontanille, « la sémiotique ne constitue pas une discipline d’enseignement scolaire à part entie?re »44 tant il est vrai que son degré d’abstraction est sans doute trop élevé pour les petites classes (de fait, la plupart des tentatives ponctuelles pour l’introduire à l’école furent éphémères, marginales et finirent par avorter), elle n’en reste pas moins une méthode qui peut être enseignée au niveau des études supérieures. On peut en fait parfaitement imaginer qu’elle fasse partie, au moins à titre d’initiation ou de sensibilisation, de tout cursus académique spécialisé. Notre expérience en la matière nous incite à fortement militer en faveur de cette hypothèse.

La contre-argumentation souvent avancée pour écarter cette idée de mobilisation des savoirs et des savoir-faire sémiotiques sur des terrains d’apprentissage qui lui sont a priori étrangers consiste à dire qu’il conviendrait d’abord de les reconfigurer didactiquement pour les rendre transmissibles — effort de « traduction » sacrilège auquel les caciques du cercle restreint ont tendance à s’opposer. A quoi s’ajouterait, comme seconde condition de ce type d’intervention, la nécessité pour l’enseignant de maîtriser aussi la matière principale de la filière considérée. Nous soutenons au contraire que ni l’un ni l’autre de ces deux obstacles ne saurait être définitivement indépassable.

44 « Sémiotique discursive et enseignement : l’éducation comme un défi politique et social. Entretien », Acta Semiotica et Linguistica, 26, 2, 2021, p. 177. Rappelons que l’auteur a fait partie en tant que conseiller, puis comme directeur, du cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (mai 2012 - avril 2014).

Pour ce qui est du premier, la plupart des enseignants-chercheurs en sémiotique étant, comme le souligne l’intitulé de leur poste, avant tout des enseignants, la pédagogie fait en principe partie de leur plus élémentaire compétence professionnelle. On ne comprend donc pas en quoi une reconfiguration didactique poserait problème, même si tous les étudiants n’ont pas un profil d’amateurs de littérature. Sa longue expérience avait d’ailleurs conduit Jean-Marie Floch à observer « que dans l’enseignement [la sémiotique] a une meilleure prise sur les élèves des séries scientifiques que sur les littéraires »45. A la lumière de notre propre expérience, nous sommes tout à fait de cet avis. Dans les masters où nous intervenons, nous avons amené à la sémiotique un nombre important d’ingénieurs46, de pharmaciens ou de biologistes, y compris un gemmologue et un volcanologue qui, tous deux, ont choisi de traiter sémiotiquement les problématiques spécifiques de leur mémoire de fin d’études.

45 « La sémiotique est une praxis », art. cit., p. 118.


46 Voir, dans ce numéro, l’article de Marin Dargent, ingénieur textile de formation qui a découvert l’existence de la sémiotique il y a seulement quelques mois.

Quant au second contre-argument, il nous semble relever du réflexe défensif de prudence qui s’est développé en réaction à la (mauvaise) réputation du structuralisme en général et de la sémiotique en particulier. La pertinence transversale de la discipline a longtemps soulevé de vives critiques et de nombreux soupçons de prétention hégémonique ou impérialiste : une approche qui se prétend en mesure d’embrasser l’ensemble des domaines de la connaissance47 ! Mais s’abriter derrière cette sorte de « principe de précaution » revient à négliger la capacité des étudiants à établir par eux-mêmes des ponts, quelque imparfaits ou gauches qu’ils soient dans un premier temps, entre les modèles que la sémiotique a mis au point et les concepts et les modèles de leur propre champ d’expertise.

47 Cf. notamment Y. Jeanneret, « La prétention de la sémiotique dans la communication », Semen, 23, 2007.

Bien plus, étant donné qu’à l’instar du rire, le sens, en tant que propriété commune à toutes les activités humaines, sociales ou individuelles, pragmatiques ou cognitives, techniques ou artistiques, est « le propre de l’homme », il n’y a aucune raison pour que son étude soit cantonnée dans les seules facultés des lettres, ni pour que son enseignement soit réduit à la seule approche textualiste enseignée dans la plupart des manuels. Dévoiler, côté enseignants, et découvrir, côté étudiants — « matheux » compris —, les logiques immanentes aux procès de production du sens ne peut être qu’un horizon enthousiasmant et intellectuellement stimulant pour peu qu’on soit curieux et avide d’apprendre. Analyse de la forme, le regard sémiotique permet de dépasser la variété des substances (du contenu et de l’expression) propres aux divers champs dont il prend les manifestations comme objets d’étude. Sa vertu est de rendre compte des relations invariantes qui caractérisent chacun des plans qui composent ces objets. Une fois cette spécificité comprise, ce niveau d’abstraction analytique admis, et une fois les divers modèles (constitutionnel, actantiel, etc.) intégrés par les étudiants, ils peuvent, certes avec les inévitables balbutiements des néophytes, s’exercer à « sémiotiser » les objets de leur choix, et par la suite, pour certains, y prendre goût et approfondir leurs connaissances en étoffant leur expérience.

Mais encore une fois, si seuls les littéraires, à l’exclusion des autres segments de la jeune génération, continuent de bénéficier de cette ouverture à la sémiotique, il n’y aura que très peu de chance qu’elle puisse un jour se désenclaver. La double compétence prônée par Greimas pour donner à la sémiotique quelque crédibilité resterait alors au stade de vœu pieux.

3. Que faire ?

A la suite de ce double constat pessimiste, à la fois sur l’état du monde et sur celui de la sémiotique (française), il est temps d’envisager leur avenir sous un jour plus souriant. Voyons donc comment, en s’attachant à « mordre sur le réel » (autre expression de Greimas), la discipline peut jouer un rôle dans la construction du paradigme émergent.

3.1. Redescendre sur terre

A cet égard, il nous semble que c’est une fois de plus Jean-Marie Floch qui, en se situant à l’intersection des deux champs que nous décrivions, l’un restreint, l’autre élargi, a ouvert la voie pour une sémiotique à la fois rigoureuse dans son mode de traitement d’objets de sens concrets, et fructueuse aussi bien en termes de recherche que d’avancées théoriques. Pour reprendre la typologie des sémioticiens qu’il proposait en 1986, son approche embrassait à parts égales les deux pôles de la déixis positive de son modèle : en même temps qu’il développait une « sémiotique d’usage » exaltant la valeur utilitaire de la discipline, il voulait construire (conformément à l’idéologie qualifiée par lui de « critique ») une sémiotique « conçue comme un objet bien fait » : ce qu’il appelait l’ars semiotica48.

48 « Lettre aux sémioticiens de la Terre Ferme », art. cit., n. 64. Sur le poste « critique » de sa typologie, voir aussi J.-P. Petitimbert, « Lecture critique et (re)valorisation sémiotique de la valeur “critique” chez J.-M. Floch », Acta Semiotica, II, 3, 2022.

Il ne s’agissait donc pas pour lui de se contenter (à l’instar des sémioticiens du champ élargi) de mettre les concepts sémiotiques à l’épreuve des choses de la vie quotidienne, comme pourrait le laisser entendre sa formule « pas de théorie qui ne s’éprouve dans une pratique ». Il s’agissait aussi, et peut-être surtout, en renversant sa proposition, d’enrichir la théorie à partir d’analyses d’objets tirés de domaines variés de la réalité sociale. Autrement dit, la pratique flochienne de la sémiotique est une socio-sémiotique aux antipodes de la sémiotique « hors sol » pratiquée par les acteurs du champ restreint, tenants d’une sémiotique utopique, auto-référentielle, uniquement soucieuse d’elle-même et par suite pratiquement stérile. Selon la formule de Landowski (grâce à qui, d’ailleurs, la « socio-sémiotique » a largement évolué depuis), la face « savante » de la discipline (son métalangage, ses modèles, etc.) ne saurait exister sans sa face complémentaire, à savoir « une pratique du sens en prise sur le monde et engagée dans la vie », telle qu’en fin de compte « le “savant” rejoigne le “vivant”, le vital et le vécu »49.

49 « Politiques de la sémiotique », art. cit., p. 23.

Mais là n’est pas la seule forme d’exemplarité donnée par Floch. Il avait aussi le souci de partager ses découvertes non seulement avec ses pairs mais aussi avec le plus grand nombre. C’est pourquoi, par exemple, son premier ouvrage de sémiotique d’usage (Sémiotique, marketing et communication), bien que publié par une maison d’édition « savante » (les Presses Universitaires de France), était écrit « à sauts et à gambades »50, dans une alternance d’analyses rigoureuses et de passages pédagogiques destinés aux néophytes. On comprend dès lors que cet ouvrage soit rapidement devenu un titre de référence et un quasi-manuel de sémiotique. Bientôt traduit en plusieurs langues, il a permis à la discipline de se répandre largement en dehors du cercle académique et de convaincre bon nombre de professionnels du marketing au sens large (marketeurs, publicitaires, designers, professionnels des études de marché, etc.), dont certains sont ensuite devenus des experts, voire ont rejoint des équipes de recherche, en France comme à l’étranger.

50 Titre de l’avertissement au lecteur.

De même, Floch n’hésitait ni à participer à des rencontres de non-sémioticiens, tels les colloques de l’Association Nationale pour la Valorisation Interdisciplinaire de la recherche en sciences de l’homme et de la société auprès des Entreprises (ANVIE) ou les journées de l’Institut de Recherches et d’Études Publicitaires (IREP), ni à écrire pour des revues spécialisées dans des domaines étrangers aux sciences du langage51. De la sorte, sans craindre la dilution de l’appareil théorique de la discipline dans une vulgarisation simpliste, il a largement participé à sa diffusion et démontré la pertinence de ses méthodes sur toutes sortes d’objets et de pratiques sociales. Ayant toujours considéré la sémiotique comme un mode de connaissance plutôt que comme une collection de concepts, en même temps qu’elle lui permettait de satisfaire son insatiable curiosité, il avait à cœur de contribuer à la construire — et non, comme on dit, de l’« appliquer », terme qu’il récusait fermement :

Je n’estime pas « appliquer » la sémiotique pour la bonne et simple raison que pour moi la sémiotique n’est pas faite (…) : donc je n’« applique » rien ! (…) Les difficultés qui surgissent au cours de l’analyse conduisent parfois à se demander comment on pourrait « sémiotiser » tel ou tel problème, pour lequel on ne dispose pas d’instrument, comment on pourrrait le construire comme objet sémiotique, ou encore, comme cela arrive souvent, comment on pourrait approfondir des modèles existants.52

51 Entre autres la Revue d’esthétique, Stratégies (magazine sur la publicité), Psychiatrie française, Recherches et applications en marketing, Décisions marketing, Humoresques (revue de l’association pour le développement des recherches sur le Comique, le Rire et l’Humour).


52 « La sémiotique est une praxis », art. cit., pp. 114 et 116.

Par ailleurs, il convient aussi de souligner, car c’est loin d’être négligeable, que Floch, tout en faisant ainsi progresser les connaissances sémiotiques, ne se gargarisait pas de jargon. « Sémioticien au ton libre — comme le décrit Landowski —, il ne se soucie pas de donner des gages d’orthodoxie par l’emploi du vocabulaire canonique mais il ne cherche pas non plus à imposer une terminologie alternative de son cru »53. Le régime rédactionnel adopté pour la plupart de ses textes, que nous avons ailleurs qualifié d’atticisme54, se caractérise par la limpidité de son écriture et par sa parfaite intelligibilité.

C’est donc, croyons-nous, en s’inspirant de l’exemple donné par Floch, qui n’a malheureusement pas été suivi par grand monde à notre connaissance, que la sémiotique peut sortir de l’abîme d’inintelligibilité dans lequel elle est tombée et se libérer du ghetto dans lequel elle s’est elle-même enfermée. Dans cet esprit, il conviendrait en somme, non pas de « refaire » la sémiotique (formule une fois employée, dit-on, par Greimas, en privé) — en tout cas pas en y incorporant par facilité un vocabulaire ou des scénarios tirés des travaux sybillins de tel ou tel théoricien momentanément en vogue — mais d’opérer, de l’intérieur, une véritable refondation et de définir, vis-à-vis de l’extérieur, les contours d’une vraie diplomatie.

53 « Régimes de sens et styles de vie », Actes Sémiotiques, 115, 2012.


54 « La sémiotique à l’épreuve de l’écrit », art. cit., pp. 41-42.

3.2. Réinventer l’enseignement

Il n’aura échappé à personne que le modèle actuellement en place dans l’enseignement supérieur est entièrement hérité de l’« ancien monde ». Les problèmes qu’il rencontre proviennent du fait qu’il relève du paradigme en déclin et que, face à la crise, il ne trouve d’autre réponse que de chercher à se maintenir tel quel alors qu’autour de lui tout a changé. Dans les amphithéâtres ou les salles de classe, quel enseignant un peu expérimenté peut-il nier avoir constaté des différences abyssales entre le profil et le comportement des étudiants d’il y a vingt ou trente ans et ceux d’aujourd’hui ? La génération Z, première à être « digital native », n’a rien à voir avec les précédentes : nombre d’études conduites auprès de cette population montrent qu’elle est nourrie de divertissement plutôt que de culture générale, avec pour corollaire une phobie de l’ennui, qu’elle est peu sensible à l’écrit mais beaucoup plus à l’image (fixe ou animée) réputée plus rapide et plus simple à comprendre, qu’elle est dotée d’une capacité d’attention et de concentration plus faible que ses aînés, qu’elle est rétive aux institutions et à l’autorité, encline à remettre en doute les dogmes, perméable aux idées non conventionnelles (y compris, hélas, les « vérités alternatives » et les théories complotistes), et enfin consciente de l’absurdité du système, donc avide de lui redonner un sens. Mais aussi qu’elle est angoissée par le poids des responsabilités qu’elle va devoir assumer : rien moins que sauver les conditions de la vie humaine, sinon de la vie même, en résolvant d’immenses problèmes entièrement nouveaux et qui se posent à l’échelle mondiale55.

55 Voir par exemple A. Muxel, Observatoire de la génération Z, IRSEM, Ministère des Armées, étude 89, octobre 2021.

Une rapide analyse des forces et des faiblesses de la sémiotique, ainsi que des menaces qui pèsent sur elle comme des opportunités à saisir56, permet d’établir qu’elle a toutes les chances de rencontrer un écho favorable auprès d’un tel public. Si la menace essentielle qui pèse sur notre discipline est sa disparition pure et simple, sa principale force réside dans le fait même que la question du sens soit au cœur de son projet, et que si elle s’est développée, c’est précisément dans le but de rendre compte du sens, ou de le construire — ce qui correspond en tout point aux aspirations de la cohorte démographique qui nous intéresse. Quant à l’opportunité qui s’offre, et que les sémioticiens devraient mieux exploiter, elle consiste (ou consisterait) à mettre à profit son caractère à la fois nouveau et « alternatif » — nouveau en ce sens que non seulement elle est inconnue du grand public mais aussi qu’il s’agit d’une discipline très jeune (sous sa forme actuelle, elle date d’il y a à peine soixante ans) ; « alternatif » en raison de l’aspect souvent contre-intuitif de sa méthode, de sa logique et de ses raisonnements (présupposition, commutation, négativité, générativité, non-conformité des plans du langage, etc.). Sa principale faiblesse, dirimante jusqu’à présent, se ramène à l’impénétrable obscurité de sa terminologie, souvent sciemment aggravée dans des productions qui virent au verbiage auto-référentiel. Ce n’est pas irrémédiable ! Un métalangage spécifique est à l’évidence nécessaire, mais à l’instar de nombreux socio-sémioticiens on peut tout à fait, que ce soit oralement ou par écrit, en faire un usage strictement limité au nécessaire, suffisant mais pas plus (et si possible non redondant57).

56 « Strengths, Weaknesses, Opportunities, Threats » (SWOT), grille d’analyse classique en stratégie.


57 Notamment en évitant la prolifération de métatermes concurrents pour une seule et même notion, tels « style de vie » et « forme de vie », ou plus récemment la version latourienne de « mode d’existence ».

A l’occasion du colloque organisé en 2015 sur le thème de « la sémiotique face aux grands défis sociétaux du XXIe siècle », Landowski a proposé une modélisation des grands régimes éducatifs saisis du point de vue des interactions entre educator et educandum58. Si on extrapole son analyse à l’enseignement de la sémiotique, il ressort que ce sont essentiellement les régimes de la manipulation et de l’ajustement qui — au niveau stratégique des objectifs, au niveau tactique des méthodes et sur le plan épistémologique du statut des savoirs — devraient prévaloir dans les relations avec la présente génération d’étudiants. Il faudrait ne pas se contenter de fournir des connaissances utiles et de les mettre en pratique par des exercices astucieux conçus dans un esprit pragmatique (manipulation), mais aussi aider l’interlocuteur à s’épanouir individuellement, moyennant une approche ludique qui se fonde sur l’interactionnisme (ajustement).

L’occasion nous est ici donnée de rapporter rapidement une anecdote personnelle : le cours de sémiotique dont nous étions chargé à une époque étant optionnel dans le cadre d’une chaire consacrée au luxe, en début d’année nous demandions par voie de questionnaire aux étudiants inscrits d’expliquer ce qui les avait motivés à venir suivre trente heures d’une matière a priori assez éloignée de leur cursus. Nous nous souviendrons toujours de la réponse, exemplaire, de l’un d’eux. Verbatim : « Par curiosité, pour voir si ça peut être utile. Mais aussi par plaisir, pour me détendre : la sémiotique, c’est exotique ! ».

58 « Régimes de sens et formes d’éducation », art. cit.

Cette double motivation n’est pas sans rappeler, mutatis mutandis, celle que nous avons déjà relevée à propos des notions de Logos et d’Oikos. Qu’il s’agisse de concevoir et de pratiquer une manipulation ajustée ou un ajustement manipulatoire, la question reste ouverte. Mais en tout cas, si nous entendons pratiquer une sémiotique réellement engagée dans la vie et exercer un regard impliqué sur le devenir du collectif, c’est à nous, sémioticiens, d’imaginer les conditions pédagogiques concrètes d’une authentique transmission (et d’une large diffusion). Jusqu’à présent, du moins en France, la sémiotique s’est contentée de rester « la discipline académique qu’elle est devenue en se refermant sur ses obsessions d’Ecole (dite de Paris) »59. Au prix d’un minimum d’ouverture, sa pertinence face aux défis de ce siècle doit à l’avenir lui permettre d’émerger dans le concert des sciences sociales.

59 E. Landowski, « Petit manifeste sémiotique », Actes Sémiotiques, 120, 2017.

3.3. « Marketer » la sémiotique

Puisque le marketing a si bien su tirer parti des apports de la sémiotique, pourquoi ne pas imaginer, en sens inverse, qu’elle puisse à son tour tirer parti des méthodes ou des outils mis au point par le marketing ? Il y a là tout un arsenal d’instruments de pilotage stratégique tels que la segmentation et le ciblage, la notion de unique selling proposition (USP), le positionnement, le territoire et l’image de marque, etc. A bien y réfléchir, on peut même se demander si avec ses différentes « sous-marques » (ethno-sémiotique, socio-sémiotique, problématique tensive, etc.), la sémiotique ne s’est pas elle-même déjà consitutée en une « marque ombrelle » qui les abrite et les laisse cohabiter en se faisant concurrence entre elles tout en cultivant un « air de famille » (cas de figure fréquent sur les marchés de consommation courante).

Si tel est le cas, ou à tout le moins si on l’accepte en tant qu’hypothèse de travail, la marque possède des propriétés et des fonctions dont il pourrait être pertinent de chercher à doter la discipline. La première de ces fonctions de la marque se résume à rassembler autour d’elle une base, la plus large possible, de consommateurs — en l’espèce il s’agirait plutôt de sympathisants — qu’elle doit d’abord conquérir par la notoriété des engagements qu’elle prend et des promesses qu’elle formule, pour ensuite, et surtout, les fidéliser par sa persévérance et sa constance vis-à-vis des valeurs (ou, pour utiliser un mot éculé tant il est à la mode dans tous les domaines, de l’éthique) qu’elle incarne.

D’un point de vue strictement commercial, la fidélité à une marque (son taux de « fidèles », ou encore sa « part de marché ») est de loin sa propriété la plus importante en ce qu’elle permet d’en évaluer l’equity, autrement dit la valeur financière. A cet égard, Jean-Marie Floch, qui avait longuement étudié cette fonction de fidélisation, en était arrivé à la conclusion que la constance et la persévérance d’une marque, qui engendrent la fidélité de son public, ne sont pas affaire de répétition (de programmation en termes interactionnels) de signes de reconnaissance ou de codes d’identification que le temps sédimente sous le poids de l’habitude (et rend insignifiants), mais qu’elle tient au contraire, paradoxalement, à la capacité de la marque à s’en libérer, à « se désentartrer », à se dégager de l’épaisseur de ces strates accumulées60. Un tel dépassement suppose des remises en question, des renoncements, des abandons, le refus de la simple perpétuation de l’existant, sous peine d’étouffer ou de perdre son âme à force de ronronner et de se refermer sur soi-même. Nous donnions ailleurs l’exemple de la marque Apple qui, de « rebelle » à ses débuts (elle dénonçait alors le totalitarisme de son principal concurrent, IBM), a fini, faute de s’être interrogée sur elle-même et d’avoir mis en doute ses pratiques courantes, par devenir à son tour un « système » aux allures « totalitaires »61. En d’autres termes, à force de ne prendre aucun risque (il est vrai que les marketeurs ont une forte propension à être risk averse) — à ne plus oser oser —, une marque mal gérée court à sa perte.

60 J.-M. Floch, « Logiques de persuasion du consommateur et logiques de fidélisation du client », Cahiers de l’IREP, 1994. Cf. aussi J.-P. Petitimbert, « (Re)penser la marque à l’ère du “post-consumérisme” », Acta Semiotica, I, 2, 2021.


61 Cf. J.-P. Petitimbert, « Du bricolage comme principe de création », Acta Semiotica, II, 4, 2022.

N’est-ce pas précisément ce risque-là que court la sémiotique (française) ? Le risque de ne plus prendre de risque, enfermée dans son impénétrable mais rassurante « tour d’ivoire » où se répètent sans cesse des « codes de reconnaissance » qui la fossilisent et que nous avons déjà cités : sabir incompréhensible, ratiocination abstraite, casuistique épistémologique, arguties et péroraisons sans fin « comme au bon vieux temps de la glose médiévale », etc. Ne serait-il pas salutaire, à l’instar des marques bien gérées, de s’en dégager ? Le modèle interactionnel des régimes de sens, dès sa première mise au point, prévoyait des régimes de risque différenciés, qui se répartissent en deux « constellations » : celle de la prudence, « vertu chère aux manipulateurs comme aux programmateurs quel que soit leur domaine d’activité, recherche scientifique incluse », et celle de l’aventure, « à la fois plus éprouvante et plus hasardeuse »62.

62 E. Landowski, Les interactions risquées, op. cit., pp. 96-97.

En prenant le risque de renoncer à ce qu’elle pense être son territoire propre, en quittant la sécurité de ses rives bétonnées par l’habitude des abstractions « hors sol » et l’usage d’un idiolecte réservé — en abordant au contraire celles, certes plus mouvantes et plus floues, d’une implication concrète dans le siècle, la sémiotique greimassienne pourrait se refonder et se réorienter pour devenir une discipline en prise sur la vie, au même titre que les autres sciences sociales, et certainement digne de retrouver une place de choix parmi elles. Et le prix à payer n’est pas si exorbitant :

La rigueur d’une discipline et l’intégrité d’un chercheur, notait fort justement Paolo Demuru, ne se mesurent pas au niveau de difficulté de son (méta)langage, mais à sa capacité à traduire et à manier le cadre théorique et méthodologique disponible, en l’adaptant aux différents environnements et destinataires.63

63 « Dialogue. Profession sémioticien », Acta Semiotica, II, 4, 2022, p. 234 (notre trad.).

Quelques suggestions pratiques pour finir. Ne faudrait-il pas songer à écrire et publier, de temps à autres, des ouvrages destinés au grand public, sur des sujets d’actualité susceptibles de le captiver, rédigés dans un langage abordable ? Pourquoi pas, aussi, des articles de magazines ou de journaux (tribunes, billets d’humeur, critiques, chroniques, interviews, etc.) dans la même veine ? Comment par ailleurs ne pas réfléchir à une forme d’enseignement renouvelée, la moins aride et la plus concrète possible, présentant la sémiotique comme un mode de connaissance et de compréhension du monde, tous domaines confondus ? Cela pour des publics estudiantins ou professionnels variés et dans des filières les plus diversifiées possible. Pourquoi, aussi, négliger l’utilisation de tous les moyens de diffusion disponibles, y compris numériques (l’internet, les blogs, les vlogs, les forums, voire les réseaux sociaux), même s’il en coûte ! Voilà quelques idées simples, certainement pas encore assez audacieuses. Du moins pourraient-elles poser les bases d’une réorientation par laquelle le sémioticien, engagé dans une entreprise ajustée aux préoccupations de ses contemporains, s’accomplirait en déployant ses propres potentialités de « savant » tout en permettant désormais aussi à ses interlocuteurs de s’accomplir pleinement. Moyennant une interaction enfin devenue fructueuse entre sémioticiens et non-sémioticiens, ce serait sans doute commencer à produire un peu de ce sens inédit que notre époque attend.

Conclusion

Nous lisions récemment dans Le Monde, sous la plume de Roger-Pol Droit, que si

l’époque est difficile à vivre, elle est encore plus difficile à comprendre, dans la mesure où presque tous les partages et repères du monde ancien sont mis en cause. Les délimitations entre humains et animaux [la culture et la nature], humains et machines, masculin et féminin, sont brouillées ou estompées. Il faut ajouter, à ces frontières en voie de remaniement, celles distinguant le vrai du faux, le réel et le virtuel, le local et le global.64

64 R.-P. Droit, « Penser une époque de mutations », Le Monde des livres, 28 avril 2023.

Et nous nous étonnions qu’un tel homme de culture et d’expérience, à la fois philosophe et journaliste — et qui, ayant personnellement interviewé Greimas, est donc parfaitement au courant de l’existence de la sémiotique65 —, ne fasse aucune mention de notre discipline alors qu’elle est sans doute une des mieux placées pour éclairer la problématique d’intelligibilité qu’expose la suite de l’article cité ci-dessus.

65 Cf. R.-P. Droit, « Entretien avec A.J. Greimas. Une tradition de rigueur », Le Monde, 7 juin 1974.

Mehr Licht ! Oui, plus de lumière, donner toujours plus de lumière ! Pour aujourd’hui, et surtout pour demain ! C’est ce que la sémiotique devrait se donner comme raison d’exister (comme purpose, diraient les marketeurs à la mode, comme « engagement de marque », ou comme promesse) au lieu de rester obscure, impénétrable et élitiste comme elle l’est devenue en France. Non pas innover, mais faire progresser, redonner sens à la vie, rendre le futur un peu plus lumineux et contribuer à le construire. Voilà qui devrait enthousiasmer tous les sémioticiens de la planète ! Croire que la discipline peut être source de progrès pour tous ! Et si croire au progrès suppose de sacrifier du présent personnel au nom d’un futur collectif, n’hésitons pas à faire quelques sacrifices. Une fois encore, Jean-Marie Floch : « Sans doute l’avenir d’une telle sémiotique ne sera jamais très glorieux : elle paraîtra toujours trop ancillaire. Mais qu’importe pour ceux qui la savent vivace »66 !

66 Jean-Marie Floch, « L’image à quatre mains », Mei, 6, 1997, p. 24.


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1 Ecoles supérieures de commerce et de communication : ESSEC, ESCP, CELSA-Sorbonne, EM Lyon.

2 « Paradigme », évidemment au sens usuel et non linguistique du terme.

3 Formule de Luc Ferry citée par Étienne Klein dans Sauvons le progrès. Dialogue avec Denis Lafay, Paris, l’Aube, 2017.

4 Voir notamment B. Heilbrunn, L’obsession du bien-être, Paris, Laffont, 2019.

5 F. Bacon, « (...) if time of course alter things to the worse, and wisdom and counsel shall not alter them to the better, what shall be the end ? ». « Of innovation », Essayes or Counsels, Civill and Morall, 1625 (https://www.gutenberg.org/files/575/575-h/575-h.htm). Notre traduction.

6 Le verbe innover fut d’abord utilisé par les juristes, dans le sens d’ajouter une clause ou un avenant à un contrat. Son usage s’est ensuite étendu pour désigner le fait d’introduire une nouveauté dans une chose préexistante afin de la rendre pérenne.

7 Dans Sauvons le progrès, op. cit.

8 Voir l’ouvrage collectif Réenchanter le monde : la valeur esprit contre le populisme industriel, Paris, Flammarion, 2006.

9 Cf. B. Stiegler, De la misère symbolique. L’époque hyperindustrielle (t. I) et La catastrophe du sensible (t. II), Paris, Galillée, 2004 et 2005.

10 Cf. E. Landowski, « Pièges : De la prise de corps à la mise en ligne », Carte Semiotiche, 4, 2016.

11 Cf. A. Casilli, En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic, Paris, Seuil, 2019.

12 https://umanz.fr/essentiels/25/01/2019/empecher-que-le-monde-ne-se-defasse-le-discours-de-clement-choisne.

13 https://www.liberation.fr/environnement/agriculture/a-agroparis-tech-le-discours-detudiants-refusant-les-jobs-destructeurs-qui-leur-sont-promis-20220511_VVHAHQYAZFFRFAIHLJECXPVG7U/.

14 E. Landowski, Passions sans nom, Paris, P.U.F., 2004, p. 51.

15 B. Latour, « Agency at the time of the anthropocene », New Literary History, 45, 2014, p. 8.

16 Ph. Descola, « Humain, trop humain », Esprit, 12, 2015. Voir aussi, Par-delà Nature et Culture, Paris, Gallimard, 2005.

17 Cf. J.-P. Petitimbert, « Anthropocenic Park : humans and non-humans in socio-semiotic interaction », Actes Sémiotiques, 120, 2017.

18 Sur ces questions, cf. E. Landowski, « Complexifications interactionnelles », Acta Semiotica, 1, 2, 2021.

19 E. Landowski, Les interactions risquées, Limoges, Pulim, 2005, p. 71.

20 J. Lovelock, The Revenge of Gaia. Why the Earth is Fighting Back and How We Can Still Save Humanity, New York, Basic Books, 2006 ; B. Latour, Face à Gaïa, Paris, La Découverte, 2015.

21 Discours des ingénieurs AgroParisTech, 30 avril 2022.

22 « Politiques de la sémiotique », Rivista Italiana di Filosofia del Linguaggio, 13, 2, 2019, p. 18.

23 Les interactions risquées, op. cit., pp. 71-72, 95.

24 Voir par exemple J. Fontanille, « La coopérative, alternative sémiotique et politique. Des organisations comme laboratoires de sémiotique expérimentale », Actes Sémiotiques, 122, 2019, et « La coopérative et son territoire », Terres de sens, Limoges, Pulim, 2018 ; R. Pellerey, « Una dinamica organizzazionale dissidente », Actes Sémiotiques, 122, 2019, et « Corpi nel bosco », Acta Semiotica, I, 2, 2021 ; Cl. Calame, Avenir de la planète et urgence climatique. Au-delà de l’opposition nature / culture, Fécamp, Lignes, 2015.

25 Voir par exemple La composition des mondes, Paris, Flammarion, 2014, ou son ouvrage en collaboration avec A. Pignocchi, Ethnographie des mondes à venir, Paris, Seuil, 2022.

26 E. Landowski, « Ni cosmos ni chaos — pour une écologie du sens », résumé inédit, Metamind Conference, Riga, Latvian Academy of Culture, 2014.

27 « Politiques de la sémiotique », art. cit., p. 12.

28 « Sémiotique plastique et communication publicitaire », Petites mythologies de l’œil et de l’esprit, Paris-Amsterdam, Hadès-Benjamins, 1985, pp. 139-140 (souligné par nous).

29 Cf. E. Landowski et J. Fontanille, « A quoi bon la sémiotique ? », Actes Sémiotiques, 118, 2015.

30 Les guillemets signalent que depuis 2013 la sémiotique ne fait plus partie, institutionnellement, de la liste des diplômes proposés dans l’enseignement supérieur mais n’est considérée que comme une sous-branche des Sciences du langage, dont Linguistique et phonétique générales constituent le tronc. « La sémiotique n’a presque plus d’ancrage institutionnel entièrement autonome et visible en France. Au plan national, on ne trouve plus aucune équipe de recherche en sémiotique au CNRS, et toutes les équipes de sémiotique (Lyon, Limoges, Toulouse, Paris), parfois restreintes à un très petit noyau de chercheurs, appartiennent à des laboratoires pluridisciplinaires qui s’occupent aussi de bien d’autres programmes de recherches que ceux de la sémiotique ». J. Fontanille, « Nouvelles conversations », Alfa, 59, 3, 2015, p. 608.

31 A.J. Greimas, « Observations épistémologiques », Actes Sémiotiques-Documents, V, 50, 1983, p. 7.

32 E. Landowski, « Régimes de sens et formes d’éducation », Colloque La sémiotique face aux défis sociétaux du XXIe siècle, Limoges, 2015.

33 Cf. J.-M. Floch, « La sémiotique est une praxis », Cruzeiro semiótico, 10, 1989. Voir aussi « Lettre aux sémioticiens de la Terre Ferme », Actes Sémiotiques-Bulletin, IX, 37, 1986. Pour mémoire, ci-aprés la schématisation de son « axiologie de la consommation » la plus couramment adoptée, à laquelle nous ajoutons, en italiques, les caractérisations des types de sémiotiques ou de sémioticiens qu’évoque Floch dans ce dernier texte :

34 « Nouvelles conversations avec Jacques Fontanille », art. cit., p. 631 (souligné par nous).

35 Ibid., p. 622 (souligné par nous).

36 J.-P. Petitimbert, « La sémiotique à l’épreuve de l’écrit : régimes rédactionnels et intelligibilité », Actes Sémiotiques, 123, 2020, censuré. Rééd. in Galáxia, 44, 2020.

37 Soit sept principales tendances représentées respectivement par Fr. Rastier, J. Petitot, J. Fontanille et Cl. Zilberberg, J.-Cl. Coquet, J. Geninasca, Fr. Marsciani et E. Landowski, si on s’en tient à la liste retenue pour le dossier des Actes Sémiotiques (120, 2017) commémorant le centenaire de la naissance de Greimas.

38 E. Landowski, « Le cercle sémiotique de Greimas », Cadernos de Semiótica Aplicada, 13, 1, 2015, p. 34.

39 Voir respectivement Les formes de l’empreinte, Périgueux, Fanlac, 1986, pp. 85-112 ; Sémiotique, marketing et communication, Paris, P.U.F., 1990, pp. 49-81 et 153-181 ; Identités visuelles, Paris, P.U.F., 1995, pp. 107-144.

40 Les formes de l’empreinte, op. cit., pp. 15-18 ; « Lettre aux sémioticiens de la Terre Ferme », art. cit. ; « Paraître / s’afficher », in Ph. Benoît et D. Truchot (éds.), Affiches de pub 1983-1985, Paris, Le Chêne, 1986 ; « La génération d’un espace commercial », Actes sémiotiques-Documents, IX, 87, 1987 ; « J’aime, j’aime, j’aime… » et « L’image pour troubler les lettrés », Sémiotique, marketing et communication, op. cit. ; « La liberté et le maintien » et « La maison d’Épicure », Identités visuelles, op. cit.

41 A défaut de pouvoir les citer tous, nous renvoyons à tous les précédents numéros d’Acta Semiotica.

42 A. Camus, Discours de Suède, Paris, Gallimard, 1958, 26e éd., p. 17.

43 A.J. Greimas, « La France est gagnée par l’“insignifiance” », Le Monde, 22 octobre 1991.

44 « Sémiotique discursive et enseignement : l’éducation comme un défi politique et social. Entretien », Acta Semiotica et Linguistica, 26, 2, 2021, p. 177. Rappelons que l’auteur a fait partie en tant que conseiller, puis comme directeur, du cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (mai 2012 - avril 2014).

45 « La sémiotique est une praxis », art. cit., p. 118.

46 Voir, dans ce numéro, l’article de Marin Dargent, ingénieur textile de formation qui a découvert l’existence de la sémiotique il y a seulement quelques mois.

47 Cf. notamment Y. Jeanneret, « La prétention de la sémiotique dans la communication », Semen, 23, 2007.

48 « Lettre aux sémioticiens de la Terre Ferme », art. cit., n. 64. Sur le poste « critique » de sa typologie, voir aussi J.-P. Petitimbert, « Lecture critique et (re)valorisation sémiotique de la valeur “critique” chez J.-M. Floch », Acta Semiotica, II, 3, 2022.

49 « Politiques de la sémiotique », art. cit., p. 23.

50 Titre de l’avertissement au lecteur.

51 Entre autres la Revue d’esthétique, Stratégies (magazine sur la publicité), Psychiatrie française, Recherches et applications en marketing, Décisions marketing, Humoresques (revue de l’association pour le développement des recherches sur le Comique, le Rire et l’Humour).

52 « La sémiotique est une praxis », art. cit., pp. 114 et 116.

53 « Régimes de sens et styles de vie », Actes Sémiotiques, 115, 2012.

54 « La sémiotique à l’épreuve de l’écrit », art. cit., pp. 41-42.

55 Voir par exemple A. Muxel, Observatoire de la génération Z, IRSEM, Ministère des Armées, étude 89, octobre 2021.

56 « Strengths, Weaknesses, Opportunities, Threats » (SWOT), grille d’analyse classique en stratégie.

57 Notamment en évitant la prolifération de métatermes concurrents pour une seule et même notion, tels « style de vie » et « forme de vie », ou plus récemment la version latourienne de « mode d’existence ».

58 « Régimes de sens et formes d’éducation », art. cit.

59 E. Landowski, « Petit manifeste sémiotique », Actes Sémiotiques, 120, 2017.

60 J.-M. Floch, « Logiques de persuasion du consommateur et logiques de fidélisation du client », Cahiers de l’IREP, 1994. Cf. aussi J.-P. Petitimbert, « (Re)penser la marque à l’ère du “post-consumérisme” », Acta Semiotica, I, 2, 2021.

61 Cf. J.-P. Petitimbert, « Du bricolage comme principe de création », Acta Semiotica, II, 4, 2022.

62 E. Landowski, Les interactions risquées, op. cit., pp. 96-97.

63 « Dialogue. Profession sémioticien », Acta Semiotica, II, 4, 2022, p. 234 (notre trad.).

64 R.-P. Droit, « Penser une époque de mutations », Le Monde des livres, 28 avril 2023.

65 Cf. R.-P. Droit, « Entretien avec A.J. Greimas. Une tradition de rigueur », Le Monde, 7 juin 1974.

66 Jean-Marie Floch, « L’image à quatre mains », Mei, 6, 1997, p. 24.

 

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Résumé : Envahis par l’insignifiance du style de vie post-moderne et assaillis de catastrophes naturelles insensées, beaucoup de nos contemporains, en particulier la jeune génération, sont désorientés, anxieux et « en quête de sens », selon la formule aujourd’hui consacrée. Dans cette crise de sens qui interpelle tout spécialement la sémiotique, celle-ci reste, en France, tout à fait marginale dans le concert des sciences sociales et quasi-moribonde, ignorée des médias et du grand public, alors qu’elle est précisément la plus apte à s’emparer de la question, à penser ce monde en mutation et à contribuer à le reconfigurer. Il lui faudrait l’audace, depuis sa tour d’ivoire, de descendre dans l’arène et de s’engager dans le siècle, quitte, certes, à n’être reconnue que comme une science auxiliaire, mais au moins comme une discipline vivante et en prise sur la vie.


Resumo : Invadidos pela insignificância do estilo de vida pós-moderno e assaltados por séries inéditas de catástrofes naturais, muitos contemporâneos, em particular os mais jovens, estão desorientados, em busca de sentido. Entretanto, apesar de sua vocação a tratar precisamente da questão do sentido, a semiótica continua, pelo menos na França, sendo ausente do debate geral, marginalizada em relação às outras ciências sociais, ignorada nas mídias e no público. Após uma breve análise das bases semióticas da crise geral atual, o artigo denuncia as causas internas do isolamento da disciplina. Defende a necessidade de mais audácia da parte dos semioticistas. A semiótica deve reformar seu modo de expressão, renovar a forma de ensino e engajar-se para contribuir à construção de uma renovada visão de mundo.


Abstract : Overwhelmed by the insignificance of the post-modern lifestyle and beset by senseless natural disasters, many of our contemporaries, especially the younger generation, are disorientated, anxious and “in search of meaning”, as the idiom goes. In this crisis of meaning, which is of particular concern to semioticians, in France the discipline remains marginalised among the social sciences, almost dead and virtually ignored by the media and the general public, even though it is precisely semiotics that is best placed to take up the issue, to think about this changing world and to help reconfigure it. Semioticians should have the audacity to step down into the arena from their ivory tower and engage with the century, even if it means for semiotics to be recognised as an auxiliary science only, but at least as a living discipline involved in real life.


Mots clefs : algorithmes, anthropocène, inintelligibilité, innovation, libéralisme, paradigme, progrès, régimes de sens, régimes de risque.


Auteurs cités : Philippe Descola, Jean-Marie Floch, Jacques Fontanille, Algirdas J. Greimas, Eric Landowski, Bruno Latour.


Plan :

Introduction

1. Un monde en perte de sens

1. Changement de paradigme

2. Robotique, numérique et autres algorithmes

3. Dérèglement climatique et dérégulation des marchés (ou vice versa)

2. « Ni cosmos ni chaos »

1. Des problèmes d’intersection et de diffusion

2. Une école de sens critique et de liberté

3. Un cercle vicieux

3. Que faire ?

1. Redescendre sur terre

2. Réinventer l’enseignement

3. « Marketer » la sémiotique

Conclusion

 

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Recebido em 27/04/2023. / Aceito em 30/05/2023.