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Dossier : Règles, régularités et création
Du bricolage Jean-Paul Petitimbert
Publié en ligne le 26 décembre 2022
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C’est à notre connaissance en 1981, à l’occasion de son analyse de la toile de Kandinsky Composition IV, que Jean-Marie Floch a pour la première fois introduit dans son travail la notion lévi-straussienne de bricolage1. Toutefois, dans ce texte, bien que cette notion intervienne dans l’ossature de la démonstration, le concept analytique clef est plutôt celui de semi-symbolisme, que l’auteur développe et approfondit dans le cadre de son projet d’élaboration d’une sémiotique plastique. L’idée de bricolage ne sera explorée plus amplement et plus systématiquement que plusieurs années plus tard, dans son ouvrage consacré aux identités visuelles, livre dont le chapitre introductif constitue une véritable apologie du bricolage, les chapitres suivants en constituant, eux, une forme de défense et illustration2. La principale référence sur laquelle Floch s’appuiera constamment restera, au fil des ans, la même. Elle est tirée des premières pages de La pensée sauvage de Claude Lévi-Strauss, et plus précisément du chapitre qui ouvre le livre, « La science du concret », seule partie où il soit explicitement et abondamment question de « bricolage »3. La raison pour laquelle Lévi-Strauss consacre son introduction à cette pratique culturelle est qu’il considère la « pensée mythique » dans son ensemble comme une « forme intellectuelle de bricolage »4. Autrement dit, il voit dans les productions issues du bricolage une manifestation, observable sur le plan sensible, de l’activité cognitive à laquelle le reste de l’ouvrage est consacré. Ce n’est pourtant ni la dimension mythique de cette pratique ni sa dimension semi-symbolique qui nous occuperont principalement ici (même si nous serons amené à y faire allusion) mais plutôt sa dimension énonciative. Floch associe en effet le bricolage à une forme particulière de praxis énonciative, c’est-à-dire à un mode spécifique d’engendrement du discours et de production de son sens, et plus précisément à un processus singulier de création. C’est à ce titre que nous nous proposons de rapprocher ces travaux de Jean-Marie Floch des récentes réflexions d’Eric Landowski à propos de création et de créativité5. |
1 Voir J.-M. Floch, « Le “bricolage” d’un système de sens semi-symbolique », section 4 de « Kandinsky : sémiotique d’un discours plastique non figuratif », Communications, 34, 1981. Texte remanié et abondamment illustré dans Petites mythologies de l’œil et de l’esprit, Paris-Amsterdam, Hadès-Benjamins, 1985. 2 Identités visuelles, Paris, P.U.F., 1995, en particulier « Du design au “bricolage”. Introduction ». 3 La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, pp. 3-47. 4 Op. cit., p. 32. 5 Cf. « Plaidoyer pour l’esprit de création », Semiotika, 16, 2021, ou, en portugais, la version remaniée pour le présent dossier, et « Politiques de la sémiotique », Rivista Italiana di Filosofia del Linguaggio, 13, 2, 2019, pp. 15 et 17. |
Commençons par rappeler en quoi, aux yeux de Floch, le bricolage s’apparente à une forme de praxis énonciative. Sommairement définie, la praxis énonciative est le mode de production, le « mécanisme », par lequel un énonciateur produit un énoncé inédit : il puise parmi les virtualités du système de la langue (paradigme), et sélectionne les unités dont il a besoin — qu’il s’agisse d’éléments verbaux ou non-verbaux —, les actualise en les assumant et en les agençant d’une manière qui lui est propre le long de l’axe du procès (syntagme) et les réalise sous forme de parole manifestée. Techniquement parlant, la praxis énonciative opère donc en deux temps : par un « relèvement » initial du syntagmatique sur le paradigmatique (c’est le « stockage » d’unités produites par la parole et leur intégration dans le système de la langue), suivi d’un « rabattement » du paradigmatique sur le syntagmatique (c’est l’exploitation nouvelle, dans un énoncé, de ces mêmes unités sous forme de procès)6. |
6 On comprend qu’il faut entendre les termes « relèvement » et « rabattement » en référence à la représentation conventionnelle des axes syntagmatique et paradigmatique sous la forme de deux droites perpendiculaires. |
Le rapprochement que Floch propose entre praxis énonciative ainsi conçue et bricolage part des affirmations de Lévi-Strauss. Pour l’anthropologue, les unités susceptibles d’entrer dans la composition d’une œuvre « bricolée » sont tirées de collections d’éléments qu’il désigne comme des « blocs précontraints » par l’usage. Ces unités, le bricoleur les aura amassées au fil du temps et des opportunités « en vertu du principe que “ça peut toujours servir” »7. Dans la composition progressive de cet ensemble de blocs, Floch voit l’équivalent du premier des deux « mouvements de pont-levis » (ainsi qu’il décrit non sans malice les opérations effectuées8), c’est-à-dire de la constitution du paradigme, ou système « source », par intégration et accumulation d’éléments (de matériaux ou de « signes », dit-il occasionnellement) dont l’usage a conventionnellement fixé tant l’expression que le contenu. Leur « stockage » les transforme en autant de virtualités à la disposition du bricoleur. Et de même que le paradigme de la langue est un univers clos, constitué d’unités virtuelles disparates, de même, chez Lévi-Strauss, celui du bricoleur est |
7 La pensée sauvage, op. cit., p. 26. 8 Identités visuelles, op. cit., p. 172. |
un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures.9 La sélection de ces « résidus », leur prise en charge, leur agencement sous forme de syntagme et surtout, dans le cas précis du bricolage, le détournement systématique de leur finalité première constituent le deuxième temps de ce processus par lequel l’énonciateur bricoleur produit son énoncé : Tous ces objets hétéroclites qui constituent son trésor, il les interroge pour comprendre ce que chacun d’eux pourrait « signifier », contribuant ainsi à définir un ensemble à réaliser, mais qui ne diffèrera finalement de l’ensemble instrumental que par la disposition interne des parties.10 |
9 La pensée sauvage, p. 27. Dans une note quelques pages plus loin, l’anthropologue précise ce qu’il entend par « résidus ». Il s’agit pour lui d’objets aux « qualités secondes », ou plus clairement de seconde main (second hand), autrement dit d’occasion, par définition usagés ou utilisés antérieurement par d’autres, « témoins fossiles de l’histoire d’un individu ou d’une société » (p. 32). 10 Ibid., p. 28 (souligné par nous). |
Ainsi, dans l’analyse de Composition IV, c’est d’une part par la reconnaissance de l’emprunt fait aux représentations du Jugement dernier, traditionnellement traité sous forme de triptyque dans l’iconographie chrétienne, et d’autre part par la mise au jour de l’inversion de l’orientation conventionnelle des panneaux latéraux du triptyque par rapport à l’axe du panneau central que Floch en arrive à considérer l’énonciateur Kandinsky comme un bricoleur, thèse également étayée par d’autres emprunts, reprises et détournements repérés dans ce même tableau (Apocalypse de Jean, « turqueries »), comme aussi dans d’autres œuvres de ce grand maître russe11. Incidemment, c’est à partir de l’identification de ces divers bricolages visuels (topologique, mais aussi chromatique et linéaire) et de la démonstration de leur corrélation, dans le plan du contenu, avec un certain discours thématique que Floch développe l’idée que Composition IV est une œuvre dont le substrat énonciatif relève d’une construction de type semi-symbolique12. Cela dit, il ne faudrait pas en conclure que le bricolage n’est à l’œuvre que dans de telles constructions. En effet, lorsque, dans Sémiotique, marketing et communication, Floch étudie les nombreuses annonces tirées des campagnes publicitaires des Presses Universitaires de France, il ne mentionne pas la notion de semi-symbolisme. Ce sont pourtant autant d’exemples de créations bricolées — réalisées à partir de symboles, de dessins, de gravures anciennes ou de photographies, etc. — qui lui permettent d’approfondir l’analyse de cette forme de praxis énonciative13. Aux réflexions de Lévi-Strauss s’ajoutent à cette occasion celles d’André Leroi-Gourhan, autre grand nom de l’anthropologie culturelle française. Floch fait appel à son concept de mythogramme et à la définition qu’il en donne pour éclairer une des annonces bricolées les plus remarquables, conçue pour le titre Écriture et folie. Sous forme de gravures visiblement tirées de « quelque vieux catalogue de vente par correspondance », cette annonce représente un entonnoir renversé au-dessus d’une plume d’écolier d’antan : |
11 L’archétype iconographique du Jugement dernier veut que, le Christ étant représenté en gloire au centre de la composition, les élus se situent à Sa droite et les réprouvés à Sa gauche. Du point de vue d’un observateur, la béatitude des bienheureux se trouve donc à gauche de l’image, tandis que l’enfer des damnés se trouve à droite. Du fait de sa simplicité, le Jugement dernier est souvent pris comme exemple pour illustrer le concept de langage semi-symbolique. Floch montre comment Kandinsky bricole en inversant cette orientation conventionnelle avec, pour l’observateur, une partie gauche à valeur dysphorique (associée au combat et à la mort) et une partie droite à valeur euphorique (associée au triomphe de l’idéal idéologique de la Vita Nova). 12 Cf. J.-M. Floch, « Un type remarquable de sémiosis : les systèmes semi-symboliques », in Semiotic Theory and Practice, Berlin, de Gruyter, 1988 ; trad. port., Acta Semiotica, II, 3, 2022. 13 Sémiotique, marketing et communication. Sous les signes les stratégies, Paris, P.U.F., 1990, « L’image pour troubler les lettrés », pp. 153-182. |
Des objets hors de leurs contextes sont conservés afin de pouvoir, un jour, les disposer selon des arrangements qui n’auront rien à voir avec leurs usages premiers ; c’est ainsi, par bricolage — au sens cognitif que Cl. Lévi-Strauss a donné à ce terme — que la rencontre de cet entonnoir et de cette plume crée un mythogramme.14 |
14 Ibid., pp. 174-175. |
Quelques pages plus loin, dans un autre chapitre, Floch évoque une seconde fois le bricolage à propos du type de publicité qu’il qualifie de « mythique ». Selon son analyse, ce type de discours travaille à partir de motifs, de figures, « de légendes, de héros, de symboles (quasi-universels) qui sont déjà des rôles thématiques puissamment structurés, extrêmement connus et qui serviront de structure d’accueil au produit », rôles qu’il exploitera tels quels ou qu’il bricolera ensemble15. En résumé, le bricolage en tant que praxis énonciative spécifique s’avère l’instance de médiation entre des formes culturelles fixées par l’usage — voire dont l’usage lui-même est en quelque sorte « réglé » par convention — et les significations inédites qu’un énonciateur peut en tirer en les décontextualisant, en les réassemblant et en les déformant à sa manière. |
15 Sémiotique, marketing et communication, « Tués dans l’œuf », p. 203. Sur la notion de rôle thématique, cf. A.J. Greimas et J. Courtés, Sémiotique. Dictionnaire, Paris, Hachette, 1979, p. 393. |
2. Déformations et dénonciations Ce qui fait du bricolage une forme remarquable de praxis énonciative tient donc à ces quelques notions qui lui sont inhérentes : non seulement celles de récupération et de réutilisation d’objets ou de signes figés et plus ou moins usés par leur usage conventionnel antérieur, mais aussi, et peut-être surtout, celle du détournement de la forme initiale de leur expression et de leur contenu. A cet égard, une clé supplémentaire de compréhension nous est fournie par Lévi-Strauss quand il affirme qu’une activité de ce type, qu’elle soit intellectuelle ou pratique, « n’est pas seulement la prisonnière d’événements et d’expériences qu’elle dispose et redispose inlassablement pour leur découvrir un sens ; elle est aussi libératrice, par la protestation qu’elle élève contre le non-sens, avec lequel la science s’était d’abord résignée à transiger »16. Cette idée de protestation contre la désémantisation, contre l’érosion ou la fossilisation du sens, est ensuite confirmée par Floch et illustrée par la plupart des cas d’identités visuelles qu’il analyse. Il y défend l’idée que la création d’une identité visuelle par bricolage, entendu comme praxis énonciative, se donne à comprendre comme un refus et une dénonciation des lieux communs, des usages conventionnels qui ont pris valeur de normes, sinon de règles, à tel point qu’ils semblent aller-de-soi et ne pouvoir que perdurer. « Bricoler » suppose au contraire le rejet des dispositions figées et acceptées par tous, et traduit in fine une forme de rébellion fructueuse, à la fois créative et innovante17. |
16 La pensée sauvage, p. 33 (souligné par nous). Lévi-Strauss oppose ici le bricoleur au « savant » plutôt qu’à l’ingénieur (auquel nous en viendrons d’ici peu, infra, 3). 17 Floch développe ces réflexions plus en détail, à la lumière des travaux sur l’identité narrative menés par le philosophe Paul Ricœur, dans « Deux jumeaux si différents, si semblables. L’identité selon Waterman », Identités visuelles, op. cit. Nous allons y revenir (infra 4). |
Entre autres exemples, Floch montre comment les créations qui constituent le discours vestimentaire de Coco Chanel dénoncent une certaine conception dépassée de la féminité — celle qu’incarnaient les silhouettes d’un Paul Poiret jusqu’à la Belle époque, puis celles d’un Christian Dior dans les années cinquante — et comment, à travers elles, cette couturière résolument féministe « se rebiffe » moyennant l’emprunt et la déformation d’éléments jusqu’alors univoquement associés au vestiaire masculin (béret, pantalon, complet-veston, vêtements de travail, uniformes militaires, tenues de sport, coupes et matières associées, telles le tweed des chasseurs ou le jersey des maillots de marins pêcheurs, etc.), et surtout moyennant l’inversion qui en résulte de leurs signifiés conventionnels18. De même, sans entrer dans le détail de l’analyse que Floch propose du logo à la pomme multicolore (aujourd’hui disparu) de la marque Apple, rappelons que le bricolage figuratif et plastique dont il était le résultat peut se comprendre comme une inversion symétrique des caractéristiques de l’emblème d’un autre système — celui de l’imposante société concurrente IBM qui dominait le marché et lui imposait sa loi — dont la jeune marque dénonçait ainsi les conceptions « totalitaires » (ce que le scénario et la mise en scène du spot de lancement du MacIntosh en 1984 confirmaient d’ailleurs explicitement)19. |
18 Op. cit., « La liberté et le maintien. Esthétique et éthique du total look de Chanel ». 19 Op. cit., « La voie des logos. Le face-à-face des logos IBM et Apple ». |
Dans l’univers foisonnant de la communication contemporaine, cet aspect contestataire du bricolage n’est pas rare. Les cas les plus fréquents et les plus facilement repérables sont précisément ceux d’énonciateurs dont la visée consiste à défendre une cause contre un état de fait ou à dénoncer telle ou telle idée reçue. Les plus frappants et donc les plus mémorables prennent souvent (comme plus haut) la forme de bricolages mythographiques. Certains se souviennent peut-être, par exemple, de la campagne menée en 2008 par l’association Reporters Sans Frontières (RSF) qui incitait les athlètes au boycott de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin. Elle cherchait à sensibiliser l’opinion publique au fait que la Chine est un des pays au monde où la répression des défenseurs de la liberté d’expression de la presse est la plus virulente. Le visuel principal des affiches et des annonces s’étalait sur fond noir et représentait les cinq anneaux olympiques remplacés par des bracelets de menottes reliés entre eux par des chaînes. Ce bricolage visuel, qui combine deux signes a priori antinomiques et va jusqu’à les fusionner, est ainsi conçu que, par simple commutation, la déformation du signifiant de l’un (les anneaux olympiques multicolores sur fond blanc) par celui de l’autre (les menottes monochromes sur fond noir) entraîne l’inversion du signifié qui lui est conventionnellement attaché (celui du second contaminant ou remplaçant le premier). Le World Wildlife Fund (WWF) fait aussi très souvent appel à ce type de bricolage et de choc visuel provocant. En 2014, sous le slogan What will it take before we respect the planet ?20, cette ONG lançait une campagne destinée une fois de plus à dénoncer les dégâts provoqués par l’activité humaine sur la vie et la biodiversité. Une série d’annonces mettait en scène des animaux sauvages photographiés dans leur environnement naturel (éléphants, rhinocéros, baleine bleue, ours blancs), mais dont le pelage ou la peau avaient été souillés, maculés (de manière extrêmement réaliste via, il va sans dire, un logiciel informatique) par des graffitis et des « tags » multicolores grossièrement peints à la bombe, comme ceux qu’on trouve sur les murs d’immeubles de nombreuses périphéries à l’abandon de par le monde. Cet improbable carambolage entre des références de provenances aussi diamétralement opposées produisait un effet repoussoir aussi puissant que saisissant : celui de la mise en scène d’un univers fortement dystopique. |
20 Jusqu’où faudra-t-il aller avant que nous respections la planète ? (notre traduction). |
Pour revenir à Lévi-Strauss et conclure cette séquence d’exemples, on voit qu’ils confirment l’idée selon laquelle le bricolage est en effet la manifestation, sur le plan pratique, d’une pensée qui « bâtit ses palais idéologiques avec les gravats d’un discours social ancien »21 afin, serions-nous même tenté d’ajouter, de mieux le dénoncer et, par suite, de le dépasser. |
21 La pensée sauvage, op. cit., p. 32. |
De même que la notion de pensée mythique, telle que définie par Lévi-Strauss, ne se comprend pleinement que dans son rapport à une certaine idée de la « pensée scientifique », de même, sur le plan figuratif, le portrait du bricoleur appelle celui de son pendant, l’« ingénieur », auquel l’anthropologue le compare et le confronte systématiquement. Cette série de catégories, les unes abstraites, les autres figuratives, renvoie directement aux travaux de socio-sémiotique d’Eric Landowski et au modèle général qu’il propose (et propose de « complexifier »), modèle qui va nous permettre d’éclairer plus avant les vertus créatrices de la pratique du bricolage. Dans une étude consacrée à la notion de « prise », Landowski rend compte de la proximité entre les résultats de l’analyse que Floch avait conduite sur l’Opinel — le « couteau du bricoleur », opposé au couteau suisse, attribué à l’ingénieur22 — et certaines des innovations conceptuelles par lesquelles il s’efforce lui-même de renouveler la grammaire narrative standard, tout particulièrement en y introduisant l’idée d’une pluralité de régimes de sens et d’interaction (en sus de la classique manipulation, une syntaxe de la programmation, de l’assentiment (à l’accident) et de l’ajustement)23. Il y montre comment, à l’utilisation de chaque type de couteau décrite par Floch correspond un « régime interactionnel » particulier : |
22 J.-M. Floch, Identités visuelles, op. cit., « Le couteau du bricoleur. L’intelligence au bout de l’Opinel », pp. 181-213. 23 « Avoir prise, donner prise », Actes Se?miotiques, 112, 2009. |
A mesure qu’il [J.-M. Floch] avance dans l’analyse des deux types d’opérations prises pour objet — celles que réalisent respectivement un « bricoleur », avec un Opinel, et un « ingénieur », avec un couteau suisse — l’interprétation qu’il propose s’oriente dans un sens de plus en plus voisin de ce que pour notre part, quelques années plus tard, nous définirons, d’un côté, en termes d’ajustement, de l’autre, en termes de programmation et d’opérations.24 |
24 « Avoir prise... », § I.3, « Manipuler ou manœuvrer ? ». |
Les figures lévi-straussiennes de l’ingénieur et du bricoleur reprises par Floch se trouvent ainsi reprises de nouveau par Landowski, qui les positionne aux deux extrémités d’un des axes de contradiction de son modèle, à savoir, d’un côté, l’« ajustement », de l’autre la « programmation », celle-ci constituant en théorie pour ainsi dire le négatif photographique de celui-là (si tant est que le continuum elliptique qui relie les divers régimes entre eux autorise encore à les considérer comme tels, du moins stricto sensu). En vertu de quoi le bricoleur « ne s’enferme jamais dans l’exe?cution de programmes pre?de?finis mais poursuit des projets toujours “de?cale?s”, par ajustement progressif a? une matie?re “pre?contrainte” »25. |
25 E. Landowski, « Régimes de sens et styles de vie », Nouveaux Actes Sémiotiques, 115, 2012. |
Dans un article plus récent consacré au politique, le même auteur fait à nouveau mention de la pratique du bricolage, en tant que procédure, parmi d’autres, de création d’objets de valeur relevant du régime de l’ajustement. S’y oppose ce qu’il dénomme leur fabrication selon les procédures de l’engineering, qui relèvent, elles, du régime de la programmation26. Quant aux deux autres régimes interactionnels, ils ont trait à la circulation des objets de valeur et non plus à leur production : la manipulation régit l’échange (classique en syntaxe narrative standard), et l’assentiment le don ou le vol. |
26 « Politiques de la sémiotique », art. cit. (2.2 « Quarante ans après : une pluralité de régimes », pp. 15-17). |
Mais laissons de côté la circulation de ces objets et concentrons-nous sur leur production, qui seule nous intéresse ici, puisqu’« avant qu’une chose ne soit donnée, volée ou échangée, donc transférable, il faut bien, au minimum, qu’elle existe, et pour cela qu’elle ait été produite d’une manière ou d’une autre »27. Au couple initial des figures de « producteurs » que sont l’ingénieur et le bricoleur se superposent donc maintenant celles du fabricant et du créateur (que Landowski reprend dans sa contribution au présent dossier), figures qu’on peut fusionner sous la forme de l’ingénieur-fabricant, d’un côté, et du bricoleur-créateur, de l’autre — ce qui va nous permettre de dégager les principes auxquels chacune répond, et, à partir de là, de mettre en lumière quelques nouvelles spécificités du bricolage. |
27 Ibid., p. 15. |
Si dans son domaine l’ingénieur-fabricant s’appuie, à l’instar du scientifique dans le sien, sur les lois du déterminisme et donc sur les régularités qui régissent les algorithmes dont il se sert pour mettre au point les objets qu’il produit, suivant à la lettre aussi bien le programme qu’il s’est fixé que les « règles de l’art » du secteur dans lequel il intervient, qu’en est-il du créateur-bricoleur ? Comment mieux décrire le régime d’ajustement dans lequel il est engagé ? Selon la logique qui sous-tend la construction du modèle interactionnel, on pourrait croire que contrairement au fabricant, qui, par habitude, par principe ou par prudence, se soumet aux normes, aux lois et aux règles du genre dans lequel il opère, le créateur-bricoleur choisit de les ignorer ou de les violer. Rien ne serait plus erroné, car, comme on l’a vu, il s’agit moins pour lui de transgresser telle ou telle convention, d’enfreindre tel ou tel dogme tacitement établi ou de contrevenir aux usages, que de s’en servir pour innover en les détournant, de s’appuyer sur eux pour les dépasser, leur assigner un nouveau rôle, leur faire dire autre chose, voire davantage, que ce à quoi le consensus avait habitué jusque-là. C’est en vertu de ce principe de dépassement par détournement que le bricolage s’avère effectivement, comme l’affirme Lévi-Strauss, une « protestation contre le non-sens », une entreprise de resémantisation. En termes de régimes de sens, c’est donc bien de l’ajustement que relève l’activité du bricoleur dans la mesure où, par opposition aux pratiques répétitives du fabricant, elle cherche à faire sens. Par là-même, elle s’érige contre l’in-signifiance du régime de la programmation auquel se plie l’ingénieur. Car l’ingénieur, lui, ne crée rien de nouveau mais se limite à appliquer des règles figées et désémantisées à force de répétition, ou se conforme par réflexe à des régularités simplement constatées ou acquises par habitude. |
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Mais en quoi le détournement est-il corrélatif d’un dépassement ? En ce point, c’est à l’idée de vision — dialectiquement articulée à celle de procédé — qu’il nous semble pertinent de faire appel, notions que Landowski développe dans un texte où il oppose en premier lieu les concepts d’utilisation et de pratique28. Les deux types de producteurs d’objets de valeur, les bricoleurs comme les ingénieurs, ont en commun de maîtriser les procédés de fabrication au moins les plus usuels dans leur domaine. En revanche, seul le créateur-bricoleur les assortit d’une vision à laquelle il les confronte et par rapport à laquelle il les met à l’épreuve, alors que l’ingénieur-fabricant se borne à les appliquer sans chercher à aller plus loin. Aller plus loin, aller au-delà, c’est précisément ce que permet la « vision » : c’est voir, concevoir, imaginer et surtout sentir ou pressentir ce dont l’ingénieur-fabricant n’a cure, à savoir les potentialités contenues dans les « blocs précontraints » que le bricoleur-créateur amasse et collectionne. Au lieu d’« utiliser » tels quels des procédés convenus en se bornant à les appliquer, il les pratique en s’y confrontant. Comme dit Lévi-Strauss, il « les interroge pour comprendre ce que chacun d’eux pourrait “signifier” » : c’est cela qui le rend à même de les « voir » sous un angle inédit, imprévu, inattendu, et par suite l’amènera à les détourner de leur usage préétabli. Si bien que procédé et vision se présupposent mutuellement : |
28 « Voiture et peinture : de l’utilisation a? la pratique », Gala?xia, XII, 2, 2012. |
La vision, ouverture sur le potentiel, a besoin de ce que le procédé lui oppose de plus étroitement réel; et le procédé, conservateur et répétitif par nature, a besoin de ce que la vision lui impose d’inédit à exprimer.29 |
29 Art. cit., p. 251. |
C’est en jouant de cette dialectique que, par exemple, un peintre véritable se démarque d’un barbouilleur du dimanche. Et c’est aussi par là, ajouterons-nous, qu’il se dote d’une identité. Pourquoi introduire cette notion supplémentaire à un feuilletage conceptuel déjà suffisamment épais ? C’est que nous ne perdons de vue ni les réflexions initiales de Floch sur le bricolage et sa caractérisation, ni les divers autres développements qu’il en tire et qui, à ce qu’il nous semble, sont à rapprocher des propositions de Landowski sur la création. |
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4. « Production personnelle de sens » Si Floch établit un lien entre la question de l’identité du créateur et la pratique du bricolage, c’est en premier lieu parce qu’il reste fidèle à la pensée de Lévi-Strauss, pour qui le bricoleur, « sans jamais remplir son projet, (…) y met toujours quelque chose de soi » : « par les choix qu’il opère entre des possibles limités, [il raconte] le caractère et la vie de son auteur »30. |
30 La pensée sauvage, op. cit., p. 32 (souligné par nous). |
Et c’est en second lieu parce qu’il établit un rapport d’homologie entre deux dialectiques : d’une part celle du bricoleur qui, pour « faire du neuf avec du vieux », est amené à osciller sans cesse entre, d’un côté, ce que l’histoire et la culture ont engrammé (voire programmé) dans les « débris » et les outils qu’il collecte, et de l’autre l’innovation créative qu’il cherche à en faire surgir ; d’autre part la dialectique que Paul Ricœur propose pour rendre compte de la construction de l’identité d’un sujet31. Selon Ricœur, une telle construction oscille aussi entre « sédimentation et innovation » : entre, d’un côté, la réitération routinière et fossilisante de signes de reconnaissance, et de l’autre, l’irruption libératrice du soi accompli moyennant l’abolition de cette routine qui embourbe dans l’existant. |
31 Cf. P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, analyse reprise par Floch dans « Deux jumeaux si différents, si semblables. L’identité selon Waterman », Identités visuelles, op. cit. |
Dans la formulation de ce qu’il appelle « l’identité narrative », Ricœur oppose donc deux forces. La première, qu’il dénomme le « caractère », est la force d’inertie, de perpétuation, de continuation et de conformité qui pousse le sujet à reproduire par simple habitude certains traits dont la répétition régulière le font, certes, conventionnellement reconnaître par autrui, mais dont l’utilisation de nature programmatique aboutit à leur dé-sémantisation, à leur in-signifiance, et finit par « entartrer » le sujet, comme disait Floch, qui la définit comme « ce par quoi on est reconnu »32. |
32 Identités visuelles, op. cit., p. 38. |
L’autre force, qui s’y oppose, est dénommée indifféremment par Ricœur « parole tenue » ou « maintien de soi ». Contrairement à ce que ces deux expressions pourraient laisser entendre, il s’agit d’une force d’innovation. Elle amène à rompre avec les acquis construits et sédimentés par la force précédente, qui par leur in-signifiance étouffent ou fossilisent l’identité du sujet, faisant ainsi obstacle au plein accomplissement de ses potentialités. Ricœur la qualifie de force de persévérance, d’autonomie et de constance à se réaliser pleinement en tant que sujet — ce que Floch reformule comme « ce à quoi on marche »33. La pensée de Ricœur fait ici écho, mutatis mutandis, à celle de Lévi-Strauss pour qui, on l’a vu, l’activité du bricoleur « est aussi libératrice, par la protestation qu’elle élève contre le non-sens », ce que Floch n’a évidemment pas manqué de remarquer. |
33 Ibid. |
Pour notre part, nous reconnaissons là la transition entre le régime de l’in-signifiance programmatique et celui de l’ajustement, telle que Landowski la décrit. Il s’agit du processus par lequel, grâce à une sorte de sursaut salutaire, le programmateur prend conscience du fait qu’il a cessé d’être le sujet des régularités qu’il s’était imposées et qu’il en est devenu l’objet. Jusqu’à ce qu’« un beau jour » il en vienne à s’interroger sur le pourquoi de tous ces algorithmes impeccables. Constatant alors qu’ils n’avaient aucun sens et qu’à les suivre il n’a fait que perdre son temps [mais aussi se perdre lui-même], il trouvera peut-être la force de les transgresser, de les dépasser vers un régime autre, où du sens et de la valeur pourraient de nouveau émerger de l’interaction parce qu’elle aurait enfin cessé d’être programmée : celui de l’ajustement.34 |
34 E. Landowski, Les interactions risquées, Limoges, PULIM, 2005, p. 75. |
Il est extrêmement regrettable que par la force des choses, Floch, mort prématurément en 2001, n’ait pu avoir connaissance des perspectives théoriques nouvelles ouvertes à peine quelques années plus tard en socio-sémiotique par l’ampleur et la profondeur des développements issus des travaux de Landowski. Il est tout aussi regrettable qu’il n’ait pas eu le loisir de pousser ses réflexions sur le bricolage au-delà de ce que nous en savons par la lecture des six essais regroupés dans Identités visuelles35. Toutefois, grâce au témoignage apporté par un de ses anciens clients, Gérald Mazzalovo, alors président de la société Loewe, sur son activité de « praticien de la sémiotique commerciale », nous avons accès à des extraits de certains de ses travaux inédits. Ils ont été présentés en 2007 lors du colloque Bricolage et signification. Jean-Marie Floch : pratique descriptive et réflexion théorique, organisé à Urbino sous la direction de Giulia Ceriani, puis publiés en 2008 dans la revue de l’Association italienne de sémiotique, E/C36. Parmi eux, on trouve le carré sémiotique suivant, conçu par Floch à partir de la mise en contrariété des deux « forces » thématisées par Paul Ricœur : |
35 La problématique du bricolage est absente de son dernier ouvrage, Une lecture de « Tintin au Tibet » (Paris, P.U.F., 1997), de même que de celui édité à titre posthume par J. Collin, Lecture de « La Trinité » d’Andrei Roublev (P.U.F., 2009). 36 G. Mazzalovo, « Exemples d’applications de la sémiotique de Jean-Marie Floch à la gestion des marques », Actes du colloque Bricolage e significazione, CISL, Urbino, 2007. |
Document de travail manuscrit, inédit, de Jean-Marie Floch sur la marque Loewe Arrêtons-nous tout d’abord sur la formulation des deux termes primitifs, c’est-à-dire des contraires (notés en caractères d’imprimerie) du carré ci-dessus. S’agissant d’une analyse des différentes approches qu’une marque peut adopter pour concevoir son offre et rendre possible son identification par la clientèle visée, il n’est guère étonnant de voir le « caractère » ricœurien (corrélé aux notions de « perpétuation, continuation, conformité ») sémiotiquement traduit en termes d’« exploitation assumée de signes », sous-tendant ce que Floch désigne par « ce par quoi on est reconnu ». De fait, d’innombrables marques se contentent d’imprimer ad libitum leur livrée ou leur « griffe » sur les produits de leurs gammes, par pur tropisme et sans grand discernement. Tel est en particulier le cas de toutes ces marques dites de luxe pour lesquelles la valeur ajoutée proposée se résume à l’affichage de leur logo, censé transférer automatiquement on ne sait quel prestige sur les objets qu’elles vendent, comme si l’acte d’achat relevait du pur réflexe programmé ou dépendait de quelque principe de causalité. Du monogramme d’un Louis Vuitton au tartan d’un Burberry’s (tous deux suggérés par Mazzalovo), les exemples ne manquent pas. Sans parler d’un Pierre Cardin, dont les excès dans ce domaine ont entraîné la complète disparition par éviction hors de son secteur d’origine37. |
37 Cette marque, née et réputée dans le domaine de la haute couture, est allée par la suite, sous la forme dite de « franchises », jusqu’à griffer des stylos à bille, des briquets jetables et même des poêles à frire ! |
Cependant, les marques commerciales sont loin d’être les seules à s’enfermer dans une stratégie de ce type. Dans le domaine de la peinture contemporaine, qu’il suffise d’évoquer le mouvement Supports / Surfaces, et en particulier l’un de ses fondateurs, Claude Viallat, dont toute l’œuvre se résume à la répétition ininterrompue depuis ses débuts — et donc cette fois ad nauseam — d’un unique motif abstrait, systématiquement reproduit en plusieurs exemplaires à l’identique quelle que soit la matière sur laquelle il est appliqué, à la manière des papiers-peints industriels. En vis-à-vis de cette « exploitation assumée de signes », associée au « caractère », la « production personnelle de sens » traduit le concept de « maintien de soi » (qui, lui, est corrélé aux notions de « persévérance, constance, autonomie »), définissant selon Floch « ce à quoi on marche ». A cela correspond ce que, dans le domaine commercial, on appelle précisément les marques « de créateur ». Mazzalovo suggère Yves Saint Laurent dans la haute couture, mais on peut aussi mentionner Serge Lutens en parfumerie, Pierre Hermé en pâtisserie, Michel Bras en cuisine38, etc. Elles ont en commun d’émaner de l’activité constamment inventive d’individus exceptionnellement talentueux, « hors normes », indépendants et en permanence soucieux d’éviter de se répéter ou de tomber dans le piège du « filon » exploitable sans fin. Pour ce qui est de la peinture, on peut de même opposer au tropisme typique d’un Viallat et à l’ennuyeuse monotonie de sa production, le talent, par exemple, d’un Picasso, la créativité que manifeste la quête qu’il n’a jamais cessé de poursuivre et l’éblouissante inventivité qui l’émaille, avec toute la variété qu’offrent ses différentes périodes, époques, genres, techniques et procédés. |
38 Cf. Identités visuelles, « L’Ève et la cistre », pp. 79-106. |
Quant aux termes subcontraires du même carré, ce sont les commentaires manuscrits de Floch qui permettront le mieux de saisir et d’apprécier les deux nouvelles logiques qu’ils recouvrent. Il décrit la négation de la position précédente — la « production non-personnelle de sens » — comme le résultat d’une certaine « perméabilité aux modes, aux tendances » et d’une « adaptation à la demande ». Cette définition, aussi lapidaire qu’exacte, que Floch nous donne ici, incidemment, du marketing s’applique à la stratégie d’une infinité de marques (raison pour laquelle mieux vaut n’en citer aucune !) dont les productions sont conçues très précisément pour séduire une demande « déjà là », en se pliant avec habileté (pour ne pas dire rouerie) aux diktats de la mode et en se coulant dans l’air du temps. Le benchmarking39 aidant, ces produits se limitent bien souvent au plagiat, voire à l’imitation plus ou moins servile des offres concurrentes. Dans le domaine de l’art, les œuvres d’un Jeff Koons aujourd’hui, d’un Andy Warhol ou d’un Roy Lichtenstein autrefois, nous semblent bien illustrer cette position où la part « personnelle » de l’artiste est niée, au détriment de sa « patte » et au profit d’effets mécaniques impersonnels, volontairement recherchés. Roy Lichtenstein ne déclarait-il pas lui-même vouloir produire un style « aussi artificiel que possible » ? Et il semble bien qu’il y soit parvenu, tant ses imitations de bandes dessinées ou de publicités frôlaient le plagiat des auteurs anonymes de ces arts mineurs. A tel point qu’à plusieurs reprises et dans divers pays Jeff Koons a effectivement été condamné en justice pour plagiat. |
39 La pratique du benchmarking, très répandue en marketing, consiste à « partir à la pêche aux bonnes idées » en s’adonnant à une veille concurrentielle sectorielle régulière. L’objectif est de s’inspirer des trouvailles en circulation, de les plagier ou purement et simplement de les copier. |
Enfin, c’est sur le quatrième et dernier poste de son modèle, celui de « l’exploitation non-assumée de signes », que Floch aurait pu, nous semble-t-il, mentionner la notion de bricolage... bien qu’il ne l’ait pas fait. Etant donné le caractère lacunaire du document sur ce point, il ne s’agit donc que d’une hypothèse. Mais elle nous paraît suffisamment étayée par la description qu’il donne par ailleurs de cette approche. Il la définit par le « détournement des codes » et par « l’in-dépendance, l’in-solence » (sic) du créateur. Si, comme nous le croyons, on peut substituer au terme de « codes » ceux de règles, de normes ou de signes conventionnels, alors c’est bien de la logique du bricolage qu’il est ici question. Et si, en parallèle, on comprend l’in-dépendance, et l’in-solence qu’il y attache, comme deux des formes que peut prendre la « protestation contre le non-sens » dont parle Lévi-Strauss, alors notre hypothèse semble solide. A titre d’exemples de marques commerciales obéissant à cette logique, rappelons les détournements, déjà évoqués plus haut, des codes du vestiaire masculin opérés par Chanel, dont l’audace choqua tant de ses contemporains, ou l’inversion des codes du logo IBM par Apple40. En matière d’art, on a vu également les détournements, plus savants il est vrai, auxquels Kandinsky se livrait sur l’iconographie religieuse traditionnelle. Plus près de nous, mentionnons les collages de Max Ernst, eux qui ont si fortement inspiré Lévi-Strauss qu’il va jusqu’à déclarer que c’est de lui, Max Ernst, et des surréalistes, qu’il a « appris à ne pas craindre les rapprochements abrupts et imprévus ». Toujours à propos de Max Ernst, il écrit en outre ceci : |
40 Cf. « La voie des logos », Identités visuelles, op. cit., pp. 53 et 60. |
Il a construit des mythes personnels au moyen d’images empruntées à une autre culture : celle des vieux livres du XIXe siècle, et il a fait dire à ces images plus qu’elles ne signifiaient quand on les regardait d’un œil ingénu.41 Détourner pour faire dire plus, pour « faire rendre davantage », selon l’expression que Landowski emprunte à Sartre42, et, ce faisant, cultiver l’insolence (conduite assimilable à une forme d’ajustement43), voilà autant d’indices accumulés qui pointent en faveur d’un rapprochement, ne serait-ce que partiel, entre cette pratique culturelle, « bricoler », et ce régime d’interaction et de sens, « s’ajuster ». |
41 Cl. Lévi-Strauss, De prés et de loin, Paris, Odile Jacob, 1988, p. 54 (souligné par nous ; cité par J.-M. Floch, Identités visuelles, p. 5). 42 « Voiture et peinture... », art. cit., p. 243. 43 Cf. E. Landowski, « Plaidoyer pour l’impertinence », Actes Sémiotiques, 116, 2013. |
A ce constat s’ajoute le fait que dans le modèle mis au point par Floch, la position complémentaire en relation d’implication — à savoir la « production personnelle de sens » — va de pair avec ce que Ricœur appelle le « maintien de soi ». Autrement dit, cette position, et elle seule, autorise le plein accomplissement des potentialités du sujet, le plein épanouissement de son talent. Cela grâce à la protestation, audacieuse mais libératrice, que le sujet exprime en bricolant. L’ensemble de la déixis négative du carré de Floch relève par conséquent du régime de l’ajustement, comme le montre le diagramme ci-après. Si, contrairement à l’ingénieur, le bricoleur opère créativement, c’est en vertu des propriétés de ce régime. Symétriquement, on peut homologuer les deux postes de la déixis positive à l’approche programmatique que privilégie « l’ingénieur-fabricant ». En effet, si le « caractère », tel que défini par Ricœur puis interprété par Floch, présente toutes les caractéristiques du régime de la programmation stricto sensu, la position qui lui est complémentaire, à savoir l’imitation / plagiat, en relève également. Dans la mesure où on peut considérer, avec Landowski, que « l’adaptation unilatérale d’un acteur à un autre relève de la programmation »44, il est clair que la « production non-personnelle de sens » — que Floch caractérise par l’habileté à s’adapter aux modes et aux tendances, à les suivre, à les reproduire parfois littéralement — s’inscrit dans ce même régime d’interaction. |
44 Les interactions risquées, op. cit., p. 40. |
D’où la schématisation suivante : |
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A partir de cette schématisation, il est possible de tracer le parcours « idéal » du bricoleur-créateur. Refusant d’exploiter tels quels les éléments à sa disposition, il entreprend de les détourner : opération audacieuse qui, dans le meilleur des cas, permettra l’avènement, l’épanouissement et peut-être même la reconnaissance de son talent créatif. Mais il est aussi possible de mettre en évidence le risque inhérent à une telle entreprise. En toute logique interactionnelle, si c’est au régime de l’ajustement que nous associons la création par bricolage, alors le régime de risque dont elle dépend est celui de l’« insécurité » : bricoler, c’est s’aventurer « au seuil de l’accident ». Ce qui guette le bricoleur à titre personnel, c’est le danger du « fiasco »45. Rien n’assurait Gabrielle Chanel du succès qu’elle allait connaître avec les audaces provocantes de ses tenues « à la garçonne » qui donnaient à la silhouette féminine une allure androgyne. Rien, bien au contraire, ne garantissait non plus aux surréalistes l’engouement qu’allait susciter leur mouvement, à la base fortement frondeur ; et personne n’aurait pu prédire la trace profonde qu’ils allaient laisser dans l’histoire de l’art. |
45 Cf. Les interactions risquées, op. cit., section 6, « Au risque du sens ». |
Néanmoins, le plus grand de tous les risques que peut courir le bricoleur-créateur est encore ailleurs. Paradoxalement, c’est celui de renoncer à la prise de risque, de ne plus oser oser, de s’installer et, pour plus de sécurité ou faute d’imagination créatrice, de se conformer à soi-même, à sa propre invention, devenue norme. Ne plus prendre de risques, c’est en effet prendre le risque, fatal, que s’enclenche le parcours inverse de celui que nous venons de décrire. A partir de la reconnaissance de son talent par autrui et du succès qui s’ensuit, le créateur-bricoleur risque, d’une part, de voir le résultat de son travail élevé au statut de « style » (au sens normatif commun du terme), c’est-à-dire, en fait, réduit à celui d’une unité paradigmatique normée de plus, moyennant le troisième « mouvement de pont-levis » que Floch décrit à propos de la praxis énonciative46. Mais d’autre part et surtout, le risque qu’un tel cas de figure fait courrir au créateur consiste pour lui à céder à la tentation de s’auto-plagier, de se contenter d’imiter ce qu’il a initialement produit, de l’exploiter habilement comme un « filon », autrement dit de tomber dans le tropisme de la répétition, sans que rien de nouveau ou de hors-norme ne fasse plus émerger quoi que ce soit de « non prévu » qui pourrait satisfaire sa propre « attente de l’inattendu » ou celle de ses contemporains. Landowski relève lui-même ce paradoxe du créateur qui, s’il tient à l’identité que son talent lui a un jour conféré, est « condamné » à se remettre indéfiniment en question et à se renouveler au lieu d’ériger ses propres productions en normes immuables : par dessus tout, ne pas s’y plier ! même si d’autres s’en chargent à sa place. |
46 Cf. Identités visuelles, p. 172. |
Que pour l’entourage elles [ses productions] deviennent un jour la règle, ou de règle, au fond peu importe ! Ce qui compte bien davantage, c’est qu’elles ne le deviennent pas pour lui. Car si elles le devenaient, non seulement il ne ferait plus que se répéter, travers toujours pesant pour l’entourage, mais surtout, vis-à-vis de lui-même, cela voudrait dire que son rapport au monde, jusqu’alors créatif parce que direct — sans médiation —, serait désormais médiatisé, et par suite régulé par une vision du monde déterminée, certes la sienne, mais néanmoins dorénavant figée. Il y aurait donc perdu le ressort même de sa créativité.47 |
47 « Plaidoyer pour l’esprit de création », art. cit., p. 271. |
Que de marques commerciales sont tombées dans ce piège de la répétition d’elles-mêmes, au point parfois d’y perdre leur identité, voire leur « âme » ! Qu’on pense par exemple à Apple : cette marque naît d’une rébellion créative contre un système qu’elle estimait « totalitaire » et donc asservissant (celui d’IBM dans les années quatre-vingt). Mais au fil du temps, faute de se remettre en question, elle s’est refermée sur elle-même au point de devenir peu à peu, à son tour, un système que beaucoup jugent tout aussi rigide que celui de son concurrent d’origine. Les commentaires allant dans ce sens sont aujourd’hui légion sur l’internet. Depuis une dizaine d’années, certains vont même jusqu’à accuser Apple (et ses clients fidèles) d’être devenue une secte ! Voilà pourquoi Floch affirmait que l’identité d’une marque, envisagée sous l’angle de « ce à quoi elle marche », « implique des refus clairs et réitérés, ainsi que des abandons et des ruptures ». Une marque « ne se comprend et ne peut s’apprécier qu’à partir du refus de la simple perpétuation de l’existant »48. Comme bien d’autres entreprises (sémiotique comprise !), elle ne peut continuer de vivre qu’à condition de se libérer de ce qui certes, d’un côté — pour les autres — l’identifie et lui permet d’être reconnue, mais aussi, d’un autre côté, pourrait finir par l’étouffer. Question d’éthique du créateur, disait-il. |
48 « Logiques de persuasion du consommateur et logiques de fidélisation du client », Cahiers de l’IREP, 1994, pp. 13-14. |
Ainsi conçu, le bricolage, que ce soit celui d’une identité visuelle ou de tout autre objet, s’avère un mode de création particulièrement fructueux en raison de ce qu’il exige de prise de distance par rapport à ce que l’usage impose comme norme ou fixe comme règle. Cela ne se limite pas aux objets matériels relevant des sphères du design ou de la production artistique ou commerciale mais touche aussi à des « objets de pensée », des concepts, qui circulent dans le domaine de la recherche, y compris sémiotique. C’est ce que, sans l’exprimer exactement dans ces termes, Landowski revendique dans son « Plaidoyer pour l’esprit de création », et ce que déjà Floch formulait — explicitement — dans son introduction à Identités visuelles en se déclarant « persuadé qu’il existe aussi un droit au bricolage — sinon une vertu du bricolage — dans les recherches et les projets “à vocation scientifique” »49. Et il en donne même, en pratique, méthodologiquement, un bel exemple lorsque, en 1986, dans sa « Lettre aux sémioticiens de la terre ferme », pour inventer sa célèbre axiologie de la consommation, il transforme — de manière à première vue tout à fait incongrue — la relation d’implication logiquement établie de longue date entre « valeurs d’usage » et « valeurs de base » en une relation de contrariété. A ce moment risqué, un autre regard sur l’« acquis » débouche sur une « bizarrerie » qui constitue une vraie innovation théorique50. En transgressant ainsi l’usage, en dépassant créativement les règles — en l’occurrence celles, pour ainsi dire sacro-saintes, qui fondent la construction du « modèle constitutionnel » —, il bricolait déjà. A notre tour, à une échelle plus modeste, nous avons pris ici ce genre de risque en transformant la contradiction qui oppose la programmation à l’ajustement dans le modèle interactionnel « standard » en une relation de contrariété entre ces deux régimes, ce qui nous a permis de les homologuer respectivement à chacune des déixis du carré de Floch. Pour opérer cette réorganisation conceptuelle qui, à notre sens, apporte un éclairage neuf, nous avons en somme procédé par bricolage à partir des modèles respectivement proposés par chacun des deux auteurs pris pour référence. Comme eux, nous avons suivi un chemin qu’on peut certes qualifier d’« hérétique » puisqu’il enfreint certaines règles de méthode51. Mais, comme pour eux en leur temps, telle était la condition nécessaire pour continuer, aujourd’hui, d’avancer. |
49 Identités visuelles, p. 8. 50 « Lettre aux sémioticiens de la terre ferme », Actes Sémiotiques-Bulletin, IX, 37, 1986 ; rééd., Acta Semiotica, II, 3, 2022. A propos de la « bizarrerie » (le terme est de Floch) de cette audacieuse transformation, cf. J.-P. Petitimbert, « Lecture critique et (re)valorisation sémiotique de la valeur “critique” chez J.-M. Floch », Acta Semiotica, II, 3, 2022. 51 Sur ce genre d’apparentes « hérésies », dues au fait que le statut logique d’une catégorie peut varier en fonction de ses contextes d’emploi, voir aussi le travail d’un autre bricoleur de concepts sémiotiques : A. Perusset, « La catégorisation en question », section 4 de son article sur « L’expérience au cœur du marketing postmoderne », Acta Semiotica, I, 2, 2021. |
Références Floch, Jean-Marie, « Kandinsky : sémiotique d’un discours plastique non figuratif », Communications, 34, 1981. — Petites mythologies de l’œil et de l’esprit, Paris-Amsterdam, Hadès-Benjamins, 1985. — « Lettre aux sémioticiens de la terre ferme », Actes Sémiotiques-Bulletin, IX, 37, 1986 ; rééd., Acta Semiotica, II, 3, 2022. — « Un type remarquable de sémiosis : les systèmes semi-symboliques », in Semiotic Theory and Practice, Berlin, de Gruyter, 1988 ; trad. port., Acta Semiotica, II, 3, 2022. — Sémiotique, marketing et communication. Sous les signes les stratégies, Paris, P.U.F., 1990. — « Logiques de persuasion du consommateur et logiques de fidélisation du client », in Comment parler au consommateur aujourd’hui et demain ?, Cahiers de l’IREP, 1994. — Identités visuelles, Paris, Presses Universitaires de France, 1995. Greimas, Algirdas J. et Joseph Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979. Landowski, Eric, Les interactions risquées, Limoges, PULIM, 2005. — « Avoir prise, donner prise », Actes Se?miotiques, 112, 2009. — « Voiture et peinture de l’utilisation a? la pratique », Gala?xia, XII, 2, 2012. — « Régimes de sens et styles de vie », Nouveaux Actes Sémiotiques, 115, 2012. — « Plaidoyer pour l’impertinence », Actes sémiotiques, 116, 2013. — « Politiques de la sémiotique », Rivista Italiana di Filosofia del Linguaggio, 13, 2, 2019. — « Plaidoyer pour l’esprit de création », Semiotika (Vilnius), 16, 2021. Lévi-Strauss, Claude, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962. — De prés et de loin, Paris, Odile Jacob, 1988. Mazzalovo, Gérald, « Exemples d’applications de la sémiotique de Jean-Marie Floch à la gestion des marques », Actes du colloque Bricolage e significazione. Jean-Marie Floch : pratiche descrittive e riflessione teorica, Urbino, CISL, 2007 (http://www.ec-aiss.it/archivio/tipologico/atti.php). Perusset, Alain, « L’expérience au cœur du marketing postmoderne », Acta Semiotica, I, 2, 2021. Petitimbert, Jean-Paul, « Lecture critique et (re)valorisation sémiotique de la valeur “critique” chez J.-M. Floch », Acta Semiotica, II, 3, 2022. Ricœur, Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990. |
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1 Voir J.-M. Floch, « Le “bricolage” d’un système de sens semi-symbolique », section 4 de « Kandinsky : sémiotique d’un discours plastique non figuratif », Communications, 34, 1981. Texte remanié et abondamment illustré dans Petites mythologies de l’œil et de l’esprit, Paris-Amsterdam, Hadès-Benjamins, 1985. 2 Identités visuelles, Paris, P.U.F., 1995, en particulier « Du design au “bricolage”. Introduction ». 3 La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, pp. 3-47. 4 Op. cit., p. 32. 5 Cf. « Plaidoyer pour l’esprit de création », Semiotika, 16, 2021, ou, en portugais, la version remaniée pour le présent dossier, et « Politiques de la sémiotique », Rivista Italiana di Filosofia del Linguaggio, 13, 2, 2019, pp. 15 et 17. 6 On comprend qu’il faut entendre les termes « relèvement » et « rabattement » en référence à la représentation conventionnelle des axes syntagmatique et paradigmatique sous la forme de deux droites perpendiculaires. 7 La pensée sauvage, op. cit., p. 26. 8 Identités visuelles, op. cit., p. 172. 9 La pensée sauvage, p. 27. Dans une note quelques pages plus loin, l’anthropologue précise ce qu’il entend par « résidus ». Il s’agit pour lui d’objets aux « qualités secondes », ou plus clairement de seconde main (second hand), autrement dit d’occasion, par définition usagés ou utilisés antérieurement par d’autres, « témoins fossiles de l’histoire d’un individu ou d’une société » (p. 32). 10 Ibid., p. 28 (souligné par nous). 11 L’archétype iconographique du Jugement dernier veut que, le Christ étant représenté en gloire au centre de la composition, les élus se situent à Sa droite et les réprouvés à Sa gauche. Du point de vue d’un observateur, la béatitude des bienheureux se trouve donc à gauche de l’image, tandis que l’enfer des damnés se trouve à droite. Du fait de sa simplicité, le Jugement dernier est souvent pris comme exemple pour illustrer le concept de langage semi-symbolique. Floch montre comment Kandinsky bricole en inversant cette orientation conventionnelle avec, pour l’observateur, une partie gauche à valeur dysphorique (associée au combat et à la mort) et une partie droite à valeur euphorique (associée au triomphe de l’idéal idéologique de la Vita Nova). 12 Cf. J.-M. Floch, « Un type remarquable de sémiosis : les systèmes semi-symboliques », in Semiotic Theory and Practice, Berlin, de Gruyter, 1988 ; trad. port., Acta Semiotica, II, 3, 2022. 13 Sémiotique, marketing et communication. Sous les signes les stratégies, Paris, P.U.F., 1990, « L’image pour troubler les lettrés », pp. 153-182. 14 Ibid., pp. 174-175. 15 Sémiotique, marketing et communication, « Tués dans l’œuf », p. 203. Sur la notion de rôle thématique, cf. A.J. Greimas et J. Courtés, Sémiotique. Dictionnaire, Paris, Hachette, 1979, p. 393. 16 La pensée sauvage, p. 33 (souligné par nous). Lévi-Strauss oppose ici le bricoleur au « savant » plutôt qu’à l’ingénieur (auquel nous en viendrons d’ici peu, infra, 3). 17 Floch développe ces réflexions plus en détail, à la lumière des travaux sur l’identité narrative menés par le philosophe Paul Ricœur, dans « Deux jumeaux si différents, si semblables. L’identité selon Waterman », Identités visuelles, op. cit. Nous allons y revenir (infra 4). 18 Op. cit., « La liberté et le maintien. Esthétique et éthique du total look de Chanel ». 19 Op. cit., « La voie des logos. Le face-à-face des logos IBM et Apple ». 20 Jusqu’où faudra-t-il aller avant que nous respections la planète ? (notre traduction). 21 La pensée sauvage, op. cit., p. 32. 22 J.-M. Floch, Identités visuelles, op. cit., « Le couteau du bricoleur. L’intelligence au bout de l’Opinel », pp. 181-213. 23 « Avoir prise, donner prise », Actes Se?miotiques, 112, 2009. 24 « Avoir prise... », § I.3, « Manipuler ou manœuvrer ? ». 25 E. Landowski, « Régimes de sens et styles de vie », Nouveaux Actes Sémiotiques, 115, 2012. 26 « Politiques de la sémiotique », art. cit. (2.2 « Quarante ans après : une pluralité de régimes », pp. 15-17). 27 Ibid., p. 15. 28 « Voiture et peinture : de l’utilisation a? la pratique », Gala?xia, XII, 2, 2012. 29 Art. cit., p. 251. 30 La pensée sauvage, op. cit., p. 32 (souligné par nous). 31 Cf. P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, analyse reprise par Floch dans « Deux jumeaux si différents, si semblables. L’identité selon Waterman », Identités visuelles, op. cit. 32 Identités visuelles, op. cit., p. 38. 33 Ibid. 34 E. Landowski, Les interactions risquées, Limoges, PULIM, 2005, p. 75. 35 La problématique du bricolage est absente de son dernier ouvrage, Une lecture de « Tintin au Tibet » (Paris, P.U.F., 1997), de même que de celui édité à titre posthume par J. Collin, Lecture de « La Trinité » d’Andrei Roublev (P.U.F., 2009). 36 G. Mazzalovo, « Exemples d’applications de la sémiotique de Jean-Marie Floch à la gestion des marques », Actes du colloque Bricolage e significazione, CISL, Urbino, 2007. 37 Cette marque, née et réputée dans le domaine de la haute couture, est allée par la suite, sous la forme dite de « franchises », jusqu’à griffer des stylos à bille, des briquets jetables et même des poêles à frire ! 38 Cf. Identités visuelles, « L’Ève et la cistre », pp. 79-106. 39 La pratique du benchmarking, très répandue en marketing, consiste à « partir à la pêche aux bonnes idées » en s’adonnant à une veille concurrentielle sectorielle régulière. L’objectif est de s’inspirer des trouvailles en circulation, de les plagier ou purement et simplement de les copier. 40 Cf. « La voie des logos », Identités visuelles, op. cit., pp. 53 et 60. 41 Cl. Lévi-Strauss, De prés et de loin, Paris, Odile Jacob, 1988, p. 54 (souligné par nous ; cité par J.-M. Floch, Identités visuelles, p. 5). 42 « Voiture et peinture... », art. cit., p. 243. 43 Cf. E. Landowski, « Plaidoyer pour l’impertinence », Actes Sémiotiques, 116, 2013. 44 Les interactions risquées, op. cit., p. 40. 45 Cf. Les interactions risquées, op. cit., section 6, « Au risque du sens ». 46 Cf. Identités visuelles, p. 172. 47 « Plaidoyer pour l’esprit de création », art. cit., p. 271. 48 « Logiques de persuasion du consommateur et logiques de fidélisation du client », Cahiers de l’IREP, 1994, pp. 13-14. 49 Identités visuelles, p. 8. 50 « Lettre aux sémioticiens de la terre ferme », Actes Sémiotiques-Bulletin, IX, 37, 1986 ; rééd., Acta Semiotica, II, 3, 2022. A propos de la « bizarrerie » (le terme est de Floch) de cette audacieuse transformation, cf. J.-P. Petitimbert, « Lecture critique et (re)valorisation sémiotique de la valeur “critique” chez J.-M. Floch », Acta Semiotica, II, 3, 2022. 51 Sur ce genre d’apparentes « hérésies », dues au fait que le statut logique d’une catégorie peut varier en fonction de ses contextes d’emploi, voir aussi le travail d’un autre bricoleur de concepts sémiotiques : A. Perusset, « La catégorisation en question », section 4 de son article sur « L’expérience au cœur du marketing postmoderne », Acta Semiotica, I, 2, 2021. |
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______________ Résumé : Cet article est consacré à un mode spécifique de création : le bricolage. Partant des récentes réflexions d’E. Landowski sur la question (cf. « Politiques de la sémiotique » et « Plaidoyer pour l’esprit de création »), nous nous proposons de les prolonger en les confrontant avec celles menées il y a bientôt trente ans par Jean-Marie Floch, notamment dans Identités visuelles. L’objectif est de mettre en évidence les convergences, et surtout les complémentarités entre ces deux auteurs, en particulier dans leur compréhension de l’attitude qu’adopte le créateur pour l’un, et le bricoleur pour l’autre, vis-à-vis des normes et des conventions fixées, voire érigées en règles par l’usage. Ce faisant, ce travail est amené à envisager un changement de nature dans la relation « standard » entre les deux régimes d’interaction en jeu que sont la programmation d’une part et l’ajustement d’autre part. Resumo : O artigo trata de um modo específico de criação : a bricolagem. Confronta-se as recentes reflexões de E. Landowski em “Politiques de la sémiotique” e “Plaidoyer pour l’esprit de création” com aquelas que foram desenvolvidas por J.-M. Floch nos anos 1980-90, especialmente no livro Identités visuelles. O objetivo é mostrar as convergências, e sobretudo a complementaridade entre os dois autores na compreensão da atitude adotada tanto pelo “criador” quanto pelo “bricoleur” face às normas e convenções elevadas ao estatuto de regras pelo uso. Esse trabalho conduz a enxergar |uma mudança de natureza na relação estabelecida pelo “modelo standard” entre dois dos regimes interacionais, a programação e o ajustamento. Abstract : This article deals with a specific mode of creation : bricolage. Based on E. Landowski’s recent reflections on this subject (in “Politiques de la sémiotique” and “Plaidoyer pour l’esprit de création”), it confronts them with those carried out almost thirty years ago by Jean-Marie Floch, notably in his book Identités visuelles. It endeavours to highlight the convergences, and above all the complementarities, between these two authors, in particular in their understanding of the attitude adopted by both Landowski’s “creator” and Floch’s “bricoleur” with regard to the norms and conventions set, or even erected as rules, by usage. In so doing, this work is led to consider a change in the nature of the “standard” relationship between the two regimes of interaction at play, namely programming on the one hand and adjustment on the other. Mots clefs : ajustement, bricolage, création, praxis énonciative, programmation, semi-symbolisme, usage. Auteurs cités : Jean-Marie Floch, Algirdas J. Greimas, Eric Landowski, Claude Lévi-Strauss, Gérald Mazzalovo, Alain Perusset, Paul Ricœur. Plan : 2. Déformations et dénonciations |
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Recebido em 11/08/2022. / Aceito em 11/09/2022. |