Miscellanées : Une sémiotique en mouvement

Miscellanées — Présentation :
Complexifications interactionnelles

Eric Landowski
Paris, CNRS – São Paulo, CPS

Publié en ligne le 22 décembre 2021
https://doi.org/10.23925/2763-700X.2021n2.56786
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A la mémoire de Per Aage Brandt

Contre toute attente et pour notre plus grande tristesse, l’article qui ouvre cette rubrique, « Pragmatics and Semiotics », est une contribution posthume. Per Aage Brandt, son auteur, qui nous avait confié ces pages il y a seulement quelques mois, vient de nous quitter, le 11 novembre. Poète, musicien de niveau professionnel, philosophe, théoricien du langage et de la musique, et un des plus éminents sémioticiens de notre génération commune (la « génération 68 »), il était aussi un des auteurs-chercheurs les plus attachés à cette revue, régulièrement sollicité par nous depuis la lointaine création des Actes Sémiotiques-Documents, parce que constamment porteur d’idées nouvelles1. C’est une perte immense. Ceux qui l’ont connu n’oublieront jamais son extraordinaire agilité d’esprit, sa franchise dans les relations, l’étendue de sa culture, son imagination et le côté poétique de ses raccourcis de pensée, sa capacité d’abstraction et sa manière même d’être, son regard interrogateur, l’élégance persuasive, le naturel de ses interventions orales même les plus ardues, sa gestualité si personnelle, presque dansante, son rythme d’élocution syncopé comme une mélodie, et sa manière de scander ses propos les plus inventifs par des « bien sûr » de modestie.

1 Pour ce qui concerne seulement la dernière décennie, on trouvera « en ligne », dans Actes Sémiotiques (2012-2020) puis Acta Semiotica (2021) pas moins de dix articles de Brandt, y compris une très sérieuse « Introduction à l’usage des non-initiés courageux » (Actes Sémiotiques, 121, 2018). Texte encore inédit, « La petite machine de la musique » paraîtra dans le prochain numéro (AS, II, 3, 2022), suite à un forum sur le Rythme qui s’est tenu au printemps 2021 à son instigation.

Son article ci-après offre un aperçu concernant les fondements théoriques et les apports analytiques d’une des facettes de son œuvre2, à savoir la perspective qu’il s’est attaché à construire sous le nom de sémio-pragmatique : une théorie de la signification issue pour l’essentiel des mêmes sources que la conception greimassienne, et comme elle touchant tous les niveaux de la génération du sens. Fourmillant d’observations et de suggestions précieuses, abordant les registres les plus divers — de la pensée diagrammatique à la musique, des tropes à la philosophie politique —, ce texte (conçu « pour un public anglo-sémiotique », nous avait-il écrit avec son brin d’auto-ironie habituel) illustre bien, à la fois, et la visée englobante et le style argumentatif inconfondable de l’auteur, sa démarche et ses points d’aboutissement, qui souvent (autre constante) ne manquent pas d’une pointe de provocation.

2 Voir la présentation approfondie qu’en donne Jean Petitot en tête de ce numéro, ainsi que l’entretien de Brandt avec Kestutis Nastopka.

1. Récalcitrance et complexification

A l’article de Per Aage Brandt fait suite une réflexion de Tatsuma Padoan sur les enseignements, les inflexions théoriques et de méthode qui, pour un sémioticien, se dégagent d’une expérience ethnographique vécue sur le terrain et riche en épreuves, cognitives et autres. Puis la critique sémiotique en règle, par Jean-Paul Petitimbert, d’une technique de gouvernance à base programmatique aujourd’hui très en vogue dans les sphères dirigeantes, le « nudging », dont on verra comment il permet de faire « démocratiquement » fi des facultés intellectuelles des citoyens. Ensuite, un essai de modélisation des mouvements socio-politiques protestataires, par Elder Cuevas-Calderón et Eduardo Yalán Dongo, où la systématicité de la construction conceptuelle se marie avec la radicalité d’un engagement passionné en faveur d’une sémiotique politique à visée émancipatrice. Et enfin, un retour sur la question de l’esthésie en politique (E. Landowski).

L’hétérogénéité thématique de ces contributions est donc évidente.

 

1.1. Hétérogénéité, mais cohésion

Et pourtant les cinq textes présentent suffisamment d’aspects communs pour justifier à notre sens leur regroupement — non pas, certes, en un « dossier » en bonne et due forme mais du moins sous l’étiquette de miscellanées, « recueil d’écrits divers », dit le dictionnaire : divers, c’est certain, mais non pas pour autant sans connexions. Chacun de ces textes témoigne en effet d’une rencontre avec un échantillon particulier d’une vaste classe d’éléments que Tatsuma Padoan qualifie, on le verra, de récalcitrants. Que ces éléments soient des sujets ou des objets, des situations, des pratiques, des dispositifs ou des dynamiques, ici ils partagent tous un trait commun : ne pas « obéir » à ce qu’on attend d’eux habituellement. Plus précisément, soumis à l’analyse, ils n’entrent pas ou entrent mal dans le cadre des modèles existants. Etant admis qu’en pareil cas ce sont les modèles (et non la matière à modéliser) qu’on peut et donc qu’il faut changer, il s’agit d’éléments qui, si on veut véritablement en rendre compte, obligent par conséquent à réexaminer, amender ou compléter, à « complexifier » les procédures d’analyse ou les schémas théoriques établis.

En tant que qualité inhérente aux objets de connaissance, la « complexité » intéresse, comme on le sait, l’ensemble des sciences, humaines et sociales incluses. C’est le thème que développe Guido Ferraro en tête de ce numéro, relativement au champ sémiotique (voir la rubrique « Le point sémiotique »). Ici en revanche, le centre d’intérêt se déplace vers l’idée toute proche de complexification, comprise comme procédure heuristique visant au perfectionnement des modèles théoriques. En l’occurrence, « complexifier » ne signifie donc pas exactement, comme le voudrait la définition première du terme, « rendre complexe quelque chose de simple ». Il s’agit plutôt, à propos chaque fois d’un objet déterminé, de retravailler une problématique déjà existante, et déjà relativement complexe, dans le but de l’articuler plus finement et d’aboutir à une conceptualisation plus efficace. Qu’il s’agisse de la saisie du sens entre le « conceptuel » et le « contextuel » selon une optique où les dimensions sémiotique et pragmatique se rejoignent (P. Aa. Brandt), de la négociation des statuts identitaires dans des rapports intersubjectifs (T. Padoan) ou de la caractérisation sémiotique de pratiques sociales comme le « nudge », la « protesta » ou la démagogie, chacun des auteurs part d’une problématisation considérée comme généralement admise pour en proposer le dépassement moyennant une réarticulation en termes plus complexes.

 

Les cinq contributeurs assument ainsi, à des degrés et selon des styles divers, le rôle d’audacieux réformateurs de l’ordre établi : du bon ordre sémiotique en premier lieu, mais sans prétendre s’y limiter, sachant qu’une audace sémiotique (à condition qu’elle soit pertinente, évidemment) est parfois le précurseur de gestes émancipateurs touchant la vie même. Brandt était de ceux qui à cet égard montraient souvent, discrètement, la voie3. Car l’audace n’a pas besoin d’être grandiloquente. Elle peut, par exemple, consister simplement à inverser une perspective d’analyse usuelle : c’est là déjà un premier germe de complexification. Dans un des dossiers de la présente livraison, c’est exactement ce que fait un autre audacieux discret, Manar Hammad, en adoptant à propos de l’actuelle pandémie la perspective, à première vue incongrue, de l’autre, celle du virus qu’il pose comme l’actant Sujet de l’intrigue face à des êtres humains ainsi réduits au statut d’Objets ou, au mieux, d’Anti-sujets4. L’article montre qu’un tel renversement suffit pour non seulement aiguiser notre regard sur le monde et, à partir de là, enrichir une problématique déjà en place, mais aussi, potentiellement, pour changer certaines attitudes sur le plan des pratiques.

3 Voir par exemple son article, « De la “sujétion”, ou Crise de la sémiotique », audace sémiotique publiée en mars 2020 dans les Actes Sémiotiques, presque aussitôt « dépubliée » par la direction en raison de son impertinence de surface, puis, à raison de la pertinence profonde de cette impertinence, republiée dans Galáxia (44, juin 2020). Dans le même ordre d’idées, voir aussi les contributions de Jacques Geninasca, Tarcisio Lancioni et quelques autres réunies in E. Landowski et G. Ceriani (éds.), Pertinente impertinence, Actes Sémiotiques, 116, 2013 (dossier initialement paru en italien : Impertinenze, Milan, Et al, 2010).

4 Cf. M. Hammad, « A pandemia é uma questão de espaço », Acta Semiotica, I, 2, 2021.

1.2. Le modèle interactionnel en débat

Mais parmi les propositions qui contribuent à rénover les points de vue, nous constatons plus spécialement l’apparition, depuis quelques années, d’un faisceau d’initiatives convergentes qui tendent vers la complexification de l’un parmi les différents modèles sémiotiques actuellement disponibles : celui qui, dans cette revue, sert d’outil privilégié pour beaucoup d’analyses, à savoir le « modèle interactionnel » désormais familier à la plupart des socio-sémioticiens. Ébauché dans Passions sans nom, il a trouvé sa formulation si on peut dire standard dans Les interactions risquées5. La publication de cet essai datant d’il y a plus de quinze ans, on comprend qu’il ait fait de notre part l’objet de divers compléments, précisions ou reformulations : autant de petites complexifications qui, introduites à l’occasion de publications éparses, devront un jour donner lieu à une présentation systématisée. Mais surtout, la mise à l’épreuve de ce modèle par d’autres chercheurs à la faveur d’analyses portant sur des objets de plus en plus variés (et souvent pour nous tout à fait inattendus !) a suscité des interrogations imprévues et toute une série de propositions d’aménagement du plus grand intérêt. Ce sont ces initiatives que nous allons passer très succinctement en revue, sans pouvoir prétendre à un recensement exhaustif.

5 Passions sans nom, Paris, P.U.F., 2004. Les interactions risquées, Limoges, Pulim, 2005.

Rappelons toutefois préalablement qu’un tel processus collectif d’approfondissement d’une problématique n’a, dans la brève histoire de notre discipline, rien de nouveau. Déjà au long des années 1970-80, à propos de l’unique syntaxe interactionnelle alors connue, celle de la manipulation, les propositions d’affinement n’ont pas manqué. Une des plus solides, qui reste à ce jour pleinement valide, aura été celle conçue par Diana de Barros, consistant à distinguer les manipulations à base subjectale du type de la flatterie ou du défi, de celles à base objectale comme la tentation et l’intimidation6. Autre exemple, à plus grande échelle : environ six ans après la parution du « Greimas-Courtés 1979 », dictionnaire conceptuel vite devenu une sorte de Bible révérée, Greimas, moins révérencieux que son entourage, enclenchait une vaste campagne de révision. C’était expressément en vue d’interroger la sémiotique narrative et discursive dans son ensemble et si possible de dépasser ses « acquis provisoires », formule quasi oxymorique tout à fait dans le style du « maître », qu’il invitait « tout le monde » (parmi les nombreux habitués de la rue Monsieur-le-Prince) à participer à la confection du « Dictionnaire 2 »7. Toutes proportions gardées, un mouvement comparable est en train de se développer, de manière non concertée, à propos des concepts clefs de l’actuelle grammaire interactionnelle : vers quelle sorte de modèle complexifié s’achemine-t-on de la sorte ?

6 Cf. D. Luz Pessoa de Barros, « Vers une sémiotique de la manipulation », Le Bulletin du Groupe de Recherche Sémio-linguistique, CNRS-EHESS, 1, 1977.

7 A.J. Greimas et J. Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, vol. 1, Paris, Hachette, 1979. A.J. Greimas et J. Courtés (éds.), Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage II (Compléments, débats, propositions), vol. 2, Paris, Hachette, 1986.

2. Dans l’entre-deux

A vrai dire, chacun des régimes de sens et d’interaction en jeu dans ce modèle (manipulation, programmation, ajustement, accident) a été conçu dès le départ comme constituant une syntaxe — une « petite machine », aurait dit Brandt — en elle-même déjà relativement complexe. C’est le cas tout d’abord de celui dont la définition originelle nous reporte le plus loin dans le passé : la manipulation, « invention » sémiotique purement greimassienne des années 1970 qu’il n’y avait d’ailleurs, à l’époque, aucune raison de considérer comme un « régime » particulier puisqu’aucun autre dont il aurait pu se démarquer n’était encore en vue.

 

2.1. Au départ, la manipulation

Le choix, par Greimas, de cette notion comme thème annuel de son séminaire (vers 1975 sauf erreur) avait pris tous ses proches au dépourvu. Pourtant, malgré ce que le terme avait à la fois d’inattendu et d’un peu suspect (s’agissait-il d’un ralliement subreptice à quelque vague psycho-sociologie ? se demandèrent quelques-uns), l’affaire, telle qu’elle fut présentée par son concepteur, parut dans un premier temps assez simple : manipuler, c’est « faire faire » — en s’interdisant de recourir à la force : par la seule persuasion, donc par une pure construction de sens, un sujet (manipulateur) téléguide un autre sujet (manipulé).

Mais autour de cette syntaxe intersubjective élémentaire apparut très vite la nécessité de prendre en compte de multiples facteurs de différenciation. Qu’il suffise d’en évoquer quelques-uns, certains d’apparition déjà ancienne, d’autres incorporés plus récemment.

i) Nous avons fait allusion plus haut à la reconnaissance de processus manipulatoires de deux ordres, significativement distincts, selon que la stratégie de persuasion adoptée repose ou bien sur la construction d’un simulacre du sujet à manipuler (positif dans la flatterie, négatif pour le défi), et donc sur des enjeux d’ordre identitaire, ou bien sur la valeur de l’objet destiné à être adressé (« conjoint ») à la partie à convaincre : valeur positive dans le cas de la tentation (« Faites ceci, il y a gros à gagner »), négative dans l’intimidation (« Faites cela, sinon il pourrait vous en coûter cher »), ce qui par contre renvoie à une philosophie de l’interaction de style utilitariste mettant en relation des sujets essentiellement rationnels, calculateurs soucieux avant toute chose de leurs propres intérêts. C’est, entre autres raisons, pour contrebalancer le privilège de fait accordé à cette seconde perspective sinon par la grammaire narrative elle-même du moins par la quasi totalité des sémioticiens en s’appuyant sur elle, qu’il nous a paru nécessaire de complexifier la théorie en faisant apparaître — à côté (et non à la place) de cette perspetive de nature en dernière instance économique — la possibilité de syntaxes interactantielles différentes, fondées sur d’autres principes que ceux de la quête, de l’échange et de la possession d’objets de valeur8.

8 Cf. « Logiques de la valeur », Passions sans nom, op. cit., chap. III, section 2.

ii) Une autre complexification qui s’est rapidement imposée concernait la réversibilité de la relation : loin d’être nécessairement à sens unique comme il avait pu sembler au stade des premières hypothèses, la manipulation admet très souvent, voire le plus souvent, l’interversion des rôles. Qui manipule qui ? Sur le terrain politique par exemple, le grand manipulateur est-il le peuple souverain, lui qui, en mandatant (parfois « impérativement ») ses représentants leur confère contractuellement le statut actantiel de sujets-héros performateurs — presque comme dans un conte populaire — censés agir en son nom et à son service ? Ou bien la manipulation ne serait-elle pas plutôt le fait desdits représentants, en tant que législateurs ? En fixant la loi et en l’accompagnant de toutes sortes de discours persuasifs, à commencer par l’« exposé des motifs » qui figure en tête des textes législatifs, ce sont bien eux en effet qui, en principe, « font faire » (ou ne pas faire) aux citoyens ce qui leur est prescrit (ou interdit)9. De même, dans les formes les plus frustes (et sans doute les plus répandues) de la prière, tout se passe comme si, par une sorte de manipulation à rebours, la divinité se trouvait placée dans une position de ne pas pouvoir ne pas faire — ne pas pouvoir ne pas accorder sa grâce — en « échange » des promesses (ou des prouesses) du fidèle10.

9 Cf. E. Landowski, « Le débat parlementaire et l’écriture de la loi », Revue française de science politique, XXVIII, 3, 1977.

10 Cf. J.-P. Petitimbert, « Les traductions liturgiques du Notre Père : Un point de vue sémiotique sur les théologies qui les sous-tendent », Actes Sémiotiques, 119, 2016. E. Landowski, « Shikata ga nai ou Encore un pas pour devenir sémioticien ! », Lexia, 11, 2012.

iii) Par ailleurs, comme le processus manipulatoire est un jeu à deux qui débouche en principe sur un accord entre volontés — un contrat —, qui lui-même, dans la majorité des cas, fixe les termes d’un échange d’objets de valeur, s’est bientôt posée la question de la « valeur des valeurs », de leur équivalence, et par suite du degré de réciprocité dans l’échange, ouvrant logiquement la voie à l’idée d’une typologie des formes du « don »11.

11 Cf. J. Fontanille, Terres de sens, Limoges, Pulim, 2018 (2e partie, section 2).

iv) Plus en profondeur, la définition du Sujet comme actant animé par un vouloir, modalité essentielle puisque c’est elle qui le rend « manipulable », a vite posé problème. D’une conception d’abord très étroite qui limitait la compétence volitive à l’expression d’une volonté entièrement libre et parfaitement consciente d’elle-même, il a fallu passer à la notion, beaucoup plus extensive, d’intentionnalité. Les plantes, par exemple, ont beau ne rien « vouloir » à proprement parler, elles n’en sont pas moins, comme tous les êtres vivants, tendues vers l’équivalent d’un but : continuer à vivre et se reproduire. Même si une telle « persévérance » est de toute évidence interprétable en termes de programmation (par « la nature »)12, c’est avec cette forme de quasi- ou de pseudo-volonté que joue le cultivateur pour faire rendre à ses plantations les fruits qu’il en attend, et cela « en échange » des soins qu’il leur prodigue13. Bien qu’en pareil cas n’intervienne aucun contrat entre des sujets de volonté, on doit admettre qu’on a là la forme objective d’un échange relevant d’une conception amplifiée, « complexifiée », de la manipulation — « forme qui advient sans volition ni devoir », comme l’observe également Manar Hammad dans un tout autre contexte, celui de la « manipulation » du corps-hôte par le virus14.

12 Cf. A. Perusset, « Les horizons de sens de la persévérance humaine » , Acta Semiotica, 1, 1, 2021.

13 Cf. G. Grignaffini, « Appunti per una sociosemiotica del giardinaggio », Acta Semiotica, 1, 1, 2021.

14 « A pandemia é uma questão de espaço », art. cit.

v) Un autre pas en avant a consisté à admettre que si, pour qu’il y ait manipulation, il faut, sur le plan actantiel, deux instances — deux sujets, ou un sujet et son destinateur — dont l’une « fait » en sorte que l’autre « fasse », en revanche, sur le plan actoriel, rien n’exclut qu’on puisse avoir affaire à un seul acteur qui, en syncrétisant les deux rôles actantiels, se ferait faire lui-même, réflexivement. De la manipulation transitive de base on passe ainsi à l’auto-manipulation. Se greffe alors la question de savoir si, plus généralement, la présence d’un Destinateur, actant essentiel dans la version standard de la grammaire narrative (puisque c’est lui qui, en fixant l’ordre des valeurs, oriente le vouloir des Sujets), est vraiment — est toujours — nécessaire. Si la réponse est oui, alors quelles sont les instances susceptibles de compenser l’effacement relatif, aujourd’hui manifeste, des figures actorielles traditionnellement chargées de l’incarner (Dieu, le Père, le Parti) ? Et si c’est non, à défaut de manipulateur-destinateur, à quoi peut-on rapporter ce qui fait agir les protagonistes ?

Avant d’examiner cette question, soulignons plus brièvement qu’au moins deux des autres « petites machines » interactionnelles ont elles aussi fait l’objet de réflexions qui en enrichissent la compréhension et la portée. C’est le cas d’abord du régime de l’accident-assentiment régi par l’aléa, à propos duquel les propositions de Franciscu Sedda et Paolo Demuru, inspirées par l’idée lotmanienne d’explosion, conduisent à une interprétation de l’accident comme producteur non pas exclusivement de non sens mais aussi, dans certaines conditions, d’un « excès », d’une prolifération et d’un renouveau du sens15. Cette ouverture ne paraît pas sans lien avec la notion greimassienne d’« éblouissement » ou, dans notre propre terminologie, d’« exclamation », mais elle en élargit considérablement la portée16. Ensuite, à propos de l’ajustement, la piste ouverte par l’idée initiale d’une forme à vocation polémique a été utilement renouvelée par les propositions de Paolo Demuru relatives à la notion d’« aggiustamento resistenziale »17 et plus récemment par celles de Pierluigi Cervelli concernant une forme d’« aggiustamento predatorio »18. Toujours à propos de ce même régime, bien que n’en utilisant pas le nom, il faut signaler la description en partie innovante qu’en donne Jacques Fontanille à propos de l’organisation et du fonctionnement des coopératives dans un des chapitres de Terres de sens, livre déjà cité. Quant à la problématique de la programmation, elle seule, par contre, ne semble pas avoir beaucoup stimulé les esprits jusqu’à présent.

15 Cf. Y. Lotman, La cultura e l’esplosione, Milan, Feltrinelli, 1993. Fr. Sedda, « Intersezione di linguaggi, esplosione di mondi. Una rima fondativa fra l’ultimo Lotman e il primo Greimas », E/C, déc. 2008. P. Demuru, « Between Accidents and Explosions : Indeterminacy and Aesthesia in the Becoming of History », Bakhtiniana, 15, 1, 2020.

16 A.J. Greimas, De l’Imperfection, Périgueux, Fanlac, 1987, pp. 13-22. E.Landowski, Interactions risquées, op. cit., pp. 82-83. Voir également K. Nastopka, « La nécessité et l’accident selon Greimas et Lotman », in T. Migliore (éd.), Incidenti ed esplosioni. A.J. Greimas, J.M. Lotman per una semiotica della cultura, Rome, Aracne, 2010.

17 Cf. P. Demuru, « A experiência do sentido, o sentido da experiência : semiótica, interação e processos sociocomunicacionais », Galáxia, 2019.

18 Voir ici même P. Cervelli, “Dopo la crisi”, Acta Semiotica, I, 2, 2021.

Mais revenons à la question qui nous occupait.

 

2.2. Régimes sans nom

L’idée d’une orientation de l’action en l’absence d’un destinateur pour la guider paraît exclue dans le cadre des définitions « canoniques ». Elle n’est pas pour autant à rejeter19. Mais elle conduit à envisager un type de complexifications différent des précédents, relatif maintenant à la dynamique du modèle interactionnel : une fois chacun des régimes défini par les différences qui le démarquent des autres, comment rendre compte du passage de l’un d’entre eux à un autre — au « suivant », selon la topographie orientée de ce modèle20 ? Par exemple, à partir de la manipulation, puisque c’est d’elle qu’il vient d’être question, comment en arrive-t-on à la programmation ?

19 Ce point a été longuement discuté à partir de plusieurs travaux de thèses au cours de l’année 2020-21 dans le cadre du Centre de recherches socio-sémiotiques de São Paulo.

20 Cf. Interactions risquées, op. cit., pp. 72-76.

Dans un contexte régi par la programmation, les notions d’intentionnalité, de faire cognitif (d’ordre persuasif ou interprétatif), d’accord entre volontés et de contrat, de Destinateur et même, tout simplement, de Sujet n’ont plus cours. Et pourtant les interactants continuent d’avoir prise les uns sur les autres, et par suite sont encore à même de se « faire agir » les uns les autres — évidemment sur la base de principes interactionnels différents21. Nul, d’ailleurs, ne s’y trompe : si dans un débat en public vous voulez faire bouillir de rage votre interlocuteur, vous userez tout naturellement de l’impertinence et de la provocation, variantes classiques de la manipulation intersubjective ; par contre, s’il s’agit de faire bouillir de l’eau dans une casserole, il est clair que mieux vaudra user de la programmation interobjectale en allumant le gaz. Ce sont là des cas simples, bien tranchés, du type même de ceux qui servent à illustrer la forme standard des régimes en question22. Mais il en est d’innombrables qui se situent entre ces pôles et, de ce fait, sont sémiotiquement plus retors, et par là même plus intéressants.

21 Cf. « Avoir prise, donner prise », Actes Sémiotiques, 112, 2009 (III. Formes de prises).

22 Interactions risquées, op. cit., pp. 18 et 20.

Prenons l’exemple de votre animal de compagnie préféré — un chat, je suppose. Si exceptionnel soit-il, bien entendu (puisque c’est le vôtre), et même si intelligent soit-il peu à peu devenu (grâce à votre manière remarquable de l’éduquer), ce n’est tout de même pas — pas encore, pas tout à fait — ce qu’on peut appeler sémiotiquement un Sujet manipulable. Pour cela, lui manque notamment la capacité cognitive d’anticiper la manière dont vous anticiperez ses réactions. Mais il ne s’agit pas pour autant, non plus, et peut-être encore moins, d’un pur Objet programmé ou programmable, tel un robot. (Encore que la question ait été posée aussi de savoir si en sens inverse les robots ne sont, sémiotiquement, que des objets programmés23). En fait, n’étant ni vraiment l’un ni simplement l’autre — mais malgré tout un peu les deux —, votre chat est typiquement un chat récalcitrant. Refusant d’entrer dans l’une comme l’autre des cases que le modèle lui propose, il s’invente une position intermédiaire, mi-figue mi-raisin, chose certes un peu embarrassante à première vue — pire, sémiotiquement irrecevable, déclareraient certains !

23 Voir sur ce point, dans les Actes Sémiotiques (121, 2018), le dossier Nouveaux jalons pour une sémiotique des objets (design et robotique), en particulier les contributions d’A. Moutat, « Robotique humanoïde et interaction sociale » et D. Tsala, « Le robot androïde de Steven Spielberg ».

Or c’est justement le contraire : sémiotiquement (et existentiellement) il est indispensable de reconnaître l’existence de ce genre de figures ambivalentes, « complexes », et de porter sur elles une attention redoublée (et bienveillante). Car il ne s’agit nullement d’exceptions bonnes à ignorer. Au contraire, on a là certainement les occurrences du type le plus général, en même temps d’ailleurs que le plus instructif. Rien en effet de plus commun, et sur le plan intellectuel de plus stimulant, donc bienvenu, que la complexité ! A tel point que la meilleure justification du modèle est peut-être, justement, la possibilité qu’il offre de repérer de tels produits hybrides, par contraste avec les figures types, et de les analyser. Si malgré cela nous n’avons pas donné de noms aux régimes de transition théoriquement possibles qui leur correspondent (mais que seule la pratique des analyses peut faire apparaître, notre imagination théorique restant trop limitée pour les prévoir un à un), c’est parce que les configurations intermédiaires de ce genre sont en nombre potentiellement infini et qu’on ne dispose pas d’un vocabulaire infini pour les étiquetter une à une. Certes, les numéroter serait en principe possible (comme on numérote les isotopes d’un corps, en physique) mais on ne voit pas qui irait mémoriser et utiliser le tableau de correspondances qui en résulterait. On touche ici la frontière qui sépare les complexifications éclairantes des complications inutiles24. La seule chose qui importe donc, c’est d’admettre l’existence à part entière de tels régimes sans nom, sans chercher à les réduire à l’une ou l’autre des positions de référence entre lesquelles le modèle les situe.

24 Expression empruntée à Peter Fröhlicher — sémioticien zurichois disciple de Jacques Geninasca, spécialiste de la littérature latino-américaine et l’un des membres fondateurs du Club Sémiotique des Audacieux Discrets — que nous avons entendu l’appliquer à certains modèles sémiotiques très compliqués en vogue il n’y a pas bien longtemps. De l’auteur, voir « De la pertinente impertinence des intellectuels », Actes Sémiotiques, 116, 2013.

Orienter ainsi l’attention vers la continuité des zones de transition — des « entre-deux » — où s’opèrent graduellement les passages entre les différents régimes constitue aussi une forme de complexification de la problématique, en tout cas par rapport à une approche plus statique qui se focaliserait exclusivement sur les termes (ab quo ou ad quem) que représentent les quatre régimes. Aussi bien, si, diagrammatiquement, nous préférons l’ellipse au carré, ce n’est ni par inclination pour la complication gratuite ni par recherche de l’originalité à tout prix : c’est parce qu’on a affaire à un continuum. Cette ellipse respecte scrupuleusement les principes de construction du carré, et pourtant ce n’est pas un carré. Par le simple fait d’insister sur la dynamique de transformations continues, elle lui ajoute quelque chose. Certes Greimas déjà soulignait le fait que le carré est le support de parcours orientés et non pas seulement une grille paradigmatique. Mais rares sont ceux qui ne l’ont pas oublié. L’ellipse au contraire interdit d’ignorer cette dimension. Notre préférence pour ses rondeurs enlacées n’est donc pas non plus une question de préférence esthésique ! Elle tient à ce que cette figure traduit plastiquement une complexification de ce que le carré a en lui-même d’un peu trop résolument « carré ».

Mais alors, après tous ces détours explicatifs, comment, sur cette ellipse, en arrive-t-on à la programmation ? La réponse est assez simple. Si, en avançant le long de ce continuum, on laisse derrière soi la zone de la manipulation pure, on voit l’intentionnalité, motivatrice des actants-sujets, se vider peu à peu de sa substance et, de proche en proche, s’effacer pour laisser place d’abord à des habitudes conscientes, assumées et qu’on serait en mesure de justifier, puis à des routines de moins en moins réfléchies et de plus en plus figées, respectées « sans même y penser », tels des automatismes désémantisés, et bientôt à des algorithmes dictant des comportements types, facilement reconnaissables et prévisibles25, pour en arriver enfin à de vraies régularités en tout point comparables à celles qui commandent aveuglément le comportement non plus de sujets de vouloir et de savoir mais d’actants-objets exempts de toute volonté comme de toute conscience : en un mot, « programmés ». On a alors changé tout à fait de régime sans que pour autant il y ait eu aucune solution de continuité entre intentionnalité et régularité. Mais ce chemin ne s’est pas effectué en un clin d’œil26.

25 C’est ce que les « économistes du comportement » appellent bizarrement des « biais cognitifs », comme s’il s’agissait d’anomalies alors qu’il s’agit d’algorithmes constitutifs de la compétence même des agents, entre intentionnalité en voie d’effacement et régularité émergente. Cf. J.-P. Petitimbert, « La duplicité du nudge : une variante manipulatoire de la programmation », Acta Semiotica, I, 2, 2021.

26 Sur les principes du passage entre les autres régimes, cf. Interactions risquées, op. cit., pp. 74-76.

Légère complexification supplémentaire : de même que les Sujets de la manipulation ne sont pas nécessairement, sur le plan actoriel, des « personnes », de même, les actants-Objets régis sur le mode du faire programmé, loin d’être nécessairement des choses sans âme, étrangères à la vie, peuvent se présenter aussi bien comme des êtres animés, des « animaux », humains en particulier.

 

2.3. Assouplissements ou enrichissement ?

Est-ce à dire que ce modèle en apparence si rigoureusement organisé se dissout au nom de la continuité des transitions dont il vise à rendre compte ? Un modèle, par définition, doit articuler entre elles des configurations types pour ainsi dire « idéales », pures, polaires et molaires. Construire un modèle, c’est donc interdéfinir avec la plus grande précision à la fois les constantes syntaxiques propres à chacune de ses composantes, en l’occurrence à chacun des régimes, et la syntaxe d’ensemble qui les relie. On a vu ce que la Manipulation-type exige : au minimum des objets de valeur échangeables, un sujet de faire modalement compétent, un destinateur transcendant ou un sujet-manipulateur d’occasion, et pour fonder leurs relations un principe d’intentionnalité. Mais ensuite, à mesure que les analyses se multiplient, on s’aperçoit que dans la plupart des cas tout cela doit être nuancé, ramifié, modulé, adapté. C’est la matière à analyser qui, à son tour, « exige » : elle fait savoir qu’elle ne se laissera décrire qu’au prix de certaines complexifications, ou — comme on entend souvent dire — d’indispensables assouplissements de la théorie.

 

« Assouplissement » : en général ce terme plaît mais il est gravement trompeur. Il suggère l’idée que lorsqu’on rencontre une configuration récalcitrante ou même simplement imprévue, il faudrait, pour en rendre compte, émousser la rigueur conceptuelle du modèle, rendre ses définitions plus floues, en somme l’édulcorer, le rendre moins précis pour le rendre plus englobant, lui faire perdre en qualité pour lui faire gagner en extension. Si tout le monde se ralliait à cette logique désabusée (de style typiquement « tensif »27), il n’y aurait tout simplement bientôt plus du tout de modélisation. Chacun en reviendrait à ses libres interprétations et impressions personnelles. Quand elles sont exprimées avec talent, cela peut très bien se défendre. Mais la prétention des sciences sociales, dont la sémiotique tient à faire partie, est de dépasser ce stade, ou du moins de fonder la connaissance sur des bases plus solides. Par suite, face aux défis du réel, pour décrire une configuration qui n’avait jusqu’alors jamais été rencontrée, ni pensée en construisant la grammaire (mais dont il s’avèrera peut-être, en y regardant de plus près, qu’elle réalise une potentialité), la solution ne peut pas consister à prôner l’assouplissement, c’est-à-dire l’affaiblissement de la conceptualisation. A l’opposé, il s’agit de la consolider, d’en accroître la puissance, ce qui veut dire affiner les notions, perfectionner le modèle, le complexifier au prix d’un effort intellectuel et non l’affadir par commodité. Ce qu’on appelle pompeusement « l’éthique de la recherche » ne demande rien d’autre.

27 Cf. Cl. Zilberberg, La structure tensive, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2012.

Mais outre le modèle lui-même, il se pourrait qu’il faille complexifier aussi la manière dont on s’en sert. Et sur ce plan-là l’idée d’assouplissement devient en revanche tout à fait pertinente. Ce qui est en jeu, c’est la compréhension que le chercheur a relativement au statut épistémologique du modèle, et par suite à l’usage qu’on peut en faire. Or beaucoup ont tendance à considérer chacune des composantes de ce tout — chacun des « régimes » — non pas dans sa relation aux autres composantes mais comme une totalité isolable, fermée sur elle-même, décrite exhaustivement et une fois pour toutes par la théorie, et qu’il faudrait par conséquent projeter telle quelle, absolument à la lettre, sur l’objet d’étude — qui pour sa part serait censé s’y conformer sans la moindre récalcitrance. C’est cette vision dogmatique qui demande à être assouplie. Seule, probablement, l’expérience peut vraiment y pourvoir, mieux en tout cas que des explications abstraites et compliquées. C’est effectivement la pratique du modèle moyennant la confrontation avec des objets d’analyse diversifiés qui permet de saisir ce que cet instrument conceptuel est au juste : non pas une grille de classification statique, pas une taxinomie, mais quelque chose d’un peu plus complexe : une syntaxe de syntaxes.

La macro-syntaxe de l’ensemble et les micro-syntaxes qu’elle articule les unes aux autres sous le nom de « régimes interactionnels » comportent certes, l’une comme les autres, quelques noyaux définitionnels stables, à défaut de quoi il ne serait pas même question de modèle. Mais à partir de là, par un jeu de complexifications cumulatives qui, bien que non entièrement prédéterminées, ne font rien perdre en termes de rigueur conceptuelle, le dispositif offre la plus grande capacité d’accueil face à des formes de réalisation inédites. En un mot, il s’agit d’un système ouvert, d’un modèle dynamique. Une construction de ce genre ne devrait évidemment pas être transformée en une prison mais rester le lieu d’exercice d’un « gai savoir », comme disait Greimas : un espace de création de sens (comme la sémiotique tout entière). Hélas, on constate que ceux qui demandent de l’assouplissement là où, en réalité, on aurait besoin d’enrichissements par complexification sont en général ceux qui, par amour de la règle, manque d’imagination ou paresse intellectuelle, s’enferment eux-mêmes à l’intérieur des quatre cases d’une cage taxinomique pour chercher ensuite, par abus de simplification, à tout y faire entrer, comme si, pour la commodité du chercheur, le réel tout entier devait et pouvait y être tenu enfermé.

Ces deux manières opposées de concevoir la nature et l’usage d’un modèle sont, on le devine, interprétables dans les termes mêmes du modèle en question : d’un côté, une vision programmatique de la recherche commandant une utilisation mécanique et monotone des outils disponibles, sans imagination ni sensibilité, excluant par suite toute invention, toute créativité ; de l’autre, moyennant une pratique à la fois conceptuellement rigoureuse et intellectuellement ouverte, la quête, de la part du chercheur, d’une forme de co-opération ou d’« ajustement » entre la modélisation disponible et la matière à analyser28.

28 Cf. « Utilisation vs pratique » in « Avoir prise... », art. cit., section I.1.3.

3. Quand un régime en cache un autre

A des fins didactiques, on pourrait être tenté de recourir à une distinction de bon sens entre deux types de complexifications, les unes « intra-régime », qui concerneraient séparément chacune des syntaxes que le modèle interdéfinit, les autres « inter-régimes », qui auraient trait aux relations que ces syntaxes particulières entretiennent les unes avec les autres. Malheureusement, les commodités didactiques ont quelquefois l’inconvénient d’être trop simplificatrices. C’est bien le cas en l’occurrence puisque, comme on l’a vu plus haut, la dynamique interne de chaque régime tend à elle seule à induire la probabilité du passage à un autre régime. Autrement dit, tout ce qui se produit sur le plan « intra » est en même temps, au moins potentiellement, « inter », comme, sans doute, dans n’importe quel système dynamique. La distinction est donc en elle-même plus problématique qu’éclairante, et par suite autant que possible à laisser de côté. D’autant plus qu’elle ne fait pas droit à d’autres sources importantes d’enrichissement du modèle.

 

A côté en effet d’une meilleure connaissance de la diversité des caractéristiques internes, inhérentes à chaque régime, et de leurs propriétés métamorphiques qui permettent le passage d’un régime à un autre, un troisième facteur de complexification prend une place grandissante dans les recherches des dernières années. Il s’agit de ce qu’on peut appeler provisoirement, et métaphoriquement, la vassalisation d’un régime par un autre. Tactiquement, l’un d’entre eux est mis au service d’objectifs interactionnels qui relèvent d’un autre régime, de la même manière qu’une action peut servir de « programme d’usage » destiné à permettre l’accomplissement d’une autre action qui, elle, correspond à l’objectif proprement dit de l’acteur considéré, à son « programme principal » (appelé aussi « programme de base »29). Il s’agira par exemple de manipuler quelqu’un (programme principal), non pas en recourant aux principes mêmes de la manipulation mais, par exemple de nouveau, en mettant tactiquement en œuvre des dynamiques qui relèvent de la programmation, utilisée en ce cas comme programme d’usage. C’est ce qu’illustre un cas que nous allons bientôt examiner.

29 Sur ces termes, cf. Sémiotique. Dictionnaire, op. cit., p. 298 et 414-415 (valeurs « d’usage » et « de base »).

Mais en théorie, rien n’exclut la possibilité d’une vassalisation qui s’exercerait dans le sens inverse. Et pour complexifier un peu plus, rien a priori n’exclut non plus qu’au lieu d’être la résultante d’une programmation, une manipulation soit (comme on le verra aussi d’ici peu) l’aboutissement d’un ajustement, ou de l’un des deux autres régimes. Etant donné que le modèle comporte quatre de ces régimes, le nombre de combinaisons deux à deux, arithmétiquement facile à calculer, est relativement élevé. Il n’est pas question d’en dresser un inventaire systématique car ce serait un travail non seulement fastidieux mais aussi typiquement de l’ordre de la complication inutile. Il ne pourrait en effet aboutir qu’à une grille purement formelle, difficilement utilisable en pratique et qui, plus décisif encore, n’ajouterait aucune connaissance aux données de départ. Nous nous limiterons par conséquent à quelques types de combinaisons qui, elles, ont une portée significative effectivement éprouvée. Et puisque deux cas de ce genre sont évoqués dans la présente rubrique, c’est par eux que nous allons commencer.

 

3.1. La programmation au service de la manipulation

Le premier cas est analysé par Jean-Paul Petitimbert30. Il consiste en une stratégie manipulatoire à base programmatique, le « nudging », qui jusqu’à présent n’avait donné lieu, en sémiotique, qu’à des interprétations plus confuses les unes que les autres31. Le cas devient par contre lumineux pour peu qu’on l’examine à la lumière du modèle interactionnel. Les données sont les suivantes.

30 « La duplicité du nudge : une variante manipulatoire de la programmation », art. cit.

31 Voir le dossier Des nudges dans les politiques publiques : un défi pour la sémiotique, Actes Sémiotiques, 124, 2021 (premier numéro post-censure édité par la nouvelle rédaction).

Une administration chargée du bien public ou une entreprise soucieuse de maximiser ses profits voudrait faire adopter aux usagers ou à la clientèle une conduite nouvelle, en elle-même peu attractive pour le public visé mais jugée en haut lieu plus « rationnelle » ou par exemple plus « saine », ou dont l’entreprise pourrait tirer certains bénéfices. Comment obtenir le changement de comportement souhaité ? Recourir à la vieille syntaxe de la manipulation, c’est-à-dire faire appel à la raison des populations se révèle, paraît-il, de plus en plus souvent inefficace de nos jours, et de plus en plus coûteux. Mais par chance les psycho-sociologues behaviouristes ont constaté (est-ce vraiment une découverte ?) que de même que les objets matériels obéissent à des régularités physiques connaissables, les hommes ont en beaucoup de circonstances eux aussi des réactions automatisées et prévisibles parce que psycho-socialement programmées. Pour déclencher ces automatismes comportementaux, il suffit de placer les individus visés dans les contextes adéquats. L’art, l’astuce, le savoir-faire des « nudgeurs » (sorte de « créatifs » à leur manière) consiste à trouver ou à imaginer puis à mettre en scène des contextes ou des situations précises, telles qu’elles auront les plus fortes chances de déclencher, chez l’administré ou le client type, l’algorithme comportemental dont on souhaite l’exécution.

 

La tactique consiste donc bien à faire faire par autrui ce qu’on en attend — ce qui est l’objectif même de toute manipulation — mais pour y parvenir, au lieu de s’adresser aux compétences cognitives et volitives d’un interactant qu’on reconnaîtrait et traiterait comme un authentique sujet, on vise en quelque sorte « plus bas » en se fiant à la part d’automatismes programmés qui dictent le comportement de tout un chacun dans le cours ordinaire de la vie quotidienne sans que personne n’y prête attention. De fait, comme le chat récalcitrant rencontré plus haut, nous aussi, nous sommes des êtres sémiotiquement complexes, mi-motivés mi-programmés (entre « pensifs velléitaires » et « actifs purs »32), mi-sujets, libres et difficilement prévisibles parce que raisonneurs, mi-automates psycho-socialement régulés comme des horloges. Le nudgeur tire parti de l’« ingénuité » du second — qui ne s’interroge pas sur ce qu’il fait — pour lui faire faire ce que le premier refuserait si on l’invitait à donner son avis. Aussi astucieusement que perversement, une logique purement programmatique est ainsi mise au service de visées purement manipulatoires.

32 Cf. Interactions risquées, op. cit., pp. 35-36.

3.2. S’ajuster pour manipuler

Le second exemple de mobilisation des principes d’un régime donné en vue d’effectuer une action qui relève d’un autre régime est fourni par notre propre étude ci-après concernant la « manipulation par contagion » dans le domaine politique. Le faire faire, d’ordre manipulatoire — faire voter dans tel sens ou plus généralement faire adhérer à un mouvement ou, comme un peu partout aujourd’hui, à la personne même d’un leader —, est en ce cas subordonné non plus, contrairement au contexte précédent, à l’exploitation de régularités programmatiques mais à la convocation du principe de sensibilité qui fonde quant à lui le régime de l’ajustement. Ici de nouveau, on évite donc de recourir aux difficiles procédures démocratiques de la manipulation proprement dite, qui visent à convaincre les citoyens en s’adressant à leur compétence cognitive, et donc critique, mais à la place on joue cette fois de leur compétence esthésique (et non plus de leurs automatismes). Du même coup, le faire sentir, au lieu de valoir pour lui-même comme ce serait le cas dans un processus d’ajustement non « vassalisé », non instrumentalisé, devient un simple programme « d’usage » facilitant la réalisation du programme principal d’ordre manipulatoire. C’est là ce que recouvre la notion de manipulation par « contagion », ce terme désignant toute forme d’attraction-répulsion sensible, à la limite sur le plan purement somatique33. Cette problématique a été approfondie par Yvana Fechine, João Ciaco, Paolo Demuru, Franciscu Sedda et plusieurs autres34.

33 Cf. E. Landowski, « La présence contagieuse », Passions sans nom, op. cit., chap. 6.

34 Cf. Y. Fechine, « Passions et présence dans le populisme numérique brésilien », Actes Sémiotiques, 123, 2020 ; id., « Uma dinâmica interacional complexa », Acta Semiotica, I, 1, 2021. J. Ciaco, « Regimes of meaning and forms of mediation in post-digital marketing strategies », Acta Semiotica, I, 2, 2021. F. Sedda et P. Demuru, « La rivoluzione del linguaggio social-ista: umori, rumori, sparate, provocazioni », Rivista Italiana di Filosofia del Linguaggio, 13, 1, 2019.

Mais le même dispositif structurel associant ajustement et manipulation peut, dans d’autres contextes, être utilisé dans un esprit et avec des résultats entièrement différents. Si on passe des leaders politiques aux dirigeants d’entreprises, on en trouve un exemple dans certaines politiques dites corporate. Jean-Paul Petitimbert, pionnier sur ce terrain, les a qualifiées de politiques de la « précarité »35. Il s’agit d’un mode de gouvernance où le destinateur-stratège, pour faire prospérer son affaire, met en place les conditions d’apparition d’un système auto-organisé dans lequel les agents placés « sous ses ordres » ne sont plus autoritairement (verticalement) programmés pour faire fonctionner sans accrocs ni déviations un type prédéterminé d’organisation mais pour favoriser au contraire (horizontalement) l’ajustement mutuel entre les équipes de travail et, à l’intérieur de chacune d’elles, entre leurs membres. Partant de l’idée que dans certaines conjonctures l’entreprise risquerait gros à ne prendre aucun risque, ses dirigeants choisissent délibérément, comme stratégie stricto sensu, c’est-à-dire sur le plan de la manipulation, de recourir au régime diamétralement opposé, l’ajustement, avec tous les risques qu’il comporte mais aussi avec ses promesses. Car si l’ajustement est un mode d’interaction dont les résultats sont toujours incertains et précaires (« au seuil de l’accident »), lui seul permet, dans les meilleurs des cas, l’émergence d’une forme de coopération inédite, plus efficace et surtout plus créative, susceptible de renouveler en profondeur (même si ce n’est que de façon temporaire) le sens — la « philosophie » même — du fonctionnement d’une entreprise ou tout autre type de collectif de travail. Toute une série d’études sur des administrations d’ordres divers ont par la suite confirmé la portée de ce type d’innovation organisationnelle dans d’autres contextes36.

35 J.-P. Petitimbert, « Entre l’ordre et le chaos : la pre?carite comme strate?gie d’entreprise », Actes Sémiotiques, 116, 2013. (Contrairement à ce que le terme suggère dans le contexte socio-économique actuel, il ne s’agit ici aucunement de la précarité de l’emploi).

36 Voir, in Actes Sémiotiques, 122, 2019, le dossier Sémiotique et organisations. Critique, réforme, dépassement regroupant, entre autres, les études d’A. Catellani, « L’entreprise responsable et ses parties prenantes : entre “manipulation” et co-construction de sens » ; P. Cervelli, « Il paradosso dell’organizzazione “creativa” » ; O. Chantraine, « Sociosémiotique de terrain et organisation » ; J. Fontanille, « La coopérative, alternative sémiotique et politique. Des organisations comme laboratoires de sémiotique expérimentale ». Voir aussi, sur la manipulation d’équipes de recherche par ajustement, J. Ciaco, A inovação em discursos publicitários : semiótica e marketing, São Paulo, Estação das Letras e Cores, 2013.

Une autre manière encore de jouer l’ajustement à des fins manipulatoires — structurellement identique aux précédentes mais de nouveau très différente en termes de signification sociale et même politique — a été tout récemment mise en avant par Pierluigi Cervelli. Son article publié dans le dossier relatif au (soi-disant) « post »- consumérisme montre comment les « géants de l’internet » encouragent, chez les adeptes des réseaux sociaux, les fantaisies les plus osées (jusqu’à la limite de l’illégalité), manière d’instaurer un semblant d’ajustement mutuel donnant l’impression que tout ce qui vient d’un participant est accueilli sans réserve ni restriction : c’est là le programme d’usage. Comme le programme principal consiste, comme on sait, à amener de la sorte les usagers des réseaux à livrer à l’organisation, sans qu’ils y prêtent attention, mille informations sur eux-mêmes qu’il serait difficile d’obtenir par la persuasion, l’ajustement qui permet cette opération manipulatoire est qualifié par Cervelli de « prédatoire »37. Apparentée de près à une forme de piège, cette stratégie est très proche de celle des nudges, à ceci près que le programme d’usage est ici confié à un simulacre d’ajustement et non à des régularités d’ordre programmatique38. On peut toutefois se demander si la participation à un réseau social n’est pas en elle-même analysable dans bien des cas en termes de stéréotypie comportementale quasi programmée, auquel cas l’interprétation qui valait plus haut à propos des « nudges » vaudrait tout autant ici.

37 Cf. P. Cervelli, « Dopo la crisi, la nuova strategia : regalare prodotti per vendere consumatori », Acta Semiotica, I, 2, 2021.

38 Cf. E. Landowski, « Pièges : de la prise de corps à la mise en ligne », Carte Semiotiche - Annali, 4, 2016.

Enfin, dans un article de la rubrique In vivo, Paolo Demuru fait état d’un cas lié à la magie, celle des « magiciens » à la Houdini39 mais aussi celle, parfois, de la politique40. En l’occurrence, l’auteur fait état d’un contexte politique où le sensible, sous la forme d’un « émerveillement » éprouvé sur le plan esthésique, est mis au service d’une « emancipação inteligível, cognitiva ». Comme quoi la vassalisation du principe de sensibilité à des fins manipulatoires n’est pas nécessairement vouée à exploiter ou à asservir autrui. Elle pourrait aussi être libératrice ! Hypothèse à vérifier, mais qui prouve en tout cas que parmi les Audacieux-discrets de la sémiotique, il y en a au moins un, Paolo Demuru, d’optimiste...

39 Personnage qui avait aussi retenu l’attention de Per Aage Brandt. Cf. « La dynamique énonciative de la subjectivité », Actes Sémiotiques, 123, 2020.

40 Cf. P. Demuru, « Política, magia, semiótica : como resistir ao populismo autoritário ? », Acta Semiotica, I, 2, 2021.

3.3. L’aléa, serviteur d’une immense programmation

Un troisième cas de vassalisation pourrait être résumé par le titre du célèbre ouvrage du biologiste Jacques Monod, Le hasard et la nécessité41. Il touche à la conception darwinienne de la théorie de l’évolution que la plupart des scientifiques considèrent comme acquise. Cette théorie, fondée sur l’implacable loi de la sélection naturelle, fait du hasard le maître d’œuvre dans l’apparition accidentelle des variations qu’on constate au fil du développement des espèces : c’est sur fond d’aléa qu’apparaissent les discontinuités structurelles amenées à être transmises ensuite d’une génération à l’autre. De ce point de vue, c’est du régime de l’accident que procède le surgissement du nouveau, avec son caratère abrupt et insensé. La sélection et la survie des espèces dépendront, quant à elles, de la plus ou moins grande accomodation dont ces discontinuités seront susceptibles de faire preuve par rapport à leur environnement. Or l’« accommodation », qui consiste à s’adapter unilatéralement (et non à s’ajuster mutuellement) à une constante externe qu’on ne peut infléchir est une variante de la programmation42. Seules survivront les espèces dont les nouvelles caractéristiques s’adapteront de manière optimale aux données programmées de leur entourage. Le darwinisme est donc une théorie qui assoit les régularités du régime de la programmation, pour ce qui est du fonctionnement de la loi de sélection naturelle, sur le principe d’aléa, pour ce qui est du surgissement accidentel des innovations, destinées, ou non, à perdurer43.

41 J. Monod, Le hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Paris, Seuil, 1970.

42 Cf. E. Landowski, « Critique sémiotique du populisme », Punctum, 6, 2, 2020, p. 163.

43 Cf. E. Landowski et J.-P. Petitimbert, « Risky heuristics », in P. Cobley et A. Olteanu (éds.), Semiotics and its masters, Berlin, Mouton De Gruyter, 2022 (à par.).

3.4. Des programmations qui conditionnent des ajustements

Nous tirerons les derniers exemples de dépendance d’un régime par rapport à un autre d’un domaine inhabituel et sans doute surprenant : celui des pratiques mystiques, et en premier lieu celle de l’hésychasme, développée par les chrétiens d’orient — les orthodoxes — depuis les premiers siècles de notre ère44. La visée (le programme de base) de cette pratique consiste à s’unir à Dieu, sous la forme que ces mystiques appellent la « divinisation ». Ils la décrivent eux-mêmes comme un processus d’« inhabitation » physique et réciproque entre la divinité et l’orant, ce que les théologiens désignent sous le terme technique de périchorèse, et les socio-sémioticiens d’ajustement entre interactants. L’hésychasme consiste à s’efforcer d’atteindre cette union moyennant l’exécution d’un programme d’usage de nature typiquement programmatique, défini par l’incessante psalmodie verbale et mentale d’une courte prière, dite « monologique », dont la désémantisation par répétition a pour effet de préparer le corps à recevoir Dieu en faisant « descendre » le noûs (l’esprit) dans leur cœur. La divinisation hésychaste peut par conséquent être interactionnellement ramenée à un ajustement par programmation.

44 Voir sur ce point l’analyse de J.-P. Petitimbert, « Prière et lumière, Lecture se?miotique d’une pratique et d’une interaction particulie?re : l’he?sychasme orthodoxe », Actes Se?miotiques, 118, 2015.

Mais on trouve à peu de choses près le même enchaînement du côté musulman, chez les soufis turcs, avec la pratique du samâ’ par ceux que nous appelons sous nos latitudes les « derviches tourneurs ». Comme le montre notre ami sémioticien de Téhéran Morteza B. Moein, loin d’être une attraction exotique pour touristes, la mukâbele, nom que porte la cérémonie au cours de laquelle on pratique le samâ’, est un rituel sacré à la chorégraphie parfaitement réglée — programmée —, qui vise le fanâ’, c’est-à-dire l’union du derviche avec Dieu45. Bien que les définitions du fanâ’ soufi et de la divinisation orthodoxe soient loin de recouvrir un contenu théologique identique, la régularité et la répétition programmatiques, qu’elles soient de l’ordre de la prière (hésychasme) ou de la liturgie (mukâbele), sont entendues dans les deux contextes comme préludes au passage vers le régime diamétralement opposé, celui de l’ajustement, qui, lui, relève de la syntaxe de l’union entre interactants.

45 Cf. M. B. Moein, « De l’hésychasme au samâ’ », et J.-P. Petitimbert, « Dialogue avec Mortesa B. Moein », in « En débat : Sémiotique des pratiques mystiques », rubrique Dialogue, Actes Sémiotiques, 118, 2015.

Conclusion

Ce tour d’horizon le montre — espérons-le —, la sémiotique (en tout cas celle, structurale et interactionnelle, que cette revue se donne pour mission de promouvoir) est en mouvement. Autre métaphore : de l’Italie au Brésil principalement, en passant par les environs de Paris et quelques autres contrées aux quatre coins du monde, elle semble même, actuellement, bourgeonner de partout ! Un peu comme à la belle époque des années Greimas, où les initiatives fusaient à l’intérieur d’une équipe soudée par un projet et un métalangage partagés. Chaque rameau naissant fait découvrir, à partir de quelque nouvelle complexification, une autre potentialité insoupçonnée d’une grammaire qui se révèle plus riche qu’on ne l’aurait cru. Cela non pas parce que la modélisation évolue selon l’air du temps ou s’« assouplit » de manière ad hoc en fonction des rencontres du moment, mais parce qu’au contraire elle reste en profondeur fidèle à elle-même. Ce difficile équilibre dynamique (ou peut-être dialectique), à égale distance des deux pôles que sont, d’un côté, le dogmatisme sacralisateur des modèles, et de l’autre le laxisme conceptuel (qui garantit leur rapide dilution), il nous semble que les nouvelles générations de chercheurs en sémiotique ont su le trouver. La discipline redécouvre ainsi un chemin vers l’avenir. Illusion de notre part ? Il se peut mais en tout cas, cher Demuru, tu n’es donc pas l’unique optimiste parmi nous !

Jovarai, 1erer - 11 décembre 2021

 

Ouvrages cités

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— « Avoir prise, donner prise », Actes Sémiotiques, 112, 2009.

— « Shikata ga nai ou Encore un pas pour devenir sémioticien ! », Turin, Lexia, 11-13, 2012.

— « Pièges : de la prise de corps à la mise en ligne », Carte Semiotiche - Annali, 4, 2016.

— « Critique sémiotique du populisme », Punctum, 6, 2, 2020.

— et Giulia Ceriani (éds.), Pertinente impertinence, Actes Sémiotiques, 116, 2013 (Imper-tinenze, Milan, Et al, 2010).

— et J.-P. Petitimbert, « Risky Heuristics », in P. Cobley et A. Olteanu (éds.), Semiotics and its Masters, Berlin, Mouton De Gruyter, 2022 (à par.).

Lotman, Youri, La cultura e l’esplosione, Milan, Feltrinelli, 1993.

Moein, Morteza B., « De l’hésychasme au samâ’ », Actes Sémiotiques, 118, 2015.

Monod, Jacques, Le hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Paris, Seuil, 1970.

Moutat, Audrey, « Robotique humanoïde et interaction sociale », Actes Sémiotiques, 121, 2018.

Nastopka, Kestutis, « La nécessité et l’accident selon Greimas et Lotman », in T. Migliore (éd.), Incidenti ed esplosioni. A.J. Greimas, J.M. Lotman per una semiotica della cultura, Rome, Aracne, 2010.

Perusset, Alain, « Les horizons de sens de la persévérance humaine », Acta Semiotica, 1, 1, 2021.

Petitimbert, Jean-Paul, « Entre l’ordre et le chaos : la pre?carite? comme strate?gie d’entreprise », Actes Sémiotiques, 116, 2013.

— « Prière et lumière. Lecture se?miotique d’une pratique et d’une interaction particulie?re : l’he?sychasme orthodoxe », Actes Se?miotiques, 118, 2015.

— « Dialogue avec Mortesa B. Moein », in « En débat : Sémiotique des pratiques mystiques » (rubrique Dialogue), Actes Sémiotiques, 118, 2015.

— « Les traductions liturgiques du Notre Père : Un point de vue sémiotique sur les théologies qui les sous-tendent », Actes Sémiotiques, 119, 2016.

— « La duplicité du nudge : une variante manipulatoire de la programmation », Acta Semiotica, I, 2, 2021.

Sedda, Franciscu, et Paolo Demuru, « La rivoluzione del linguaggio social-ista : umori, rumori, sparate, provocazioni », Rivista Italiana di Filosofia del Linguaggio, 13, 1, 2019.

Tsala, Didier, « Le robot androïde de Steven Spielberg », Actes Sémiotiques, 121, 2018.

Zilberberg, Claude, La structure tensive, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2012.

 


1 Pour ce qui concerne seulement la dernière décennie, on trouvera « en ligne », dans Actes Sémiotiques (2012-2020) puis Acta Semiotica (2021) pas moins de dix articles de Brandt, y compris une très sérieuse « Introduction à l’usage des non-initiés courageux » (Actes Sémiotiques, 121, 2018). Texte encore inédit, « La petite machine de la musique » paraîtra dans le prochain numéro (AS, II, 3, 2022), suite à un forum sur le Rythme qui s’est tenu au printemps 2021 à son instigation.

2 Voir la présentation approfondie qu’en donne Jean Petitot en tête de ce numéro, ainsi que l’entretien de Brandt avec Kestutis Nastopka.

3 Voir par exemple son article, « De la “sujétion”, ou Crise de la sémiotique », audace sémiotique publiée en mars 2020 dans les Actes Sémiotiques, presque aussitôt « dépubliée » par la direction en raison de son impertinence de surface, puis, à raison de la pertinence profonde de cette impertinence, republiée dans Galáxia (44, juin 2020). Dans le même ordre d’idées, voir aussi les contributions de Jacques Geninasca, Tarcisio Lancioni et quelques autres réunies in E. Landowski et G. Ceriani (éds.), Pertinente impertinence, Actes Sémiotiques, 116, 2013 (dossier initialement paru en italien : Impertinenze, Milan, Et al, 2010).

4 Cf. M. Hammad, « A pandemia é uma questão de espaço », Acta Semiotica, I, 2, 2021.

5 Passions sans nom, Paris, P.U.F., 2004. Les interactions risquées, Limoges, Pulim, 2005.

6 Cf. D. Luz Pessoa de Barros, « Vers une sémiotique de la manipulation », Le Bulletin du Groupe de Recherche Sémio-linguistique, CNRS-EHESS, 1, 1977.

7 A.J. Greimas et J. Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, vol. 1, Paris, Hachette, 1979. A.J. Greimas et J. Courtés (éds.), Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage II (Compléments, débats, propositions), vol. 2, Paris, Hachette, 1986.

8 Cf. « Logiques de la valeur », Passions sans nom, op. cit., chap. III, section 2.

9 Cf. E. Landowski, « Le débat parlementaire et l’écriture de la loi », Revue française de science politique, XXVIII, 3, 1977.

10 Cf. J.-P. Petitimbert, « Les traductions liturgiques du Notre Père : Un point de vue sémiotique sur les théologies qui les sous-tendent », Actes Sémiotiques, 119, 2016. E. Landowski, « Shikata ga nai ou Encore un pas pour devenir sémioticien ! », Lexia, 11, 2012.

11 Cf. J. Fontanille, Terres de sens, Limoges, Pulim, 2018 (2e partie, section 2).

12 Cf. A. Perusset, « Les horizons de sens de la persévérance humaine » , Acta Semiotica, 1, 1, 2021.

13 Cf. G. Grignaffini, « Appunti per una sociosemiotica del giardinaggio », Acta Semiotica, 1, 1, 2021.

14 « A pandemia é uma questão de espaço », art. cit.

15 Cf. Y. Lotman, La cultura e l’esplosione, Milan, Feltrinelli, 1993. Fr. Sedda, « Intersezione di linguaggi, esplosione di mondi. Una rima fondativa fra l’ultimo Lotman e il primo Greimas », E/C, déc. 2008. P. Demuru, « Between Accidents and Explosions : Indeterminacy and Aesthesia in the Becoming of History », Bakhtiniana, 15, 1, 2020.

16 A.J. Greimas, De l’Imperfection, Périgueux, Fanlac, 1987, pp. 13-22. E.Landowski, Interactions risquées, op. cit., pp. 82-83. Voir également K. Nastopka, « La nécessité et l’accident selon Greimas et Lotman », in T. Migliore (éd.), Incidenti ed esplosioni. A.J. Greimas, J.M. Lotman per una semiotica della cultura, Rome, Aracne, 2010.

17 Cf. P. Demuru, « A experiência do sentido, o sentido da experiência : semiótica, interação e processos sociocomunicacionais », Galáxia, 2019.

18 Voir ici même P. Cervelli, “Dopo la crisi”, Acta Semiotica, I, 2, 2021.

19 Ce point a été longuement discuté à partir de plusieurs travaux de thèses au cours de l’année 2020-21 dans le cadre du Centre de recherches socio-sémiotiques de São Paulo.

20 Cf. Interactions risquées, op. cit., pp. 72-76.

21 Cf. « Avoir prise, donner prise », Actes Sémiotiques, 112, 2009 (III. Formes de prises).

22 Interactions risquées, op. cit., pp. 18 et 20.

23 Voir sur ce point, dans les Actes Sémiotiques (121, 2018), le dossier Nouveaux jalons pour une sémiotique des objets (design et robotique), en particulier les contributions d’A. Moutat, « Robotique humanoïde et interaction sociale » et D. Tsala, « Le robot androïde de Steven Spielberg ».

24 Expression empruntée à Peter Fröhlicher — sémioticien zurichois disciple de Jacques Geninasca, spécialiste de la littérature latino-américaine et l’un des membres fondateurs du Club Sémiotique des Audacieux Discrets — que nous avons entendu l’appliquer à certains modèles sémiotiques très compliqués en vogue il n’y a pas bien longtemps. De l’auteur, voir « De la pertinente impertinence des intellectuels », Actes Sémiotiques, 116, 2013.

25 C’est ce que les « économistes du comportement » appellent bizarrement des « biais cognitifs », comme s’il s’agissait d’anomalies alors qu’il s’agit d’algorithmes constitutifs de la compétence même des agents, entre intentionnalité en voie d’effacement et régularité émergente. Cf. J.-P. Petitimbert, « La duplicité du nudge : une variante manipulatoire de la programmation », Acta Semiotica, I, 2, 2021.

26 Sur les principes du passage entre les autres régimes, cf. Interactions risquées, op. cit., pp. 74-76.

27 Cf. Cl. Zilberberg, La structure tensive, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2012.

28 Cf. « Utilisation vs pratique » in « Avoir prise... », art. cit., section I.1.3.

29 Sur ces termes, cf. Sémiotique. Dictionnaire, op. cit., p. 298 et 414-415 (valeurs « d’usage » et « de base »).

30 « La duplicité du nudge : une variante manipulatoire de la programmation », art. cit.

31 Voir le dossier Des nudges dans les politiques publiques : un défi pour la sémiotique, Actes Sémiotiques, 124, 2021 (premier numéro post-censure édité par la nouvelle rédaction).

32 Cf. Interactions risquées, op. cit., pp. 35-36.

33 Cf. E. Landowski, « La présence contagieuse », Passions sans nom, op. cit., chap. 6.

34 Cf. Y. Fechine, « Passions et présence dans le populisme numérique brésilien », Actes Sémiotiques, 123, 2020 ; id., « Uma dinâmica interacional complexa », Acta Semiotica, I, 1, 2021. J. Ciaco, « Regimes of meaning and forms of mediation in post-digital marketing strategies », Acta Semiotica, I, 2, 2021. F. Sedda et P. Demuru, « La rivoluzione del linguaggio social-ista: umori, rumori, sparate, provocazioni », Rivista Italiana di Filosofia del Linguaggio, 13, 1, 2019.

35 J.-P. Petitimbert, « Entre l’ordre et le chaos : la pre?carite comme strate?gie d’entreprise », Actes Sémiotiques, 116, 2013. (Contrairement à ce que le terme suggère dans le contexte socio-économique actuel, il ne s’agit ici aucunement de la précarité de l’emploi).

36 Voir, in Actes Sémiotiques, 122, 2019, le dossier Sémiotique et organisations. Critique, réforme, dépassement regroupant, entre autres, les études d’A. Catellani, « L’entreprise responsable et ses parties prenantes : entre “manipulation” et co-construction de sens » ; P. Cervelli, « Il paradosso dell’organizzazione “creativa” » ; O. Chantraine, « Sociosémiotique de terrain et organisation » ; J. Fontanille, « La coopérative, alternative sémiotique et politique. Des organisations comme laboratoires de sémiotique expérimentale ». Voir aussi, sur la manipulation d’équipes de recherche par ajustement, J. Ciaco, A inovação em discursos publicitários : semiótica e marketing, São Paulo, Estação das Letras e Cores, 2013.

37 Cf. P. Cervelli, « Dopo la crisi, la nuova strategia : regalare prodotti per vendere consumatori », Acta Semiotica, I, 2, 2021.

38 Cf. E. Landowski, « Pièges : de la prise de corps à la mise en ligne », Carte Semiotiche - Annali, 4, 2016.

39 Personnage qui avait aussi retenu l’attention de Per Aage Brandt. Cf. « La dynamique énonciative de la subjectivité », Actes Sémiotiques, 123, 2020.

40 Cf. P. Demuru, « Política, magia, semiótica : como resistir ao populismo autoritário ? », Acta Semiotica, I, 2, 2021.

41 J. Monod, Le hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Paris, Seuil, 1970.

42 Cf. E. Landowski, « Critique sémiotique du populisme », Punctum, 6, 2, 2020, p. 163.

43 Cf. E. Landowski et J.-P. Petitimbert, « Risky heuristics », in P. Cobley et A. Olteanu (éds.), Semiotics and its masters, Berlin, Mouton De Gruyter, 2022 (à par.).

44 Voir sur ce point l’analyse de J.-P. Petitimbert, « Prière et lumière, Lecture se?miotique d’une pratique et d’une interaction particulie?re : l’he?sychasme orthodoxe », Actes Se?miotiques, 118, 2015.

45 Cf. M. B. Moein, « De l’hésychasme au samâ’ », et J.-P. Petitimbert, « Dialogue avec Mortesa B. Moein », in « En débat : Sémiotique des pratiques mystiques », rubrique Dialogue, Actes Sémiotiques, 118, 2015.

 

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Mots clefs : assouplissement, complexification, complexité, interaction, modèle, régimes (de sens et d’interaction).

Auteurs cités : Diana de Barros, Per Aage Brandt, Andrea Catellani, Pierluigi Cervelli, João Ciaco, Paolo Demuru, Yvana Fechine, Jacques Fontanille, Peter Fröhlicher, Algirdas J. Greimas, Giorgio Grignaffini, Manar Hammad, Yuri Lotman, Morteza B. Moein, Jacques Monod, Audrey Moutat, Kestutis Nastopka, Alain Perusset, Jean-Paul Petitimbert, Franciscu Sedda, Didier Tsala, Claude Zilberberg.


Plan :

A la mémoire de Per Aage Brandt

1. Récalcitrance et complexification

1.1. Hétérogénéité, mais cohésion

1.2. Le modèle interactionnel en débat

2. Dans l’entre-deux

2.1. Au départ, la manipulation

2.2. Régimes sans nom

2.3. Assouplissements ou enrichissement ?

3. Quand un régime en cache un autre

3.1. La programmation au service de la manipulation

3.2. S’ajuster pour manipuler

3.3. L’aléa, serviteur d’une immense programmation

3.4. Des programmations qui conditionnent des ajustements

Conclusion

 

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